Attention chronique-roman!!
Je trouvais étrange, alors que j'étais enfant, que les grand-mères de mes amis soient des «mamies », parce que moi, j'avais des «
mémés »,
Mémé Jeanne et
Mémé Simone. le terme de Mamie sonnait très distingué à mes oreilles. Elles devaient vivre en ville leurs mamies, parce que les miennes, c'étaient des
mémés, et des
mémés, dans ma tête d'enfant, ça ne pouvait vivre qu'à la campagne.
Mémé Simone nous a quittés alors que j'étais en plein coeur de l'enfance. Au-delà de la tristesse, je me souviens surtout d'avoir vu mon père pleurer. Pudique, il sanglotait en faisant les cent pas dans le salon, tandis que moi, je petit-déjeunais dans la cuisine. Ce jour-là, l'enfance ne me protégea pas et une profonde tristesse éclata dans ma poitrine, parce que mon père, pourtant si dur et rigide, mais que j'adorais, pleurait. Un papa, ça ne pleurait pas dans ma tête.
Je ne reverrai ses larmes qu'une fois. Pas de vrais sanglots comme lorsque
mémé Simone s'est éteinte, non. Des larmes discrètes, comme mon père, qui perlaient au coin de ses yeux alors que je le serrais fort dans mes bras. J'avais trente ans passés, et j'aurais voulu remonter le temps pour être encore une petite fille. Une semaine après, ses yeux se fermaient pour toujours, et son souffle de s'égrainer pour disparaître.
Mon père, cette homme si effacé, traumatisé par
L Histoire même s'il ne nous révéla jamais la sienne, aimait profondément sa mère, ma
mémé Simone, que je ne connus que trop peu, mais dont je garde le sourire attendri de ces vacances aux relents de liberté à travers les vignobles du Sancerrois.
Mais ma
mémé Jeanne...
C'est elle que j'ai voulu retrouver dans ce
Mémé de
Philippe Torreton, parce que moi aussi j'ai eu une
mémé qui aurait mérité qu'on écrive pour elle et sur elle. Ma
mémé, c'était la bonté incarnée, une personne comme il n'y en a plus.
C'est un récit décousu, celui de la mémoire qui s'élève, virevolte, se pose, et repart pour ressusciter tel ou tel événement, anodin ou non, qui a ponctué sa vie. On sent
Philippe Torreton ému, et je n'ai pu que partager cette émotion qui vous prend aux tripes lorsque vous vous remémorez un être que vous avez aimé, qui a été un pilier de votre vie et les fondations de ce que vous êtes.
C'était sa
mémé normande, au sac plastique multifonction et à la table en formica, qui portait les siens à bout de bras. Femme courage comme tant d'autres oubliées de l'Histoire... Son petit -fils lui offre le plus bel hommage qui soit, celui de l'amour.
Elle peut en être fière.
Ma
mémé Jeanne avait elle-aussi une table en formica, appuyée contre une porte -sa cuisine était vraiment petite- qui dissimulait un placard-débarras, et qui était veillée par ses gardiens de toujours, le frigo dont la porte s'ouvrait avec une pédale, et le poêle. Et en face, pour lui faire la conversation, l'évier-douche-baignoire, d'où ne sortait que de l'eau froide, et la gazinière où elle me préparait les meilleures pommes dauphines du monde et où je trempais mon pain dans le jus au beurre dans lequel elle avait fait revenir la viande qu'elle allait acheter chez le boucher. Toujours la plus tendre, s'il vous plait. Mes premiers kilos sur les hanches sont sans doute dus à ses mouillettes que le passage de l'enfance à l'adolescence ne pardonne pas.
Sa petite maison était loin d'être un palace : une chambre qui donnait sur la grand rue m'accueillait pendant les vacances, voisine du boulanger qui mettait son pétrin en branle à 3 heures le matin, et sa propre chambre qui faisait office de salon-salle à manger, et où la nuit trônait un pot de chambre jaune, parce qu'il fallait traverser la cour pour aller aux toilettes chez
Mémé Jeanne, et que la nuit, les chouettes aimaient s'exprimer et les chauves-souris s'empêtrer dans les cheveux des petites-filles.
La
mémé de P. Torreton n'était pas la mienne, évidemment, la mienne était berrichonne -ce détail a son importance !- mais j'ai suivi les pérégrinations de l'esprit de cet adulte-enfant avec plaisir, et en refermant ce petit bijou d'une sensibilité à fleur de peau, j'ai eu envie de lui parler de ma
mémé, parce qu'il aimait tellement la sienne, que je suis sûre qu'il m'aurait comprise.
Mémé, tu me manques, j'espère que tu as réussi à convaincre Papa de jouer à la belote là-haut et que vous avez trouvé un 4ème joueur,
même si tu savais jouer à trois, mais ce n'était pas pareil...
PS : En écrivant cette chronique, je n'ai pu que penser à ma mère, digne fille de ma
mémé Jeanne, qui, lorsque ma nièce est née, sa première petite-fille donc, ne voulait pas qu'elle l'appelle
Mémé, parce que vous comprenez, cela faisait « vieux », et c'était une grand-mère jeune. Mais non, elle dut s'y résigner, une moue boudeuse au bord des lèvres et un haussement d'épaules qui disait « que voulez-vous, c'est comme cela ». Ma mère a été une
mémé, elle-aussi, et une
mémé formidable,
même si cela a été trop court...
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