Dès que j'ai eu connaissance du thème de ce mois-ci : de l'écrit à l'écran pour le challenge Les classiques c'est fantastique 2ème édition, aucune hésitation : c'est ce roman que je voulais lire car le film d'
Elia Kazan vu il y a très longtemps m'avait fortement marquée sans que j'en garde tous les détails et parce que
John Steinbeck est un des écrivains de mon panthéon, parce qu'avec lui je ne risquais pas d'être déçue, parce que
James Dean a marqué mon adolescence, donc la lecture du roman dont il est inspiré était donc une évidence.
"Les monstres ne sont que des variations à un degré plus ou moins grand des normes usuelles. (...) Au monstre, le normal doit paraître monstrueux, puisque tout est normal pour lui. (...) Au monstre, le normal doit paraître monstrueux, puisque tout est normal pour lui. Et pour celui dont la monstruosité n'est qu'intérieure, le sentiment doit être encore plus difficile à analyser puisque aucune tare visible ne lui permet de se comparer aux autres. Pour l'homme né sans conscience, l'homme torturé par sa conscience doit sembler ridicule. (...) N'oubliez pas que le monstre n'est qu'une variante et que, aux yeux du monstre, le normal est monstrueux. (p99)"
Salinas - Fin des années 1800 - jusqu'en 1917 : Dans ce roman
John Steinbeck traite du thème tant traité du bien et le mal, de la rivalité fraternelle, à travers une famille, celle d'Adam Trask et ses deux fils : Caleb et Aaron, nés de son mariage avec Cathy mais en revenant préalablement sur la génération précédente, celle de l'enfance d'Adam, car il faut souvent aller chercher les racines des comportements dans le passé. Celle d'Adam (le bien) lui-même issu d'une famille où une rivalité fratricide avec son demi-frère Charles (le mal) l'a obligé à fuir et à s'installer à Salinas avec sa femme Cathy. Celle-ci tout au long du roman joue un rôle capital et représente le mal absolu dans ses pensées et ses actes. de leur union naîtront des faux-jumeaux : Cal (Caleb) : le mal et Aaron (le bien).
L'auteur implante son histoire à Salinas, en Californie, sa ville natale dont il connaît les paysages, l'ambiance et s'intégrant lui-même dans l'histoire puisqu'il est le narrateur car ses propres origines familiales font partie du roman, se situant lui-même dans le récit puisque descendant de Sam Hamilton, son grand-père maternel et famille omniprésente dans l'ouvrage, témoin de l'histoire qui nous est relatée.
Tout au long de celle-ci, que ce soit au niveau des personnages principaux mais également de ceux qui les entoure, c'est la lutte et la confrontation des caractères avec toutes leurs complexités qui sont traités : réactions, désirs, ambition. Car, et c'est toute la richesse du roman, rien n'est tout noir (ou presque) ou tout blanc car l'auteur y intègre à la fois les questionnements de chacun, la dualité de leurs sentiments partagés qu'ils sont entre amour, fraternité, violence.
Rien de trancher car les deux frères jumeaux dizygotes (nés de deux oeufs), Caleb et Aaron portent en eux les mêmes gênes, le même sang et pourtant réagissent de manière opposée : l'un plus affirmé que l'autre, plus réactif et envieux mais en manque d'amour alors que son frère ne demande rien et a tout : beauté, douceur et amour. Car le noeud de l'histoire est l'amour : l'amour d'un père, seul lien familial, mais également l'amour maternel absent et l'image que chacun en a ou se créée.
Pourtant il y a dans la famille Trask une autre forme de présence maternelle à travers Lee, le domestique de la famille, à la fois cuisinier et nourrice, médecin des âmes et des corps et philosophe attentionné, sacrifiant ses ambitions au bonheur de la famille, mais également Sam Hamilton, le voisin inventeur visionnaire, fidèle à ses projets et refusant toute compromission. Et puis il y a Cathy, la femme représentant le mal et image du pécher originel peut-être, que ce soit en tant qu'épouse mais également en tant que mère, que rien n'arrête dans son ascension jonchant son parcours de crimes impunis.
Mais d'autres sujets sont abordés : la famille, le rôle des parents et de leur influence sur le devenir des enfants, de la violence des sentiments, des images faussées, de l'exploitation de certaines minorités (chinoise dans le cas présent à travers Lee), des blessures occasionnées par le mensonge : faut-il tout avouer, l'absence et surtout la sensibilité de chaque être face à son vécu, son contexte, au passé et les aléas de la vie.
Chacun cherche à trouver sa place à la fois dans le paysage mais également dans le coeur des autres et au-delà des faits,
John Steinbeck s'attache à décortiquer la complexité des sentiments partagés et parfois si proches qu'ils se mêlent : haine/amour, vengeance/abnégation/sacrifice. Car Cabel aime son frère mais tout le pousse à lui faire du mal, à le blesser jusqu'à se sentir attirer par Abra, celle qu'Aaron aime depuis l'enfance et dont il veut faire sa femme.
Cabel/Caïn - Aaron/Abel - Adam : le père, le géniteur : tout est référence à la Génèse, à l'idée du pécher, de la culpabilité, Cathy étant celle par qui le mal s'introduit et pervertit tout ce qu'il touche, le ver dans le fruit et sera l'outil de la blessure ultime. A l'image des sentiments l'auteur confronte également la beauté alliée au bien, à l'ange blond fragile et le tourmenté au brun, plus fougueux, plus tempétueux, plus sombre et en quête perpétuelle d'amour qu'il soit filial ou sentimental.
Avec tout ce qu'il faut de romanesque mais également de constatations sur la société américaine avec ses croyances, son histoire mais également les valeurs ancrées dans la religion, l'auteur dessine une fresque qui analyse la complexité de l'âme humaine, de ce qui fait que l'on se sent aimé ou rejeté, que l'on aspire au mal pour obtenir ce que l'on désire, du déchirement quand la jalousie, les rancoeurs rongent l'esprit et vous poussent à meurtrir ceux que vous chérissez.
Il fait de Cathy son arme maléfique absolue, elle ravage tout ce qu'elle touche, approche, sombre dans la perversité totale car elle deviendra une tenancière d'un bordel, symbole du lieu de perdition, mais lui offre une sorte de rédemption en fin de roman, démontrant que tout être peut révéler une part d'inconnu.
Je n'hésite pas une seconde à le dire : ce roman est un chef-d'oeuvre à la fois dans sa construction, sa cohérence, la qualité de l'écriture mais également par les messages dont l'auteur parsème le récit. A l'Est d'Eden est à la fois une saga familiale, historique, géographique, sociétale, religieuse, psychologique de grande ampleur et un tel roman ne pouvait que faire l'objet d'une adaptation cinématographique lointaine dans mes souvenirs, avec
James Dean dans le rôle majeur de Caleb pour lequel il a d'ailleurs été nominé aux Oscar comme
Elia Kazan.
J'ai savouré ce pavé, je me suis immergée au milieu de cette famille, partagée que j'étais entre compassion, compréhension, dégoût, admiration avec une mention pour un second rôle celui
De Lee, l'ombre chinoise qui tient la famille Trask, lui inculque la tolérance, la bienveillance mais sans jamais intervenir au-delà de ce que sa fonction ne lui autorise. C'est l'âme, le juste qui détient les réponses aux questions même quand celles-ci ne sont pas posées. Il sait, il sent. Et comment ne pas être attirée par Caleb et Aaron, car chacun détient une part de luminosité et d'obscur.
J'avais déjà eu des coups de coeur pour
Les raisins de la colère et Des souris et des homme (lu également dans une magnifique adaptation graphique de
Rebecca Dautremer, j'avais beaucoup aimé
La Perle et
Tendre Jeudi et quand j'aime je ne compte pas, j'ai dans ma PAL
En un combat douteux.... (et les points de suspension font partie du titre). J'avais vu il y a quelques temps (2017) un très beau documentaire sur le voyage qu'effectua
John Steinbeck seul avec son chien Charley, parcourant l'Amérique sur 16 000 kms pour s'imprégner et observer au plus près son pays.
Si on vous demande une saga familiale qui va au-delà du superficiel, qui vous plonge dans un pays, ses hommes et femmes avec ce qu'ils peuvent avoir de plus enfouis en eux : sans hésiter il faut lire A l'Est d'Eden parce qu'il y a tout ce qui fait un grand roman : l'amour, la haine, la fraternité, la volonté, les intrigues, les rebondissements avec du fond, de la matière, une observation minutieuse de la psychologie des humains et de leurs tourments, une plume vive, alerte, sans temps mort. Un roman publié en 1952 et dont l'adaptation cinématographique date de 1955.
Coup de coeur absolu pour le roman, j'ai avalé le pavé sans m'étrangler et je l'ai même refermé à regret, un de plus dans ma mémoire et mon panthéon mais avec (comme souvent) une préférence pour le roman car plus fouillé, plus intime que le film. Mention pour la couverture : Adam's house (!) (détail) de
Edward Hopper, artiste que j'associe totalement à l'oeuvre de Steinbeck.
Pour info j'ai trouvé certaines similitudes dans l'histoire avec le film de Robert Redford : Et au milieu coule une rivière surtout dans le personnage de la mère et la relation entre les deux frères.....
"Sous sa carapace de lâcheté, l'homme aspire à la bonté et veut être aimé. S'il prend le chemin du vice, c'est qu'il a cru prendre un raccourci qui le mènerai à l'amour (p549)"
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