Sortilèges de la Bucovine:
En attendant, chemin faisant, je connus le plaisir de guetter par la vitre les mille indices d'un monde rural encore peu perturbé par le grand souffle de la modernisation, trop souvent synonyme d'uniformisation.
Sur la route, on croisait des carrioles en grand nombre, faisant songer à des cercueils bravement tirés par un deux chevaux à pompons rouges et dans lesquels s'entassaient pommes de terre, maïs, bois de chauffage, pommes à cuire ou groupes de paysannes vêtues de couleurs vives. Ici et là: des troupeaux de moutons, de vaches ou de chèvres paissant paisiblement. Des terres lourdes, fraîchement labourées. Des choux géants. Des tas de courges resplendissantes. Mille et un meules transpercées de perches, au foin déjà bruni. Des champs de tournesols aux têtes inclinées, ou de maïs aux feuilles jaunies, desséchées. Passait-on un village ? C'était pour y surprendre des palissades, des maisonnettes peintes en orange, framboise, turquoise, jaune, vert acide, lilas, rose, violet ou bleu de marine, aux toits parfois recouverts de bardeaux et dont les avant-toits, plus rarement, s'ornaient de motifs merveilleux - oiseaux, cerfs ou fleurs- puisés dans le folklore d'autrefois. Et devant ces maisons flanqués de treilles d'où pendaient les grappes de raisins capiteux: trois vieilles conversant; une troupe de dindons gesticulant; un chien qui bâille; un autre qui traverse nonchalamment la route.
Enfin, quittant les terres besognées, bichonnées, prêtes à accueillir une nouvelle gestation: les collines boisées de Bucovine, parées des couleurs automnales et exhalant une envoûtante senteur de champignon."p382-382,
Moldavie ! Terre de douces collines.
(p. 134)
Jil Silberstein parle de Tan Bogoraz, écrivain et exilé tsariste à la Kolyma devenu ethnologue et auteur des Récits de la Perdition (Editions des Syrtes, 2022)