Critiquer
Shakespeare et
le Roi Lear ? Impossible... je lis souvent des commentaires intimidés de telles oeuvres sur Babelio, concluant qu'on se sent tellement petits face au génie créateur de l'auteur, et face à des milliers de commentateurs érudits qui nous ont précédé, qu'on ne peut plus écrire une ligne valable. Je ressens un peu cela en feuilletant de bon matin cette pièce du début de XVIIème, emblématique, aux côté d'
Hamlet, Othello ou
MacBeth, de la langue anglaise.
Et pourtant, quel plus bel hommage peut-on rendre à
Shakespeare que de témoigner... témoigner qu'un lecteur moyen du XXème siècle, aux humanités plus que médiocres, de surcroît quasi-étranger à la langue, et passant donc par la traduction de jean-Michel Déprats, peut encore ouvrir cette oeuvre et, immédiatement, s'y trouver transporté.
Témoigner que sans jamais avoir vu en représentation une de ses pièces, simplement en lisant avec tant de distance cette oeuvre de prose et de vers, le lecteur étonné peut imaginer dès les premiers mots de
Shakespeare la mécanique implacable de ces destins qui se croisent au royaume de Bretagne.
Témoigner de l'intemporalité de ce théâtre, dont la force des mots et la mise en scène, pourtant tirés de traditions anciennes, et d'une laïcisation populaire des mystères post médiévaux, où
Shakespeare a puisé, ne cesse de se renouveler. Rendre hommage à ce don merveilleux que fit cet inconnu célèbre, récalcitrant aux biographes et aussi mythique que l'auteur de la quête du Graal ou
Homère... à tel point que certains, désabusés, finirent par penser qu'il n'avait pu être un seul homme... peut-être à raison... Qu'il fut un ou plusieurs, en tous cas, homme de scène avant tout, grand-père de notre
Molière à ce titre, il met en scène la vie, ses questions, les turpitudes et la grandeur des hommes, et les met à la porté des humbles.
Témoigner de la force dramatique des pièces telles que
le Roi Lear. Il serait possible, des heures durant, d'en analyser les ressorts psychanalytiques, les passions et non-dits qui se nouent dans les relations filiales et familiales, et se dénouent brutalement lors des successions ; les rapports entre folie et vérité, entre fidélité et raison. Mais ce serait oublier le souffle court, les tripes serrées, les larmes versées...
Shakespeare parle à notre âme.
le Roi Lear en particulier,
The Clash of Clans, est, dès les première scènes, un avis de tempête, où les lames de fond submergent hommes et femmes, où Dieu reste sourd aux prières, où l'ambition déchire l'amour, jusqu'à la mort ou jusqu'à la folie.
Témoigner enfin qu'on ne peut rester insensible, malgré les filtres du temps et des traductions, à cette langue inimitable, qui se déclame en pleines strophes, en un chant sépulcral, lyrique, mystérieux, et, à d'autres moments, se fait familière, intime, gargotière, pour mieux venir nous cueillir dans un quotidien dont il semble nous révéler un sens caché. Dans cet art,
Shakespeare n'a point d'égal, et marche entre
Homère et Hugo au pays des ombres qui ne meurent jamais.
Quant au roi lear, elle est probablement l'un de ses drames les plus puissamment émouvants, de par la construction de l'intrigue, double et au rythme soutenu, de par l'angoisse existentielle qui meut, dès la première scène, chaque personnage, et où seul le fou, puis l'aveugle, au terme de mainte souffrance, finit par voir... au coeur de l'obscurité... cette peur face au néant est sans doute ce qui marque le plus le lecteur d'aujourd'hui -miroir, miroir, est ce moi ce lecteur angoissé ?...- , marqué par Kafka,
Dostoïevski,
Ionesco, Nietzche, Camus , Sarte,
Malraux... se dire que l'Etre ou ne pas Etre se posait déjà chez nos pères de 1605 présente un petit côté rassurant... cela ne les a pas empêché de naître, d'aimer, souffrir... et mourir.