« Je ne désire pas évoquer ici les courbes d'un corps et les bruneurs secrètes d'une peau ; je veux garder pour moi des sensations exquises, des brûlures mouillées, ces révélations par l'autre de son propre corps, une instrumentation de nous-mêmes – ces choses de l'amour qu'on appelle érotisme et qui ne seraient rien si l'élan entier de l'invisible en soi n'y participait. »
Seconde guerre mondiale. Paris. Jeune étudiant, Marc sort de l'enfance. Encore aux balbutiements de raisonnements adultes, il vit dans l'appartement de son père, exilé en province avec sa seconde épouse Daniela. Cette dernière lui rend visite régulièrement. Il se tient cloîtré dans un esprit rebelle face à cette intruse qui remplace sa mère. Un jour, frappe à sa porte deux souris grises. Je ne connaissais pas l'expression. Ce sont les auxiliaires féminines de l'armée allemande. L'une s'appelle Maria. Maria connait l'oncle de Marc, prisonnier en Allemagne, et lui apporte des nouvelles. Instinctivement, elle reconnaît en Marc la possibilité d'un attachement. Marc quant à lui est hostile. Toujours sur la défensive. Et puis c'est une allemande. Dans ce Paris envahi par l'ennemi comment pourrait-il prendre le thé avec cette femme. Mais Daniela, présente ce jour là, a les manières. Elle l'invite courtoisement à rester. Se reverront-il une seconde fois ? Seule Maria le sait à ce moment. Un très beau roman d'amour.
« Ce fut une longue nuit qui dura pour nous bien après le lever du jour – et qui se prolonge encore. »
Commenter  J’apprécie         250
Paris sous l'occupation allemande.
Marc, jeune étudiant va rencontrer Maria, auxiliaire de la Wehrmacht .
Cette sombre période de l'histoire n'est évidemment pas propice à une relation entre un français et une allemande.
Robert Sabatier raconte avec mesure et pudeur cette tranche de la vie de ce jeune homme qui en devient le narrateur . Le personnage de Maria, tout en nuances est attachant et permet de se rappeler que tous les allemands n’étaient pas forcement des adeptes du Führer.
Une lecture agréable qui se lit avec intérêt.
Challenge ABC 2014/2015
Commenter  J’apprécie         210
L'hiver approchait comme une menace. Cette saison autrefois aimée devenait ennemie. Qu'elle fût défavorable aux troupes allemandes engagées sur le front de l'Est ne suffisait pas à nous consoler. Le froid provoquait un désastre : pour la plupart, l'absence de charbon, de vêtements chauds, de nourriture faisait des mois redoutés des tueurs de pauvres. Les gens se confinaient dans une seule pièce de leur logement, se couchaient habillés, se serraient comme des bêtes en tanière. Les files d'attente devant les boutiques, avec un sergent de ville près de l'entrée, offraient un spectacle lamentable. Jeunes ou vieux, tous n'avaient qu'un seul âge : celui de la misère, des lèvres gercées et des mains blessées d'engelures. La buée qui sortait des bouches me faisait penser à une parcelle d'âme quittant le corps.
« J'espère que tes études n'empiètent pas trop sur ta vie personnelle et que tu sais distinguer ce qui apporte de la jouissance de ce qui jette dans l'ennui. Le bon entretien des futilités et des vices permet d'accéder plus sûrement à la connaissance de soi-même que, comme chez certains, la méditation solitaire, l'esclavage professionnel et la délectation morose... »
Un side-car les précédait portant deux gendarmes reconnaissables à la plaque feld-gendarmerie attachée au cou par un collier de chaînons d'acier comme une marque d'alcool sur une carafe ou un prix de concours agricole sur du bétail. Au carrefour, le passager sautait du siège et réglait la circulation au moyen d'un bâton terminé par un disque rouge. Les soldats avançaient sans que nul les regardât, n'existant que pour eux-mêmes. Étaient-ils conscients de l'absurdité de leur marche ? S'enivraient-ils du bruit de leurs bottes ? Sur l'ordre rauque d'un gradé, ils entonnaient un chant viril et lourd avec des arrêts et des reprises brusques. Les pas rythmaient, chacun d'eux pesant un quintal. Les chants ne parvenaient à aucune oreille pas plus que les yeux ne voyaient cette troupe devenue inexistante parce que les Parisiens le voulaient ainsi.
A ma narration j'ordonne le silence. Pourquoi l'ai-je entreprise ? Par désir d'écrire, de témoigner, de laisser une trace, de... ? Au cours de cette randonnée écrite, je revis intensément ces heures de naguère. A défaut de pouvoir inverser le temps, je retiens ce qui s'éloigne, je prends la fugacité à mes pièges, j'éprouve un sentiment dense et fort, entre attente et plaisir, délabrement et renaissance. Il en naît un espoir insensé - comme si ces lignes pouvaient faire surgir ce que j'ai cherché toute ma vie, un monde endormi, l'autre monde, celui des possibilités d'êtres avortées.
188 - [p. 103]
Jeunes ou vieux, tous n'avaient qu'un seul age: celui de la misère, des lèvres gercées et des mains blessées d'engelures.
"Quelle idée de génie que la publication de cette trilogie de rêve qui m'a fait aimer les livres" - Gérard Collard.
A l'occasion du centenaire de la naissance de l'écrivain et poète Robert Sabatier, les trois romans qui composent Les allumettes suédoises (Les allumettes suédoises ; Trois sucettes à la menthe ; Les noisettes sauvages), sont réunis pour la première fois en un seul volume. Un chef-d'oeuvre à découvrir ou à redécouvrir.
https://lagriffenoire.com/les-allumettes-suedoises-trois-sucettes-a-la-menthe-les-noisettes-sauvages.html
Recevez votre actualité littéraire (façon La Griffe Noire) en vous abonnant à notre newsletter hebdomadaire :
https://www.lactudulivre.fr/newsletter/
+ Lire la suite