Citations sur Immortelle randonnée : Compostelle malgré moi (361)
La clochardisation du marcheur se fait très vite. Si délicat et policé que l'on parte, on ne tarde guère, sois l'effet du Chemin, à perdre sa pudeur, en même temps que sa dignité.
En partant pour Saint-Jacques, je ne cherchais rien et je l'ai trouvé.
A mesure que la vie vous façonne, vous leste de responsabilités et d'expériences, il paraît de plus en plus impossible de devenir un autre, de quitter le pesant costume qu'ont taillé pour vous vos engagements, vos réussites et vos erreurs. Le Chemin, lui, accomplit ce miracle.
Le bonheur du chemin est fait de ces instants qu'ignoreront toujours ceux qui roulent à grande vitesse, là-haut, sur la chaussée sans obstacle du présent.
Il me semble que le passé doit être laissé à la discrétion d'un organe capricieux mais fascinant qui lui est spécialement dédié et que l'on nomme la mémoire. Elle trie, rejette ou préserve selon le degré d'importance dont elle affecte les événements. Ce choix n'a que peu à voir avec le jugement que l'on porte sur l'instant. Ainsi des scènes qui vous ont paru extraordinaires, précieuses, disparaissent sans laisser de trace tandis que d'humbles moments, vécus sans y penser, parce qu'ils sont chargés d'affects, survivent et renaissent un jour.
Le Chemin est d'abord l'oubli de l'âme, la soumission au corps, à ses misères, à la satisfaction des mille besoins qui sont les siens. Et puis, rompant cette routine laborieuse qui nous a transformés en animal marchant, surviennent ces instants de pure extase pendant lesquels, l'espace d'un simple chant, d'une rencontre, d'une prière, le corps se fend, tombe en morceaux et libère une âme que l'on croyait avoir perdue.
Bref, en quittant le domaine du rêve et du fantasme, le Chemin apparaît brutalement pour ce qu'il est: un long ruban d'efforts, une tranche du monde ordinaire, une épreuve pour le corps et l'esprit. Il faudra batailler dur pour y remettre un peu de merveilleux.
J’ai examiné avec froideur ce que littéralement je porte sur le dos. J’ai éliminé beaucoup d’objets, de projets, de contraintes. J’ai essayé de m’alléger et de pouvoir soulever avec moins d’efforts la mochila* de mon existence. [* sac du pèlerin]
Il est une règle qui ne souffre pas d'exception : chaque fois qu'un projet artistique est soumis à l'arbitrage d'un grand nombre, la banalité et la laideur prévale. La collégialité, en matière artistique, c'est l'eau tiède.
Et l'on commence à comprendre que les merveilles du Chemin existent bien, mais qu'elles ne sont pas permanentes. Il faut les chercher, certains diront les mériter. Le pèlerin ne marche pas avec en permanence sur les lèvres le sourire extatique du sahdou indien. Il grimace, peine, jure, se plaint et c'est sur ce fond de petites misères permanentes qu'il accueille de temps en temps le plaisir, d'autant plus apprécié qu'il est inattendu, d'une vue splendide, d'un moment d'émotion, d'une rencontre fraternelle.