Immortelle randonnée : Compostelle malgré moi

Sous les rafales de vent, les embruns salés et la pluie froide, le marcheur connaît dans ces moments d'intempéries plus d'émotion que devant les couleurs d'un jour ensoleillé. L'impression d'appartenir à la nature sauvage, de se fondre en elle, de lui résister tout en sachant que, si elle insiste, on se laissera rouler par les vagues ou emporter par les bourrasques, est une volupté rare. Tous ne la ressentent peut-être pas, mais la race des pèlerins du mauvais temps existe bel et bien et j'ai le privilège d'en faire partie.

cette Galice qui assiste au naufrage du soleil dans les eaux atlantiques.

Rien n'avait disparu. C'est une erreur ou une commodité de penser qu'un tel voyage n'est qu'un voyage et que l'on peut l'oublier, le ranger dans une case. Je ne saurais pas expliquer en quoi le Chemin agit et ce qu'il représente vraiment. Je sais seulement qu'il est vivant et qu'on ne peut rien en raconter sauf le tout, comme je m'y suis employé. Mais, même comme cela, l'essentiel manque et je le sais. C'est bien pour cela que, d'ici peu, je vais reprendre la route.

À l'avancée horizontale très lente de la marche s'ajoute cette descente non moins progressive dans l'opinion qu'on a de soi-ou plutôt que les autres ont de vous. Car il est assez trivial de dire (mais assez rare d'éprouver soi-même) que l'extrême humilité est une des voies de l'orgueil. À mesure qu'il se diminue, le pèlerin se sent plus fort et même presque invincible. La toute puissance n'est jamais loin de la plus complète ascèse. C'est en réfléchissant à cela qu'on approche peu à peu le véritable secret du Chemin, même s'il faut encore du temps pour le découvrir.

L'esprit du chemin est bien là, dans ce désir de parcourir le monde pour le fuir et de retrouver les autres là où il n'y a personne.

Le pèlerinage est un voyage qui soude ensemble toutes les étapes de la croyance humaine, de l’animisme le plus polythéiste jusqu’à l’incarnation du Verbe. Le Chemin réenchante le monde. Libre à chacun, ensuite, dans cette réalité saturée de sacré, d’enfermer sa spiritualité retrouvée dans telle religion, dans telle autre ou dans aucune.

Sous les rafales de vent, les embruns salés et la pluie froide, le marcheur connaît dans ces moments d'intempéries plus d'émotion que devant les couleurs d'un jour ensoleillé. L'impression d'appartenir à la nature sauvage, de se fondre en elle, de lui résister tout en sachant que, si elle insiste, on se laissera rouler par les vagues ou emporter par les bourrasques, est une volupté rare.

La seule animation était un café-tabac-épicerie dans lequel je me séchai et engloutis un copieux sandwich.
Une cliente toute vêtue de noir, ridée et coiffée d’un chignon gris, me demanda si j’étais français. Elle parlait notre langue à la perfection, avec un accent qui mêlait la gouaille parigote et les rugosités espagnoles. Les Batignolles lui manquaient. Pendant les trente années qu’elle y avait passées, elle n’avait cessé de rêver à son village au pied de la montagne. Et, depuis qu’elle y était retournée, le métro, la place Clichy et les bistrots auvergnats hantaient ses nuits.
Elle s’emplit auprès de moi d’une bouffée d’air parisien, me fit parler des lieux qu’elle connaissait, pour savoir s’ils avaient changé. Je retrouvai l’antique fonction des pèlerins du Moyen Age qui colportaient les nouvelles et reliaient les mondes.

Le pèlerin aime sentir qu'il met ses pas dans ceux de millions d'autres, qui ont emprunté le même parcours pendant des siècles.

… l'extrême humilité est une des voies de l'orgueil.