L'homme du hasard

Tout lecteur de Babelio en a rêvé, Yasmina Reza, grande prêtresse de la mise en abyme, l'a fait.

Vous êtes dans un train, vous lisez un livre -non, perdu, ce n'est pas la Modification de Michel Butor- et ce livre, l'Homme du hasard, c'est justement l'homme assis devant vous, sur la banquette de moleskine d'en face, qui l'a écrit..Paul Parsky.

Vous n'osez plus lire son livre devant lui. Vous osez à peine lever les yeux sur l'auteur. Vous brûlez de lui parler enfin, de lui dire votre admiration, mais ce hasard incroyable vous tétanise. Trouverez-vous les mots?

Un texte fort, tendu, à fleurets mouchetés, chacun tâte l'armure de l'autre, et le livre est là, entre eux, comme un pont majuscule et comme un obstacle invisible.

De l'aveu de Yasmina Reza, son texte le plus secrètement autobiographique, quelque chose comme la lettre au père de Kafka.

On le sent, la gravité des mots, l'épaisseur des silences, le dit, le non-dit: tout fait sens.

Et tout reste mystère, difficulté à rejoindre, à dire, à communiquer. Ce qui passait de l'auteur au lecteur , comme un rêve partagé dans la blancheur des pages, est devenu parole dite et conversation. Donc, trahison, piège, approximation...

Vu il y a longtemps, au théâtre Hébertot, avec Françoise Fabian dans le rôle de la femme, et Michel Aumont dans celui de l'homme. Un très grand moment de théâtre.

N°1903– Juin 2024.

L'homme du hasard – Yasmina Reza - Albin Michel

J'ai toujours pensé que les trains sont le lieu privilégié des rencontres les plus improbables. Dans un compartiment, un homme fait face à une femme qu'il ne connaît pas , il n'y a aucun dialogue entre eux et dans le tangage des boggies, chacun regarde le paysage défiler entre Paris et Francfort tout en laissant aller ses propres pensées. Lui ne la connaît pas mais elle l'a reconnu, c'est Paul Parsky., l'auteur du livre qu'elle a dans son sac, « l'homme du hasard » et qu'elle craint de lire devant lui. Elle, Martha, connaît toute son oeuvre et, en pensée elle s'adresse à lui sans qu'évidemment il le sache. Elle lui parle d'elle, de sa vie, de ce qu'elle sait de lui, de ses personnages, de ses livres, de ce qu'elle éprouve en les lisant… Elle s'imagine faisant un bout de chemin avec lui, commence à fantasmer Lui est plein amertume et après l'avoir ignorée en fait autant, après avoir;longtemps hésité, Martha sort son livre et Parsky s'intéresse à elle
c'est une pièce de théâtre mais j'ai plutôt lu ce texte comme un roman avec cette mise en abyme qu'aime Yasmina Reza, avec ce jeu entre les deux personnages, Paul qui ne se déclare pas comme l'auteur et en dit même un peu de mal et Martha qui se lâche.
J'ai lu ce texte comme une rencontre de hasard avec, pour Martha fascinée par l'écrivain et son aura créatrice avec tout ce qu'un simple lecteur prête à un auteur, avec peut-être pour elle une volonté de séduction. Quant à Paul, le fait de voir quelqu'un qui, dans une sorte de huit-clos, lit son dernier livre est à la fois flatteur et frustrant parce lui qui écrit pour lui et dans le secret de son imagination ne voit jamais son lecteur, ne parle donc jamais avec lui, n'a peut-être pas la moindre envie d'en rencontrer un, mais en a l'occasion. Pourtant il est tentant pour l‘auteur, surtout quand ce lecteur est une lectrice, évidemment attirante, de jouer ce jeu de l'anonymat ne serait-ce que pour mesurer ponctuellement l'intérêt de son public et recueillir éventuellement des critiques.
J'ai écouté cette pièce dans son adaptation radiophonique avec les voix de Jeanne Moreau et e Michel Piccoli. Un régal.

Une femme, Martha, voyage de Paris à Francfort en face d'un homme Paul Parsky. Au fond de son sac ; un roman, « l'homme du hasard », qu'elle y laisse Depuis le départ, aucun des deux ne s'adresse la parole. Pourtant, l'homme du hasard, pour Martha, c'est lui, Paul Parsky, installée en face d'elle et dont elle a lu tous les livres.
La pièce va tourner autour de cette rencontre et de leur dialogue intérieur. Chacun d'eux n'ose se dévoiler à l'autre.
Pourtant elle sait que cet homme, elle pourrait le suivre dans sa vie. Et… elle n'y tient plus, elle sort le livre. Sa réaction ? Il s'interroge : Sait-elle qui elle a en face d'elle ? L'a-t-elle reconnu ?
Elle s'était fait une promesse, dix minutes auparavant… Elle le guette.
Excellente pièce de la non moins briante Yasmina Kadra.

Dans L'homme du hasard, Yasmina Réza une fois de plus, explore avec délicatesse les pensées de ses personnages.
Un homme, une femme dans un train se font face à face et Yasmina Réza donne vie à leurs pensées. Les pensées de l'un et de l'autre surfent sur le passé, le présent et le futur.
L'homme, Monsieur Parsky, écrivain, pense aux femmes, à sa fille et s'interroge sur la femme en face de lui « qui ne lit rien ». Et la femme s'interroge sur cet homme qu'elle a reconnu. Elle lui parle en pensée. Elle lui raconte sa vie, ses amitiés, son envie d'échanger avec lui.
Mais les pensées ne suffisent pas et si les âmes se croisent, le réel pour discuter ne s'impose pas.
Martha engagera-t ‘elle la conversation avec cet écrivain reconnu ?
Une situation commune, un face à face dans un train où chacun se laisse bercer par ses pensées mais toujours avec un oeil sur l'autre, une pensée pour l'autre. Yasmina Réza a su trouver les mots.
Une écriture simple. Une douceur, une poésie s'en dégagent.
A lire et à relire !

Je me lance enfin dans un théâtre beaucoup plus récent que du Racine ou autres, et je ne suis pas déçue !

Cette première lue de Yasmine Reza est particulière, mais vraiment intéressante et envoûtante dans sa manière de décrire si précisément une situation si banale du quotidien : deux personnes, un homme et une femme, dans un compartiment d'un train qui ne savent pas comment s'aborder. Leurs pensées sont cousues et décousues, complètement représentatives de ce que chaque homme peut penser face à quelqu'un qu'il connaît ou reconnaît. Je n'avais pas tout de suite saisi qu'ils ne parlaient pas, me demandant pourquoi c'était aussi décousu, mais c'était plaisant à lire quand j'ai compris.