Il est des cadeaux qu'un enfant fait à sa mère : les colliers de perle, les bisous, les bonnes notes à l'école aussi. Voire, une bru attachante mais néanmoins discrète.
Puis il est un cadeau inestimable. Celui de lui dire, et de lui écrire, après sa mort, Je t'aime.
Le pitch peut sembler lugubre de prime abord. En ces périodes de morosité, lire un livre qui parle d'une femme, rentrée chez elle pour mourir, n'a rien de réjouissant. Surtout lorsque le printemps est enfin arrivé, avec toute cette vie qui recommence : les fleurs sortent de leur timidité, les arbres verdissent, et les jupes raccourcissent. Et ce futur qui s'entrevoit : on fait quoi cet été ?
Et pourtant, j'ai sélectionné ce livre dans le cadre de l'atelier Premier Chapitre, organisé par Babelio, lors du salon du Livre qui vient de s'achever. L'idée ? L'éditeur vous transmet uniquement le premier chapitre, puis vous invite à une rencontre avec l'auteur.
Evidemment, j'ai aimé cette mise en bouche, et me suis jetée au stand Phébus pour acheter l'ouvrage…
Mattia, le fils, ramène donc sa mère chez elle, dans la maison familiale, suite à une longue hospitalisation. Elle est cancéreuse et multirécidiviste. L'auteur distille des souvenirs d'enfance pour les mettre en parallèle avec la réalité. Celle qui prend soin de sa mère au quotidien. Comme une mère prend soin de son bébé. Le bain, les couches, les repas …
Le récit est fragmenté et aéré.
Il ne tombe pas dans la pitié, mais nous comble avec pudeur des instants de vie, qui tentent de se raccrocher à la mère, qui perd peu à peu la sienne.
Faut-il vraiment dire la vérité ? Que tout sera fini ? Que non, maman, si tu es sortie de l'hôpital, c'est que tu vas aller mieux. Mentir, pour mieux se protéger. Pour feindre une vie normale et refuser la vérité.
J'ai lu ce livre en quelques heures seulement. Ne pouvant m'arracher à ce récit romancé si touchant, si vrai, parce qu'autobiographique.
Arrivée pratiquement au bout de ma lecture, Marco Peano a fini par m'arracher une larme, alors que les autres corps, si prétentieux de vie quand je lisais la mort, me collaient dans cette rame de métro bondée. Était-ce à cause de cette belle couverture aux larmes de couleur pastel ? Comme si le livre lui-même avait un trop plein d'émotion et en parsemait de ci de là à celles et ceux qui veulent bien poser leurs yeux sur lui, tel un vase communicant bien vivant.
Le jeune Mattia s'accrochera jusqu'au bout à la possibilité d'un rebondissement. Que non, sa mère ne va pas mourir. Ne peut pas mourir. Ne lui avait-elle pas donné la vie ? Après la mort tant redoutée et refusée par le fils, il s'attachera au moindre détail en rapport avec elle, comme si son avis de décès, les restes de confiture ou son message d'accueil de répondeur maintenaient ce cordon entre elle et lui. Elle et le monde du vivant. Elle existe encore, vous ne voyez pas ?
Ne vous méprenez pas, ce n'est pas tant la mort, son annonce, et l'après, qui m'a fait sangloter. Mais c'est tout l'amour que Marco déverse délicatement au fil des pages. Cet amour parfois invisible, car commun, cet amour inaltérable, car de sang fraternel.
Il dépose avec délicatesse et beaucoup de respect des souvenirs, parfois emplis de souffrance mais toujours épris d'affection par ses mots. De l'amour d'un fils, à sa mère, sans effusion.
J'aurais voulu que cette lecture ne s'arrête pas, accrochée au souffle de la mère.
Et pourtant, aucun spoiler possible si je vous disais que le mot FIN a pourtant été inéluctable, pour elle, comme pour moi.
Chose étrange, habituée à parapher, à corner, à tordre les page - les livres ne sont parfois pas épargnés entre mes mains - j'ai pris soin de ce livre comme si j'en avais l'exemplaire unique dans les mains. Comme si l'abîmer altérerait le souvenir de la mère de Mattia.
Marco Peano ne fait pas que raconter son histoire. C'est un auteur, un écrivain, un romancier.
Il a su rendre poétique l'agonie, la mort, et la continuité de la vie.
Celle de Mattia, car n'a t-il pas un boulot, une petite amie, un dessein de vie ?
Ce fut un moment intense de pouvoir écouter et converser avec l'auteur, si humble et timide, lors du salon du livre.
J'ai une requête particulière à Babelio, Guillaume Teissere, Pierre Krause, et toute la Magic Team.
Evidemment, les cinq étoiles sont de mise pour cette perle littéraire. Mais, aurais-je l'audace de demander une évolution à votre interface ?
Celle de mettre à disposition une 6ème étoile, l'étoile coup de coeur. L'étoile du livre à emmener sur une île déserte, du livre à garder précieusement, pour le lire au fil des décennies. Et à transmettre, comme le plus beau des héritages, bien plus précieux qu'une bague de fiançailles de la grand-mère.
L'invention de la mère mériterait cette ultime étoile, sans hésitation.
Mille mercis à Babelio et aux éditions Phébus.
Gracie mille, Marco Peano.
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Certes , ce livre aborde un sujet des plus tristes (la mort d'un être cher, sa propre mère), mais il ne tire pas du tout dans le mélodrame. le narrateur nous raconte avec une grande sincérité (et une certaine simplicité) la façon dont il a vécu l'annonce de la maladie de sa mère, comment il l'a accompagnée dans la maladie et jusqu'à sa mort.
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Tous les mots du monde
Mattia et la mère, chacun étendu sur son lit, comme deux amants dont le désir a été émoussé par l'habitude, sont l'extension et l'origine de tout ce qui l'entoure. C'est un nouveau temps refoulé. La mère et le fils, à présent, uniquement grâce aux mots, sont entrain de créer l'univers. (p.242)
(Le mot -vivre- lui semble plus précieux que jamais, il désire l'avaler, le mélanger à sa salive, le découper en morceaux avec ses dents pour le déglutir ensuite, le faire sien, l'ingérer, l'assimiler- ne plus le restituer au monde) (p. 28)
Mattia aime bien s'ennuyer dans la boutique. Il sait qu'il ne pourrait pas y rester indéfiniment, que c'est seulement une pause dans son existence: une manière lâche de passer du temps; le temps avec rien, c'est tout de même vivre. (p. 27)