Madame Arnoul, folio 130 p. prix France-Inter 1995
Une enfance algérienne.
Plus qu'un récit, c'est par
Jean-Noël Pancrazi, une évocation de l'Algérie d'avant la guerre, tableau assez idyllique, nourri de sensations de l'enfance (couleurs, goûts et parfums) avant les attentats puis le départ précipité vers la France, suscité par « une peur collective ».
La « Maison » du narrateur abrite une petite communauté d'Européens de diverses conditions, où, malgré une convivialité de façade, les classes sociales conditionnent les rapports humains :
« Monsieur Vizzavona, avec le dédain apitoyé de meneur de communauté [..] jugeait qu'on s'apparentait aux indigènes - ou qu'on risquait de dériver vers eux - dès lors qu'on ne respectait pas au moins une apparence d'aisance ou de désinvolture financière, qu'on n'adoptait pas ce fameux « coulage » en matière de lumières de vêtements et de voiture qui était pour lui le garant d'une suprématie européenne et devait en assurer la pérennité. »
L'enfant ressent et transmet les impressions d'alors, en particulier une affection réciproque avec
Madame Arnoul : ils comprennent leurs silences et entretiennent une discrète complicité journalière. Leurs confidences sont muettes, et se traduisent par le réconfort mutuel qu'ils s'assurent en permanence.
« le soir où il m'avait semblé distinguer des dizaines de corps enflammés qui dévalaient les pentes de
la montagne d'Aïn Timor avant de basculer et de disparaître dans le noir des anciennes carrières de marbre, le vent de soufre, de bois et de chairs brûlés qui atteignait la terrasse me glaçait d'une colère impuissante et triste que seule atténuait la main de
Madame Arnoul, venue sans un mot se placer à mes côtés. »
A l'école une amitié précieuse avec
Mohammed Khaïr-Eddine ( ce n'est pas le poète marocain) crée une autre oasis affective, consciente du fossé matériel et mental entre les deux communautés.
« Tous deux étaient heureux d'affirmer une égalité dont personne ne voulait autour de nous. Nous nous inventions ainsi une petite république à deux, une enclave de paix, un pays rêvé où il n'y aurait que des classes à l'infini, où la seule rumeur serait celle du crissement des craies sur les ardoises et les seuls drapeaux ceux dessinés à fêter les élèves qui, montant sur une tribune, tiendraient leur diplôme de bourse blotti contre le coeur. »
J'ai apprécié la finesse de touche de l'écrivain, son approche nuancée sur les soldat français du contingent, son habileté à traduire l'implicite, notamment dans ses amitiés et les choix de société de
madame Arnoul.