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Dans le Dorset, au creux de la campagne environnant Dorchester, entre champs de blé et pâturages, une demeure se dissimule derrière des murs de briques et de hauts pins noirs. Un endroit isolé, sans électricité, où seules des lampes à pétrole percent l'obscurité.
Dans l'allée menant à la maison, on a pu y voir un vieil homme aidé d'une canne, un terrier nommé Wessex (ou Wessie pour les intimes) trottant sur ses talons. C'était à l'hiver 1924 et le célèbre écrivain Thomas Hardy avait alors quatre-vingt quatre ans.
Christopher Nicholson, s'appuyant sur des personnes qui ont bel et bien entouré le vieil homme, a fait courir son imagination pour percer les murs de cette demeure isolée et entrer dans l'intimité d'un couple au moment où le grand roman Tess d'Uberville doit se jouer par une compagnie d'amateurs dans un théâtre de Dorchester. C'est sûrement poussé par le désir de voir la jeune et belle Gertrude Bugler dans le rôle de Tess que l'écrivain a consenti si tardivement à l'adaptation théâtrale de son roman.
Pour relater cet épisode fictif de la vie de Thomas Hardy, l'auteur d'Hiver a fait le choix d'un narrateur omniscient en ce qui concerne le grand écrivain mais il a donné la parole à sa femme, Florence, ainsi qu'à Gertrude. Est-ce par humilité, par profond respect, qu'il n'a pas voulu parler en lieu et place de Thomas Hardy ?

Thomas Hardy se retire chaque matin, après sa promenade suivie du petit-déjeuner, dans son cabinet de travail, un châle sur les épaules. Il ne rompt jamais avec les habitudes, c'est le secret de sa productivité littéraire. le corps fatigue, l'inspiration se fait capricieuse ces deniers temps mais il ne renonce pas à écrire des poèmes. Il ne peut, non plus, renoncer à admirer la beauté féminine et le rayonnement, la joie de vivre de Gertrude suscitent chez lui une admiration sans bornes pas loin d'un ultime sentiment amoureux. Il se prend à rêver sur des circonstances différentes qui auraient pu les réunir. Son imagination d'écrivain anime la jeune femme dans ses pensées jusqu'à la confondre avec le personnage de Tess. Pour lui, elle représente l'incarnation même de Tess et pour cause puisqu'elle le renvoie des années en arrière à une fugitive rencontre, celle d'une très belle laitière entraperçue dans la brume matinale lors d'une promenade. La jeune fille d'alors répondait à la quintessence de la beauté pour l'écrivain et lui a inspiré le personnage de Tess. Cette jeune fermière s'avère être la mère de Gertrude.

Mais Thomas vit avec Florence, sa seconde femme, qui n'a que quarante cinq ans et vient de se faire opérer d'une excroissance au niveau du coup. Elle est chétive, maladive, hypocondriaque et aigrie, sa jalousie vis-à-vis de Gertrude va éclater tout au long de son récit. Elle pointe le caractère obstiné de son mari et gémit sur son manque d'attention envers elle. Ses plaintes portent de manière récurrente sur les arbres qui cernent la maison, mangent la lumière et l'oppressent. Mais Thomas Hardy, sensible à la nature, ne veut pas entendre parler d'élagage. À travers ses paroles, bien souvent excessives et pleines d'une jalousie maladive, elle sort tous les griefs éprouvés contre son mari et ne reconnaît pas sa compréhension de la psychologie féminine que les autres admirent chez lui. Elle lui est pourtant toute dévouée mais n'est pas payée en retour.
La véhémence de Florence ira crescendo, et en dénigrant la pièce et ses interprètes, notamment Gertrude, elle en deviendra odieuse.

Alors quel homme était finalement Thomas Hardy ? Celui plein de sollicitudes dont nous parle Gertrude ou l'homme égoïste qui ressort des propos de Florence ?
Ces pages nous le montrent solitaire, profondément épris de la campagne, d'une sensibilité touchante au monde naturel qui transparaît dans son attachement aux arbres et son refus de les mutiler. Christopher Nicholson nous livre ici des passages très émouvants sur les arbres. Hardy était aussi entièrement tourné vers sa production littéraire, souvent mélancolique, refusant mondanité et modernité et considérant l'espèce humaine comme une nuisance.
Face à sa femme et ses crises émotives, il ne constate que l'impossibilité d'une vie heureuse au sein du mariage. L'amour durable peut-il exister ? Un sujet qui emplit ses romans, « l'amour et ses illusions ».

Lecture contemplative mais pleine de profondeur, qui mêle avec pudeur l'admiration et la reconnaissance de Gertrude pour l'écrivain et son oeuvre, l'amertume de sa seconde femme qui vit dans l'ombre du travail de son mari et à l'ombre de ses arbres et enfin la constance, l'attachement à sa routine d'un vieil homme qui n'a plus beaucoup d'hivers à vivre. Ce roman intimiste sur un écrivain que j'affectionne particulièrement est plutôt mélancolique, à l'image des derniers poèmes de Thomas Hardy. Les craintes du vieil homme, en ce qui concerne la pièce de théâtre, montrent l'importance de ses écrits dans sa vie. Dans les journées brumeuses merveilleusement dépeintes par l'auteur, on se laisse inévitablement gagner par l'atmosphère de cet hiver 1924.
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Thomas Hardy a 84 ans. Il mène des journées sans surprise auprès de sa seconde épouse, Florence, suivant une routine salutaire. « Lorsqu'il était assis à son bureau, la plume à la main, il ne se sentait pas vieux. » (p. 15) Ses chefs-d'oeuvre sont derrière lui et sa renommée n'est plus à faire. Pour autant, le vieil écrivain ne conçoit pas de passer une journée sans écrire, même quelques mots, quelques idées volées à l'inspiration. « Quand il prenait en considération les manières possibles de conclure son séjour terrestre, l'idée d'être à son bureau, alors que séchait l'encre des derniers pots d'un ultime poème, lui paraissait somme toute agréable. » (p. 16) La paix de ses journées est ébranlée par Gertrude Bugler, une jeune habitante du village : actrice dans la troupe locale de théâtre amateur, elle reprend le rôle de Tess d'Urberville, l'héroïne dont Thomas Hardy est le plus proche. Et c'est à s'y méprendre que Gertrude ressemble à Tess. Peut-être parce que Thomas s'est inspiré de la mère de Gertrude pour écrire son personnage. Peut-être parce que, comme le poète Shelly, Hardy n'a jamais cessé de chercher son idéal féminin. « Soupirant en lui-même, il se demandait s'il aurait jamais d'occasion de lui montrer à quel point elle était proche de son coeur. Leur différence d'âge semblait rendre cette révélation impossible ; il n'en restait pas moins qu'il y avait entre eux une parfaite réciprocité de pensée et de sentiment. Telle était du moins l'impression du vieil homme. » (p. 39)

Gertrude est pleine de talent et elle incarne une Tess d'Urberville convaincante, à tel point qu'un projet de pièce à Londres voit le jour. Cette agitation et l'admiration non dissimulée que son mari porte à l'actrice sont loin de plaire à Florence. Déjà épuisée de lutter contre le spectre de la première épouse et d'attendre sans cesse des preuves d'affections à son époux, Florence glisse dans une tristesse et une aigreur grandissantes. « Pourquoi ne penses-tu jamais à moi, toi qui est censé si bien connaître la psychologie féminine ? J'existe, moi aussi, tu pourrais avoir quelques égards pour moi ! » (p. 61) Thomas considère qu'elle est toujours malade et fragile alors qu'elle ne voulait qu'écrire, comme lui, et fonder une famille. Persuadée d'avoir sacrifiée sa jeunesse à un homme égoïste, Florence va demander le plus grand sacrifice à Gertrude qui n'a aucunement conscience du brasier qu'elle a allumé.

Thomas Hardy est présenté comme un vieil idéaliste réfractaire au progrès : pas de téléphone ou d'automobile chez lui alors que les années 1920 sont déjà là. On retrouve ici la vision romantique et idyllique que cet auteur avait de la campagne, présentée comme un havre loin de l'agitation des villes. La nature seule semble être en mesure d'être le théâtre des sentiments et des vérités. Mais à l'image des arbres trop épais et trop grands qui entourent la maison et font rempart à la lumière, la nature peut aussi un piège où les esprits fragiles s'étiolent. J'ai souvent pensé à l'oeuvre magnifique d'Henri Purcell, Ô solitude, en lisant ce roman. Thomas, pris dans les feux de sa dernière passion, et Florence, étranglée de jalousie et de regrets, sont des personnages très solitaires à qui il manque une chose : la capacité de jouir de cette solitude.

Comme dans les romans de Thomas Hardy, le texte de Christopher Nicholson révèle une violence intérieure, une brutalité intime que les personnages s'infligent : leurs tourments, en n'étant pas exposés, prennent des dimensions dantesques, destructrices. Et les monologues silencieux sont autant de sentences définitives sur soi et les autres. Ces prises de conscience intimes sont des séismes qui renversent les personnages et auxquelles le lecteur assiste, muet et saisi comme devant un drame antique.

Avec des chapitres qui alternent entre les différents narrateurs, ce roman offre un portrait facetté de Thomas Hardy, tel un diamant très travaillé : l'homme n'est beau que parce qu'il est pluriel et complexe. Avec quelle compassion le lecteur accompagne le vieil homme lorsque celui-ci comprend qu'il est trop âgé pour la passion, que la passion même n'a que faire des sycophantes amoureux.

Faut-il que j'en dise beaucoup plus pour que vous compreniez que j'ai été profondément émue par ce roman ? Un dernier mot : lisez les romans de Thomas Hardy, ce seront des moments de grâce.
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Un vieil écrivain de 84 ans qui vit un peu reclus dans sa maison du Dorset et ne parvient plus à écrire sauf parfois un poème, voilà le héros de cette biographie romancée de Christopher Nicholson.

Thomas Hardy, car c'est lui au soir de sa vie, va connaitre un élan amoureux pour une toute jeune femme qui incarne Tess son héroïne fétiche dans une adaptation pour un théâtre amateur.
Florence sa seconde femme ne l'entend pas de cette oreille, lassée de vivre dans l'ombre de son mari, se sentant prisonnière de cette maison et plus encore de ce jardin qu'elle exècre, elle est prête à combattre cet amour qui est pour elle le comble du mauvais goût, amère et d'une jalousie féroce elle va s'opposer de toutes ses forces à la situation.
Je suis une fervente lectrice de Thomas Hardy aussi ai-je hésité à lire ce roman par crainte d'une grosse déception, et bien j'avais totalement tort.

Ce roman est un bonheur de lecture. Christopher Nicholson nous fait entrer dans l'intimité de ce couple, nous réchauffer les mains au feu qui flambe dans la cheminée, partager un instant avec les amis de T Hardy et quels amis ! T.E Lawrence, celui d'Arabie oui oui, Matthew Barrie le père de Peter Pan.

On y voit un homme fasciné par la beauté et la jeunesse de Gertrude Gruber qui se retourne sur son passé avec mélancolie.
L'écrivain aime ses promenades matinales en compagnie de son chien Wessex, il aime sa maison, sa vallée, dans le même temps Florence elle n'est que colère et frustration devant ce vieil homme qui refuse tout progrès, pas de téléphone, pas de voiture ....Elle joue les utilités en répondant au courrier cantonnée aux tâches quotidiennes et vivant dans l'ombre d'Emma la première épouse.

Thomas Hardy se plait devant la page d'écriture
Le roman à trois voix restitue parfaitement l'opposition qui nait entre mari et femme, entre Florence et Gertrude, Thomas Hardy apparait profondément égoïste centré sur son oeuvre et bien loin des sentiments éprouvés par sa femme. La communication est rompue et chacun se replie en proie à une violence intérieure.

Nature et sentiments sont parfaitement décrits, c'est une biographie romancée très réussie et qui me rend tout à fait heureuse d'avoir encore un ou deux romans de Thomas Hardy à lire.


Lien : http://asautsetagambades.hau..
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Il me faut avouer que je n'ai jamais lu de roman de Thomas Hardy et que je n'ai que de vagues souvenirs de l'adaptation ciné de Tess d'Urberville. Ce n'était pas nécessaire, me semble-t-il, pour apprécier ce roman de Christopher Nicholson (déniché à la bibliothèque, ce bleu ensorcelant de Quai Voltaire allié à la thématique Hiver ne pouvait que m'attirer) mais j'aurais bien aimé lire la note du traducteur avant plutôt qu'à la fin du livre : l'épisode romancé ici, celui d'une mise en scène théâtrale de Tess et de l'attrait du vieux Thomas Hardy pour son interprète, au grand dam de sa seconde épouse, est rigoureusement conforme à la réalité. On comprend que le vieil homme s'est surtout consacré à son oeuvre, ses romans puis ses poèmes, à la maison du Dorset qu'il a lui-même construite et dont il n'est pas question de modifier quoi que ce soit, surtout pas les arbres, et qu'il s'est laissé égoïstement aimer par ses deux épouses dévouées. Dans cet hiver physique et symbolique à la fois, le personnage plein de fraîcheur de Gertrude Bugler, la jeune comédienne amateur pressentie pour jouer Tess, donne lui aussi une image très positive du romancier et les manoeuvres jalouses de Florence (la seconde épouse) n'écorneront pas vraiment celle-ci. Dans ce contexte pesant, on perçoit d'autant plus le piquant passionnel de la crise de paranoïa de Florence.

L'analyse minutieuse et subtile des relations au sein du couple Hardy, le regard du vieux romancier sur la création, sur son oeuvre passée (le roman se passe en 1924 alors que Thomas Hardy a publié son dernier roman en 1897), son rapport aux femmes en général, le lien entre l'oeuvre et la vie sont vraiment très bien rendus par Christopher Nicholson, qui ne manque pas d'humour caustique, mais il me faut avouer que je me suis ennuyée parfois, sans doute oppressée moi aussi par l'emprise de l'hiver et des arbres sur cette histoire parfois un peu longuette. (Remarquez que l'objectif est paradoxalement atteint…)
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Hiver mais quel triste titre de roman...En effet, si l'on se réfère au nombre de fois où cette saison froide, glaciale a été citée dans le roman comme un ressenti lugubre et sombre de la part des personnages eh bien je n'ai pas été convaincue par ce qu'a voulu nous écrire l'auteur.
Pourtant, il a essayé de rester au plus près de la réalité concernant les dernières années de Thomas Hardy mais, et cela n'est qu'un avis personnel, je n'ai pas le sentiment que ce cher Thomas Hardy ressemblait aux romans qu'il a bien voulu écrire... je n'y crois pas. Nous avons là un portrait d'un couple bien triste et amer aussi.
Je me suis ennuyée sur pas mal de pages, trop de longueurs, des personnages trop sombres, des descriptions extérieures tristes aussi et pourtant en hiver, ce n'est parce qu'il fait froid ou humide que tout est négatif.
En tout cas ce n'est pas ce qu'on trouve chez Thomas Hardy donc je referme ce livre et reste sur mon merveilleux ressenti au travers de ce que lui, a bien voulu nous faire partager avec ses romans qui sont des chefs d'oeuvres.
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Dorchester.Hiver 1924.Max Gate,une grande maison à l'écart de la ville, ceinte d'un mur de briques qui la cache aux regards , un jardin planté de pins et de chênes majestueux . Poussons la porte et suivons ce vieil homme qui, la canne à la main, regagne sa demeure accompagné de son fidèle terrier, Wessex.
Chaque matin, il s'impose une promenade matinale puis il va prendre son petit déjeuner avec sa seconde épouse, une fois fini, le plus souvent dans le silence il se dirige vers son bureau, s'assied dans un fauteuil à la tapisserie râpée , s'emmitoufle dans un vieux châle confectionné par sa première épouse Emma et se saisit de sa plume, le voilà au travail.
Christopher Nicholson, nous propose dans Hiver de plonger dans l'univers de Thomas Hardy marié en secondes noces à Florence Emily Duggdale de 39 ans plus jeune. Florence est une femme fatiguée par une intervention au cou (thyroïde?) , aigrie, mélancolique je dirais même neurasthénique qui ne peut supporter de vivre loin de la ville , dans le froid de l'hiver du Wessex et n'ose peu ou pas s'exprimer devant son idole!
Pour l'heure, Thomas Hardy est fort préoccupé. Il a donné son autorisation à l'adaptation théâtrale de son plus cher roman Tess d'Uberville. C'est une troupe de comédiens amateurs de Dorchester qui va avoir ce privilège et celle qui va interpréter Tess s'appelle Gertrude Bugler qui n'est autre que la fille d' Augusta
Way, la jeune fille qui inspira à l'époque le personnage de Tess !
voilà tous les personnages sont en place ! Quel plaisir de se laisser porter par l'écriture de Christopher Nicholson, de découvrir l'univers de Hardy, de comprendre mieux l'homme pour mieux appréhender l'écrivain et son oeuvre.
Il ne me reste plus qu'à partir à la découverte de Tess ce roman mythique
Hiver est un véritable bijou que les amateurs de Thomas Hardy découvriront avec bonheur mais c'est aussi un très beau livre sur la fin de vie, sur les relations de couple, et sur le besoin d'aimer même à un âge avancé.
Un très grand merci aux éditions Quai Voltaire et à Babélio pour cette très belle masse critique.
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Nous sommes en 1924. L'auteur anglais très célèbre Thomas Hardy est à l'hiver de sa vie; il a quatre-vingt-quatre ans.
Il croit en avoir fini avec la passion qu'il a si merveilleusement évoquée dans ses livres mondialement connus "Jude l'Obscur" et "Tess d'Urberville" dernier ouvrage qui a inspiré le très beau film de Roman Polanski sorti en 1979.
Oui mais tout n'est pas si simple pour ce géant vieillissant de la littérature.
Veuf inconsolable de sa première épouse Emma Lavinia Gifford, il poursuit sa quête de l'idéal féminin, chère à tout artiste.
Cette femme idéale va prendre les traits de Gertrude Bugler, comédienne, dont la mère, Augusta Way, fut le modèle de Tess, la tragique héroïne que beaucoup d'entre nous gardent en tête; une héroïne abusée pendant sa jeunesse puis rejetée plus tard par l'homme qu'elle aime, en raison de son passé, inadmissible à l'époque.
Les personnages du livre ont tous existé.
La seconde épouse de l'écrivain, Florence Emily Dugdale, est décrite sans complaisance; elle jalouse continuellement l'épouse décédée de l'auteur, dont elle ne parvient pas (malgré tous ses efforts!!)) à prendre la place.
Les personnages secondaires évoqués dans ce roman sont importants d'un point de vue historique: T.E. Lauwrence (1888-1935) , plus connu sous le nom de Lawrence d'Arabie; J.M. Barrie, l'auteur de Peter Pan, la comédienne très réputée à l'époque Sybil Thorndike.
Biographie et roman s'entremêlent, ce qui fait la richesse du récit.
Récit qui montre bien les influences qui ont marqué Thomas Hardy et notamment tout le courant "réaliste" de la génération qui a précédé la sienne avec Dickens, les soeurs Brontë et George Eliot.
Ce livre est une très belle évocation d'un écrivain qui a marqué l'époque victorienne.
C'est le troisième roman de Christopher Nicholson et le premier à être traduit en français.
Christopher Nichoson est anglais et producteur de documentaires pour la télévision.
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Hiver, troisième roman de Christopher Nicholson (producteur anglais de documentaires pour la télévision), est le premier à être publié en France. La traduction est l'oeuvre de Lucien d'Azay.
Hiver, « si imaginaire qu'il soit, […] s'inspire rigoureusement de la réalité […] » comme nous le confirment les notes du traducteur en fin de roman. Il est découpé en 4 parties, possède 12 chapitres de taille inégale pour un total de 320 pages relativement denses. Un bandeau avec une superbe photo hivernale d'une demeure campagnarde au recto et des critiques de David Lodge, John Boyne et du Boston Globe au verso entoure le livre. Il paraitra le 08 Octobre prochain.
Je remercie Clara Robert et les éditions de la Table Ronde pour cet envoi.
Durant l'hiver 1924, Thomas Hardy, célèbre écrivain anglais âgé de 84 ans, vit à Max Gate, sa demeure immense et arborée qu'il a lui-même construite près de Dorchester dans le Dorset, avec sa seconde femme Florence et leur chien Wessex. Son épouse, 45 ans, est en relative mauvaise santé suite à une grave opération. La vie du couple est mouvementée et se retrouve encore plus perturbée avec la première mise en scène théâtrale au village de Tess d'Uberville, un des romans majeurs de l'auteur. Gertrude Bugler, Gertie, belle jeune femme ambitieuse de 27 ans, incarne avec talent et brio le rôle de Tess. Si Thomas Hardy tombe littéralement sous son charme, à l'opposé, Florence verse dans la paranoïa et éprouve une jalousie maladive envers elle.
Christopher Nicholson nous offre ici une biographie romancée assez atypique d'un moment de vie de Thomas Hardy. Elle est en tout cas non conventionnelle car elle s'apparente davantage à une conversation à trois, sorte de jeu de rôle et de questionnements, entre l'auteur célèbre et les deux femmes qui l'entourent (personnages réels), le tout sur 3 générations différentes.
Pour cela, Christopher Nicholson utilise différents styles et narrateurs dans son oeuvre. Selon le chapitre, le « je » permettant d'exprimer les réflexions et pensées des personnages est employé par Thomas Hardy, Florence Hardy ou Gertrude Bugler. Deux chapitres plus neutres, plus romanesques, utilisent la 3ème personne. Cela réclame au lecteur de l'attention, rend la lecture plus laborieuse mais offre un récit plus dynamique. Je citerai l'exemple des premiers chapitres où les mêmes événements sont vus du point de vue de Thomas Hardy, puis du point de vue de sa femme : Deux visions différentes et donc intéressantes.
L'écriture de Christopher Nicholson est littéraire, très évocatrice et illustrative. C'est un gros point fort du livre qui rend ce dernier vraiment attrayant.
Les nombreuses descriptions donnent vie au Dorset et permettent au lecteur de s'immiscer dans les lieux de l'intrigue. Par son style, Christopher Nicholson assimile les lieux à un vrai personnage. Il lui donne autant d'importance.
« Les pins d'Autriche s'élevaient au-dessus d'eux, branches déployées, leurs cimes voilées par la vapeur. On entendait partout le perpétuel crépitement musical des gouttes d'eau qui tombaient sur les feuilles sèches. »
« de fait, il semblait au vieil homme que Cockerell était à moitié aveugle à la campagne, incapable de voir davantage qu'une infime partie de ce qu'il y avait à voir. Il était également sourd, dans la mesure où pour lui les bruits des arbres n'étaient que des bruits, alors qu'ils sont, pour le campagnard, une forme de langage expressif : les douces palpitations d'un hêtre, les murmures extatiques d'un bouleau et les soupirs languissants d'un pin se rapprochent tellement de la conversation qu'ils ne sauraient être autre chose. »
De même, les phrases utilisées et les mots employés permettent aisément de faire ressortir l'aigreur, la rancoeur et surtout la jalousie de Florence, épouse aimante réduite à un rôle de faire valoir, de simple secrétaire de l'auteur et qui est prête à tout pour contrecarrer ses plans. Cela rend le personnage rapidement antipathique et détestable.
« La vérité, c'est qu'il ne se donne pas la peine de faire un effort pour moi, sa femme. Moi qui ne fais que des efforts pour lui, moi dont la vie lui est entièrement dévouée, moi qui marche derrière lui sur la pointe des pieds, lui prépare son linge, l'aide à s'habiller, lui fais la lecture pendant des heures tous les soirs et gais tout ce qui est humainement possible pour le rendre heureux, je ne suis pas digne du spectacle. »
« Je n'ai pas envie d'être jalouse, je ne veux pas être jalouse, mais il m'est impossible de ne pas éprouver une espèce de serrement de coeur. Mes nerfs tremblent comme des feuilles et je n'ai aucun espoir de trouver le sommeil. Tout me tombe sur la tête. J'ai quarante-cinq ans et ma vie est en lambeaux. Voilà où j'en suis à présent, voilà à quoi ressemble ma vie. »
« Si seulement elle savait ce que c'est que vivre avec lui, un homme qui préfère la compagnie de sa plume à celle de sa femme, un homme qui aime la solitude au point de tenir froidement sa femme à l'écart de ses pensées et de faire en sorte qu'elle n'ait aucune importance[…] »
L'écriture sert également parfaitement la description des fantasmes du vieil auteur ou illustre parfaitement les aspirations/inspirations de celui-ci, poète, romancier ou homme tout simplement. L'auteur dépeint merveilleusement le lien ténu entre la vie personnelle (reconnaissance, célébrité, argent) et la vie imaginaire (celle qu'il s'imagine de vivre, remplie de fantasmes) de Thomas Hardy au travers des poèmes que ce dernier rédige.
« La fiction avait été pour lui une maitresse généreuse, lui permettant de modeler, d'adapter et d'inventer les personnages et les événements comme il l'entendait ; une biographie, en revanche, était un despote, l'obligeant à coller davantage à la vérité, en ce qui concernai notamment la chronologie et la topographie. Il était bien entendu loisible de s'en écarter ici ou là, et le recours à la troisième personne l'avait aidé en ce sens, comme si la biographie avait été écrite par Florence, mais le résultat manquait de tension et d'harmonie. La vérité n'a pas le caractère rigoureusement ordonné de l'art. »
« Il la voyait se déshabiller tout doucement, un pied posé sur le dessus d'une chaise en osier ; il la voyait vêtue d'un corsage et d'un jupon blancs, en train de dégrafer un de ses bas avec langueur, le déroulant le long du galbe modelé de sa jambe tout en jetant un rapide coup d'oeil oblique dans sa direction. Sa poitrine se soulevait et s'abaissait, et sa chevelure, abondante et lourde, brillait comme un vernis à la lueur des bougies. »
« Il s'était persuadé qu'elle serait une lectrice attentive et que, avec le temps, elle finirait par comprendre certains des mystères les plus profonds de son art. Sur ce point, il s'était trompé ; Comme Emma, et même davantage encore qu'Emma, elle n'avait pas cessé de lire un poème comme s'il s'agissait d'un tract scientifique. Elle était pareille au lépidoptériste ; elle interprétait littéralement tous les mots et les expressions que traçait la plume du vieil homme comme un exposé de son moi intérieur. Il avait eu beau s'évertuer à lui expliquer, elle n'était pas parvenue à comprendre qu'il n'était pas « je » et que « je » n'était pas lui. le rapport entre lui et ce « je » était certes étroit ; ils étaient des frères de sang, mais les frères sont souvent fort différents. S'il écrivait un poème où il parlait de s'enfuir en compagnie de Gertie, ce n'était rien qu'une fleur de désir. »
Je n'ai jamais lu d'oeuvres de Thomas Hardy, je ne pourrai donc pas comparer ce récit avec l'univers de ce dernier. Néanmoins j'ai beaucoup apprécié Hiver qui me donne très envie de découvrir Tess d'Uberville par exemple. Ce roman est une belle porte d'entrée pour cela.
Comme je le disais préalablement, cette lecture n'est pas fluide dans le sens « page turner » du terme (je faisais des sessions de lecture d'une heure environ, pas plus, d'où une durée importante avant de tourner la dernière page), mais elle n'en est pas pour autant inintéressante, bien au contraire. C'est un vrai plaisir de lecture, aussi émouvant, bouleversant qu'agréable, dans lequel les nombreux thèmes abordés nous font réfléchir (certains de manière philosophique) à la vie (passée et à venir), l'amour, le couple, l'avancée dans l'âge, la solitude, la vieillesse, le temps qui passe, l'empreinte laissée à la postérité…
« Comme je l'ai dit, le passé ne cesse de vivre, même si l'on préférerait de beaucoup qu'il n'en soit rien. »
Gertrude Bugler conclut ce bel opus dans le dernier chapitre avec une fin inattendue… où certains événements résument très bien l'état d'esprit des personnages. Je vous laisse découvrir.
Pour être totalement objectif, j'ai eu du mal en début de roman avec certains dialogues et les effets de style associés. La répétition à chaque phrase du verbe dire hache la lecture et m'a rapidement énervé.
Si vous êtes fan de Thomas Hardy, souhaitez le découvrir ou simplement passer un bon moment de lecture, je vous conseille de ne pas passer à côté de Hiver.
4/5


Lien : http://alombredunoyer.com/20..
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Je ne connaissais ni Christopher Nicholson, ni Thomas Hardy et je ne savais donc pas que l'auteur faisait revivre ici un personnage réel.
Je remercie fanfanouche24 pour avoir la bonne idée de l'inclure dans sa liste d'idées cadeaux de Noël. C'est une belle découverte parce que c'est un beau roman.

Thomas Hardy, âgé de 84 ans, décide de faire monter son roman "Tess d'Uberville" sur les planches de Londres, car il a trouvé son héroïne. L'héroîne parfaite pour jouer le rôle de Tess : Gertrude Bugler, âgée de 24 ans. Et ce vieil homme va en tomber amoureux. Amoureux pour la dernière fois de sa vie. Bien sûr, toutes ses pensées, ses rêves de fuite, ses fantasmes, il se les garde pour lui, étant conscient du ridicule de la situation.Et l'auteur nous emmène au plus profond de cet être, au déclin de sa vie, et nous le raconte tout en finesse.

Pour éviter peut-être de ressentir la lassitude du personnage, Christopher Nicholson a trouvé un truc infaillible : un chapitre sur deux, il nous raconte l'homme, puis c'est sa femme, Florence, qui parle et nous fait revivre la même situation à travers son regard à elle. Avec une écriture différente, puisque là, c'est une femme qui parle.
Une femme qui se sent extrêmement seule, désabusée, mais qui est aussi hypocondriaque, jalouse, hystérique. Au début, j'ai ressenti beaucoup d'humour dans ces chapitres. Ensuite, avec l'évolution de l'histoire, beaucoup moins, car le personnage de Florence m'a semblé tellement malheureux et pathétique.

J'ai trouvé que ce livre traitait formidablement bien de la vieillesse, de l'amour, mais aussi de l'attachement et du lien qu'un vieil homme peut avoir avec la nature dans ces paysages isolés de l'ouest de l'Angleterre.
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Le roman s'inscrit au coeur de l'hiver, saison froide et brumeuse dans la campagne du Dorset où vit Thomas Hardy lui même dans l'hiver de sa vie.
L'auteur nous invite à un huis-clos d'une immense tristesse, entre l'écrivain vieillissant et sa seconde épouse et ex secrétaire Florence.
Lui obstiné, casanier, indifférent aux états d'âme de sa compagne.
Elle hypocondriaque et terriblement frustrée qui enrage de ne pouvoir être maîtresse de son destin. le penchant de Thomas Hardy (non payé de retour) pour la jeune interprète de Tess rajoute à l'amertume de Florence.
Contrairement aux avis précédents, je n'ai pas été séduite par l'interprétation de Christopher Nicholson et j'ai trouvé pénible l'atmosphère pesante autour de leur maison isolée et sombre.
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