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sur 466 notes
Quelle mouche a donc piqué Raimund Gregorius, ce solitaire de cinquante-sept ans, pour abandonner sur un coup de tête sa petite vie tranquille, aussi bien réglée que les montres de son pays ?

La juxtaposition de deux événements anodins à quelques heures d'intervalle a déclenché chez lui un besoin immédiat de fuir sa vie banale de professeur de langues anciennes : sa rencontre fortuite avec une jeune femme portugaise un matin pluvieux sur un pont de Berne et la découverte l'après-midi d'un livre d'Amadeu de Prado dont les mots semblent écrits pour lui.

Le voyage via Paris, décidé dans la précipitation, se termine vingt-six heures plus tard à la gare Santa Apolónia non loin de l'embouchure du Tage. le temps de s'habituer à la luminosité de Lisbonne, voici notre Gregorius sur le chemin de l'hôtel avec dans son sac de voyage une grammaire portugaise et le livre d'Amadeu de Prado, « Un orfèvre des mots ».

Lier contact dans la capitale portugaise se fait naturellement pour ce polyglotte qui apprécie la cordialité des lisboètes. Il apprend le lendemain que l'homme dont les écrits l'interpellent jour et nuit, est mort trente et un ans auparavant d'une rupture d'anévrisme et en déduit logiquement que ses cahiers ont été publiés deux ans après son décès par sa soeur aînée qui vénère sa mémoire.
Au travers des gens qui l'ont connu, Gregorius découvre peu à peu la personnalité hors du commun de feu Amadeu de Prado.
Médecin dévoué, combattant de l'ombre sous le régime dictatorial de Salazar, amoureux des mots, pourfendeur de la vulgarité du monde, impitoyablement honnête envers lui-même, le parcours de vie de ce portugais humaniste n'a pourtant pas toujours été apprécié par son entourage, ni même compris parfois par son meilleur ami.

« Train de nuit pour Lisbonne » est un roman d'une grande profondeur philosophique. Les écrits du médecin disparu amènent plusieurs fois le lecteur à s'interroger avec Gregorius sur l'insondable mystère de l'âme, sur la part de solitude inhérente à la nature humaine, sur les illusions que l'on se crée, sur les désillusions qui ouvrent les yeux, sur la capacité de l'homme à entendre la vérité sur lui-même…

L'empathie qu'éprouve d'emblée le lecteur pour Gregorius, professeur quelque peu déboussolé, ne faiblit pas au fil des chapitres. Avec patience et ténacité il essaie de s'approprier la pensée d'Amadeu de Prado comme si le salut de son âme en dépendait.

Pascal Mercier aime Lisbonne et cela se sent dans la manière qu'il a de conduire son personnage à travers les différents lieux de la ville aux sept collines.
J'ai pleinement apprécié les descriptions urbaines de l'écrivain germanophone pour avoir maintes fois ces dernières années arpenté ces rues, ces places, ces quartiers pittoresques…

Paru en 2004, « Train de nuit pour Lisbonne » m'a donné cette semaine le double plaisir d'une relecture passionnante et d'une agréable évasion en territoire connu, loin de la grisaille automnale.
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Arrêtez tout !
Prenez le chemin de la gare la plus proche et sautez dans le premier train pour Lisbonne. Sans valise, sans réfléchir, sans vous retourner.
Pas facile hein. Plus facile à dire sur le mode défi qu'à faire vraiment.
Ah ça, en rêver, nous sommes nombreux à l'avoir fait, mais de là à larguer les amarres sans préavis...les rangs des aventuriers s'éclaircissent subitement.

Et bien, Raimund Gregorius, la cinquantaine solitaire, l'érudit suisse à la vie de prof bien rangée, quitte Berne ainsi, un jour, précipitamment, sur les traces d'une jeune portugaise qu'il vient d'empêcher de se suicider et qui a perdu un livre. Pas n'importe quel livre bien sûr, un personnage à part entière : il porte un titre séduisant pour un intellectuel, " Un orfèvre des mots ", écrit par un jeune médecin portugais, Amadeu de Prado. Ses écrits émeuvent fortement Raimund au point de le pousser à partir sur les traces de son auteur, en quête de réponses peut-être à toutes les questions existentielles que soulève l'ouvrage, à la découverte de lui-même aussi, comme le suggère, entre autres, cette phrase toute simple " Se comprendre : est-ce une découverte ou une création ? " qui m'a interpellée, aussi.

Attention cependant : amateurs de romance, de rythme échevelé s'abstenir. Vous n'êtes pas monté à bord d'un TGV avec Raimund ! Certes, ce roman réserve de nombreux rebondissements qui maintiennent vraiment le lecteur en haleine, mais avant tout, il se savoure et donne à réfléchir sur nos choix de vie, nos espaces de liberté, nos possibilités personnelles et la connaissance de nous-mêmes.
Il mêle une trame romanesque prenante avec pour décor la beauté de Lisbonne, la découverte passionnante de l'histoire de ce jeune médecin engagé dans la Résistance contre Salazar, et une réflexion approfondie, illustrée par des textes extraits du livre de de Prado qui émaillent le récit. Intéressant de noter d'ailleurs que l'auteur, Pascal Mercier, nom de plume de Peter Bieri, est philosophe de formation.

C'est donc très habilement construit et j'ai beaucoup apprécié ce voyage en compagnie de Raimund, en rupture de quotidien plan-plan, qui repousse ses propres limites. Original et attachant !
Ultime remarque : un film avec Jeremy Irons, Charlotte Rampling, Mélanie Laurent...est sorti en 2013, ce que je viens de découvrir. Ne l'ayant pas vu, j'ajouterais juste que le choix des acteurs me paraît fort judicieux. À prolonger donc par une séance cinéma...en descendant du train !
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Serais-je capable de tout quitter sur un coup de tête, après une rencontre étrange ?
Pourrais-je laisser mes élèves, ma vie quotidienne, ma ville, mon pays après la lecture d'un paragraphe d'un bouquin qui me parlerait intimement ?


Gregorius, lui, l'a fait.
Il faut dire qu'il est divorcé, sans enfant. Il est un professeur, vieillissant mais toujours aimé, de langues anciennes – LE spécialiste en la matière ! – dans un lycée de Berne.
Ah, Berne, c'est sa ville, avec son pont, sa place, sa librairie, son fabricant de lunettes, aussi, qui est son ami.
Et il quitte tout. du jour au lendemain. Obsédé par un jeune médecin portugais mort il y a bien longtemps et qui a jeté sur papier toutes ses pensées. Il veut à tout prix retrouver sa trace, sa famille, découvrir et s'approprier sa ville à lui : Lisbonne et son époque, sous la dictature de Salazar.


Curieuse démarche, qui me fait penser à Modiano, toujours tourmenté par le passé, ses lieux, ses personnes.
Démarche compréhensible, pourtant. Car les pensées d'Amadeu de Prado sont loin d'être anodines !
Elles nous arrachent à notre train-train et nous conduisent loin à l'intérieur de nous-mêmes, et en même temps très près des autres.
Amadeu de Prado, par son questionnement perpétuel sur la Vie, sur l'amour, sur la mort, sur son père, sur l'amitié, sur les relations entre les gens, sur ses devoirs, sur l'action dans la Résistance, sur ses élans, sur les mots, sur la transmission du savoir, sur le temps, sur Dieu, transcende le banal de notre vie et nous oblige à creuser.


Qu'est-ce qui est vrai ? L'intérieur ou l'extérieur? Ce que les autres voient de nous ou ce qu'on croit connaitre sur nous-mêmes ?
Faut-il avoir peur de la mort si nous ne réussissons pas à accomplir notre vie ?
Pourquoi les traces du passé, même gaies, rendent-elles si tristes ?
Est-il possible d'exercer son métier en contradiction avec ses opinions (être juge sous une dictature, sauver un ennemi lorsqu'on est médecin...) ?
Comment remplir le temps pour que celui-ci nous appartienne totalement et qu'on n'ait plus de regrets lorsque la mort approche ?
Etre stoïque, cacher sa souffrance pour ne pas ennuyer les autres, n'est-ce pas les empêcher eux-mêmes d'exprimer la leur ?
La désillusion ne nous permet-elle pas de mieux appréhender les contours de nous-mêmes ?
Qui voudrait sérieusement être immortel ?


Et tant d'autres réflexions profondes qui ralentissent extrêmement la lecture mais qui enrichissent, car chaque mot pèse...
Un exemple final ?
« Je ne voudrais pas vivre dans un monde sans cathédrales. J'ai besoin de leur beauté et de leur noblesse. J'ai besoin du saint recueillement des hommes qui prient. Pourtant je n'ai pas moins besoin de liberté et d'hostilité envers toute cruauté. Et que personne ne me force à choisir ».
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Je voudrais vous parler de ce roman, Train de nuit pour Lisbonne, que j'ai beaucoup aimé. Il a été écrit par Pascal Mercier, écrivain et philosophe suisse.
Il n'est pas facile d'entrer dans ce livre, d'une écriture dense, parfois complexe, exigeante.
Et pourtant, le propos est d'une magnifique humanité. Je rajouterai même, d'une générosité qui s'exprime dans l'intention des mots, des personnages, de leurs destins.
Tout débute avec les premières pages où nous faisons connaissance avec Raimund Gregorius, professeur de langues anciennes proche de la retraite, qui enseigne dans une université de Berne, en Suisse. Nous allons le suivre dans son itinéraire improbable qui le mène de Berne à Lisbonne, mais surtout au plus près de lui-même. Train de nuit pour Lisbonne, c'est un aller simple en terre intérieure.
Mais ce n'est pas l'essentiel.
Comment imaginer que ce professeur au costume un peu poussiéreux, puisse un jour tout abandonner derrière lui, au prétexte d'une double rencontre, celle d'une femme prête à se jeter d'un pont et quelques heures plus tard celle d'un livre, écrit par un médecin portugais, Amadeu de Prado..., les deux événements étant bien entendu liés ? Pourtant il le fait. Au milieu du cours de latin qu'il enseigne, il se lève de son siège, laisse ses élèves derrière lui, il s'en va, il prend un train une nuit pour Lisbonne...
Ce qui est improbable, ce n'est pas tant de partir sur un coup de tête, mais c'est justement que ce soit cet homme, Gregorius, dont l'existence est réglée comme du papier à musique, qui le fasse.
Par-delà le texte parfois très complexe, nous entrons très vite dans l'humanité des personnages et de l'histoire que Raimund Gregorius vient révéler, comme un catalyseur, tirer le fil d'une histoire où des personnages presque oubliés, surgissent parce que Raimund Gregorius est venu les réveiller là-bas à Lisbonne, dans leur silence mutique.
Nous découvrons Lisbonne comme une ville secrète, théâtre de souvenirs convoquant des personnages douloureux, mais tout aussi généreux, hantés par les blessures qui les hantent, nous découvrons le temps de la dictature portugaise, pas si ancienne finalement, c'est une époque qui paraît relative récente adossée à l'Histoire européenne, tout à côté de nos portes...
Nous découvrons des lieux, des êtres quasiment demeurés immobiles depuis lors...
Ce texte mêle une trame romanesque qui nous agrippe et nous entraîne dans la beauté mélancolique de Lisbonne, mais aussi dans l'histoire de ce jeune médecin engagé dans la Résistance contre Salazar, ce qu'il a laissé comme témoignage après lui...
Le chemin d'Amadeu de Prado est confronté aux questionnements et aux contradictions qui peuvent déchirer un être voué à l'écoute de l'âme humaine. La vie d'un ennemi tortionnaire qui envoie des milliers d'innocents dans les geôles a-t-elle le même poids qu'un tout autre patient ordinaire, lorsqu'on est médecin ? Comment être un enfant lorsque son père est juge sous le régime d'une dictature, comment grandir alors dans l'innocence et l'insouciance, à quoi peut-on dès lors accrocher ses rêves si ce n'est aux propres rêves des autres ?
Le chemin de Raimund Gregorius, quant à lui, devient une errance, une déambulation magnifique et tourmentée dans les lieux du passé, dans un dédale de pages où sont invités à venir vers lui des fantômes dont certains sont parfois encore vivants.
À quoi tient la transformation d'un homme empesé par le conformisme et les habitudes si bien apprises ? À quoi tiennent l'éveil et l'envol ? L'arrachement à notre quotidien...
À quoi tiennent nos ailes prêtes à surgir au moindre ciel tendu vers nous... Au moindre train...
Peut-être que tout ce livre pourrait se résumer à cette seule phrase prise dans le récit : « Je ne voudrais pas vivre dans un monde sans cathédrales. J'ai besoin de leur beauté et de leur noblesse. J'ai besoin du saint recueillement des hommes qui prient. Pourtant je n'ai pas moins besoin de liberté et d'hostilité envers toute cruauté. Et que personne ne me force à choisir ».
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Je ne peux résister au besoin de poster cette critique avant même d'avoir terminer la lecture de ce livre.
Português. ce mot seul, prononcé par une femme sur un pont,va bouleverser Gregorius, professeur de grec dans un lycée de Berne. Enchaînement de circonstances, il se retrouve peu après avec dans les mains, un ouvrage en portugais publié à compte d'auteur. le titre: Um ourive das palavras, Lisboa 1975, un orfèvre des mots. Dès les premières lignes, Gregorius est frappé par ces mots qui semblent écrits pour lui:
« S'il est vrai que nous ne pouvons vivre qu'une petite partie de ce qui est en nous – qu'advient-il du reste?».
Poussé par une irrépressible nécessité, il lâche illico, son lycée, ses cours, quitte Berne pour se rendre à Lisbonne: il part à la recherche d'éléments sur l'auteur Amadeu de Prado, comme si en savoir plus sur l'auteur l'amènerait lui, Gregorius à se trouver lui même.
Pour ce faire il va se transformer en véritable enquêteur, méthodique et opiniâtre. Il va peu à peu relier le contenu de l'ouvrage, à la vie et au parcours de son auteur.
Amadeu de Prado, fils de juge, brillant étudiant redouté par ses professeurs, avait tous les talents « comme un miracle de la nature qui avait ses propres lois », « c'était un garçon capable de toucher le ciel ».
Devenu médecin, il soigne tous ceux qui se présentent chez lui, des petites gens à l'officier de la police secrète connu sous le nom de « boucher de Lisbonne ». Cet acte lui vaut l'opprobre de ces patients. Il est accusé de trahison, lui qui a toujours porté au plus haut point une exigence d'exemplarité. S'immisce en lui le doute sur le choix d'avoir sauvé la vie d'un homme qui commettra encore d'autres assassinats.

Ce train de nuit nous emmène dans un voyage philosophique, poétique, linguistique, historique. La toile de fond nous ramène dans les années de la dictature de Salazar et aborde la résistance, la torture.
Tel un « archéologue de l'âme » Pascal Mercier philosophe de métier, explore les grandes thématiques classiques:
quel lien entre le choix d'une vie et les véritables motivations souvent insoupçonnées ?
quelle différence entre la perception que l'on a de soi et l'idée que les autres se font de nous ?
les relations père-mère- fils et les traces qui sont inscrites chez chacun,
le temps qui passe: « combien de temps cela dure t il un mois? »
et bien d'autres.
Si les questions existentielles vous passionnent, je vous recommande fortement ce livre dense et exigeant.
Moi, je l'emporte sur mon île.
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Je n'arrive pas à faire la critique de ce livre. Une seule chose que je puisse en dire ‘Lisez-le'.
On a tous des rêves cachés que la routine et la convenance sociale nous empêchent ne serait-ce que d'envisager.
Je ne sais pas par quelle alchimie l'auteur a aussi bien réussi à imbriquer une quête, l'Histoire, de la poésie, de la philosophique…

Ca ne veut rien dire ce que je raconte, je n'y arrive pas.
Je vous en supplie lisez ce petit chef-d'oeuvre !
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Quelle riche et inspirante histoire! Finir l'année sur un tel roman ne peut être qu'un signe de renouveau pour celle qui commence.
Pour peu que l'on entre en sympathie avec Raimund Gregorius, solitaire entre deux âges confortablement enfermé dans les murs des langues anciennes qu'il enseigne et qui fait un jour à Berne la rencontre d'une femme, puis d'un livre qui vont changer sa vie, ce roman puissant et profond devient pour le lecteur une invitation au voyage dans lequel il va lui-même être entrainé.

Aux voyages plus exactement : voyage dans l'espace d'abord, gagné que l'on est par l'envie de se lever et tout quitter comme Gregorius pour prendre des trains dans la nuit jusqu'à Lisbonne, et parcourir au petit matin cette ville magnifiquement évoquée; voyage dans le temps aussi, à la découverte d'Amadeu de Prado, médecin portugais engagé dans la résistance à la dictature de Salazar et auteur du livre qui a bouleversé Gregorius; enfin et surtout, voyage vers la connaissance de soi, porté par les mots puissants et inflexibles d'Amadeu s'interrogeant sans relâche sur l'âme, l'identité, le poids de l'héritage familial, et qui vont amener notre professeur à une véritable renaissance à lui-même à travers ses rencontres et pérégrinations.

Gros coup de coeur pour ce livre qui est un envoutement salutaire, servi avec délicatesse et profondeur par la plume très littéraire d'un professeur de philosophie.
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Une note moyenne proche de 4/5 sur ce site est souvent un gage de qualité. Cette qualité je la reconnais sans nul doute dans la conduite de la trame narrative de l'enquête de Gregorius sur les traces de Prado. Gregorius est un original; un bernois spécialiste des langues anciennes, d'une érudition hors pair qui mène une vie de professeur réglée comme du papier à musique. Et pourtant, le voilà qui part à Lisbonne sur un coup de tête, sans connaître le portugais, pour retrouver la trace de l'auteur d'un livre qui l'intrigue et le séduit. Sur place, il mène une véritables investigation policière pour retracer la vie de Pado, l'auteur en question. Tout cet aspect du roman, je l'ai aimé inconditionnellement: que ce soient les descriptions de la ville, des personnages rencontrés ou le retour vers le passé récent du Portugal (la dictature, la résistance, les tortures…); tout ça est admirablement bien fait dans une langue claire et riche qui nous font vivre l'expérience de Gregorius « en direct ». Ce que j'ai moins aimé ce sont les passages écrits par Prado, un essai philosophique dans le roman en quelque sorte. Il était sans doute nécessaire d'en donner des extraits pour que le lecteur puisse cerner la personne de Prado et comprendre la fascination qu'il exerçait sur Gregorius; mais j'ai trouvé ces passages souvent longs et fastidieux; bref, trop intellectuels… Ça m'a donné l'impression que l'auteur avait trouvé le subterfuge du roman pour faire passer ses propres écrits épars…. La fin du roman m'a aussi un peu déçue : elle nous ramène dans la banalité du quotidien bernois de Gregorius, ses soucis de santé, fermant ainsi la parenthèse de douce folie qu'il s'était autorisée. Je m'attendais sans doute inconsciemment à un dénouement à la manière d'un roman policier, tant l'enquête en a les caractéristiques.
Je suis sans doute injuste, probablement parce que j'avais de grandes attentes a priori. Mes réserves ne m'empêchent pas d'attribuer quatre étoiles, le roman étant bien supérieur à la plupart des objets de marketing qu'on nous présente ces temps-ci. Tout ça pour dire que j'ai beaucoup aimé mais que je n'ai pas été complètement emballée…
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J'ai été complètement transporté par cette lecture, sans aucun doute une de mes plus belles expériences littéraires des derniers temps. Une lecture immersive, parcourue de moments, nombreux et intenses, de suspension contemplative et métaphysique, de communion intuitive, directe et intime avec le mystère du fonctionnement de l'esprit humain.
TRAIN DE NUIT POUR LISBONNE raconte la fascination inconditionnelle et irrépressible, provoquée par la rencontre d'une femme et d'une langue, le portugais, suivie de près par celle d'un étrange livre composé de fragments empreints de poésie et de réflexions personnelles d'un médecin portugais, Amadeu Inácio de Almeida Prado. Ce qui conduira l'austère professeur de langues anciennes Raimund Gregorius à quitter impulsivement sa ville, Berne, ainsi que sa vie jusque-là réglée comme une horloge de son pays natal, et à partir pour Lisbonne sur les traces de l'auteur lisboète dont l'oeuvre lui semble s'adresser directement à lui, Gregorius, et questionner en profondeur le sens de son existence étriquée.
Oeuvre de fiction écrite par un philosophe, d'une plume sensible, d'une beauté délicatement mélancolique, et aussi magistralement réussie donc, de mon point de vue, en tant que méditation autour de la subjectivité humaine, une question y semble omniprésente, implicitement ou explicitement, à chaque passage, à chaque étape de l'enquête qui sera menée à Lisbonne par le professeur bernois: «Quand quelqu'un est-il véritablement "soi-même"?».
«Etre soi-même» : jamais auparavant dans l'histoire des mentalités, cette expression n'aura occupé autant de place et revêtu une importance telle que dans nos sociétés occidentales modernes. le génial Oscar Wilde en traduisait déjà l'émergence progressive dans la conscience collective à la fin du dix-neuvième siècle par l'intermédiaire d'une de ses célèbres tirades : «Sois toi-même, tous les autres sont déjà pris» ! Imputable au départ à une dilution des codes sociaux traditionnels et à un affranchissement progressif des individus vis-à-vis de leurs classes sociales d'origine et d'appartenance dont les prémices sont repérables dès la deuxième moitié du dix-neuvième siècle (voir à ce propos l'excellente analyse de journaux intimes de l'époque victorienne dans l'essai de Peter Gay, «L'Education des Sens»), l'importance de savoir qui on est, en tant qu'individu et en dehors de la place que notre éducation et notre entourage nous auront assignée, ne va cesser de prendre de l'ampleur dans la mentalité occidentale, pour aboutir enfin, de nos jours, à une véritable injonction adressée à la subjectivé de tout un chacun : il faut être «soi-même» pour réussir sa vie ! L'avènement de ce nouveau désir d'expérimenter le sentiment d'être soi se transformera ainsi, avec le temps, en une quête essentielle de l'homme moderne dont la philosophie, l'art et la littérature vont s'emparer définitivement dès le début du vingtième-siècle.
Libération des diktats sociaux et du joug séculaire exercé par des impératifs extérieurs et étrangers à la volonté intime, révolution sans doute nécessaire et justifiée après des siècles d'assujettissement de l'être, l'affirmation de l'individualité comme une valeur absolue, en soi, amènera néanmoins la subjectivité des temps modernes à une entreprise non-dépourvue d'embûches, à une quête qui peut devenir quelque peu paradoxale et où, pour ainsi dire, le périmètre du sujet ne cesserait de s'élargir alors que le centre risquerait lui constamment de se déplacer, amenant par moments le sentiment de ne se situer en fin de compte nulle part...Quête devenue illusoire d'un sujet « en soi », en quelque sorte immanent et libre de toute contrainte ou regard extérieurs, risquant de conduire in fine à un sentiment de vide, de morcellement, ou bien à une autarcie farouche, narcissique et également trompeuse, voire à la déréliction ou à la folie.
Comment savoir alors si l'on est en train de chercher vraiment à être soi-même ? Ou si l'on est en train de vivre la vie qu'on aura véritablement choisi de vivre ? Tout ne serait au fond que contingences et hasard ? Comment dire tout l'ineffable d'une existence ? Nos vies, individuellement, ne seraient que des «formations fugitives de sable mouvant, nées d'un coup de vent, détruites par le prochain, des formations de fugacité, emportées par le vent avant même de s'être formées» ? Et des rencontres véritables entre des individualités seraient-elles envisageables, ou «ne serait-il pas vrai que ce ne sont pas les hommes qui se rencontrent, mais seulement les ombres projetées par leurs imaginations» ?
TRAIN DE NUIT POUR LISBONNE est traversé par le fantôme de Fernando Pessoa. Un extrait du «Livre de l'Intranquillité » est d'ailleurs cité en exergue par l'auteur («Chacun de nous est plusieurs à soi tout seul, est nombreux, est une prolifération de soi-mêmes. C'est pourquoi l'être qui dédaigne l'air ambiant n'est pas le même qui le savoure ou qui en souffre. Il y a des gens d'espèces bien différentes dans la vaste colonie de notre être, qui pensent et sentent différemment»). L'«intranquillité » semble également avoir inspiré les fragments autobiographiques laissés par Amadeu, médecin et néanmoins poète dans l'âme. Gregorius s'en fera un hétéronyme et un guide. En essayant de s'approprier Amadeu («Je voudrais savoir comment c'était d'être lui»), Gregorius cherchera en réalité à s'appréhender lui-même, son être profond et sa vie, mais d'un point de vue extérieur, comme un autre. Juger soi-même comme un autre. Aimer l'étranger comme soi-même. Aimer soi-même comme un étranger, ainsi que le préconisait également cette autre acrobate de l'âme, Simone Weil, dans l'épatant «La Pesanteur et la Grâce».
Campé essentiellement dans les décors d'une Lisbonne emblématique de la mélancolie et de la «saudade» portugaises, bercé par une langue où le déploiement du verbe «être» («ser» et «estar») rappellant de manière subliminaire la permanence et l'impermanence de soi et se prêtant à des jeux poétiques et métaphysiques que l'oeuvre d'un Fernando Pessoa aura portés à de sommets inégalés, TRAIN DE NUIT POUR LISBONNE propose en réalité un voyage initiatique à l'intérieur de nous-même, de cet immense espace imaginaire que nous habitons et que nous essayons, parfois vainement, de peupler de personnages rassurants dont nous nous sommes parés pour faire face à l'inconsistance de notre être profond et à l'éphémère de nos existences.
«A imaginação, o nosso último santuário» («L'imagination, notre dernier sanctuaire») avait-il l'habitude de dire Amadeu. L'imagination et l'intimité, c'était, à côté de la langue, les deux seuls sanctuaires qu'il admettait»(...) La curiosité apparaît comme un luxe rare sur un fond habituel. Rester ferme et pouvoir jouer avec l'ouvert, à chaque instant, ce serait un art.»
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Il aura suffit qu'une femme rencontrée sur un pont et d'un livre trouvé par hasard pour que le professeur Gregorius quitte son cours de latin brutalement, pour partir à Lisbonne sur les traces du poète Amadeu de Prado. Double parcours ensuite, dans le temps pour découvrir la personnalité de ce poète (rendu tellement vivant par le romancier que j'ai cherché sa biographie, en vain, et pour cause) et cheminement spirituel de Gregorius, au fur et à mesure de son exploration.
Une écriture superbe (bravo à la traductrice) et une histoire passionnante
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