«
Laisse-moi entrer », premier roman du suédois
John Ajvide Lindqvist, est une étrange rencontre entre deux jeunes adolescents, Oskar et Eli, l'un humain et l'autre vampire. D'abord, j'ai été attirée par l'aspect fantastique indissociable du thème. Ensuite, par la couverture présentant une petite fille, couchée en chien de fusil et le titre, leitmotiv bien connu des vampires.
Il s'agit donc bien d'une histoire de vampire mais dépouillée du romantisme habituel et plantée dans les années 1980 dans une banlieue suédoise, Blackeberg. Sans passé, cette ville monotone construite à partir de rien, loge une population laborieuse où traînent alcooliques et jeunes désoeuvrés.
L'auteur présente un type particulier de vampire. Eli porte en lui la malédiction de son statut de vampire “Je… me nourris de sang. Mais je ne suis pas… ça.” Lindqvist intègre divers éléments du mythe (besoin impérieux de sang humain, régénération, transformation, vie nocturne, crainte du soleil) tout en éliminant les stéréotypes car Eli est un vampire adolescent. Eli symbolise l'opposition : plus un enfant, pas encore un adulte, pas un garçon, ni une fille, non-mort et non-vivant …
Eli nécessite un compagnon, un ange gardien humain. Car celui-ci lui donne accès à la nourriture sans générer de nouveaux vampires et l'aide à déménager régulièrement pour ne pas attirer l'attention. A aucun moment, la condition de vampire n'apparaît valorisante : aucune gloire mais énormément de solitude, de tristesse et une violence indispensable à la survie. D'ailleurs, Eli dit à Oskar que tous les vampires finissent par se suicider. La mort d'un des personnages, qui se retrouve dans cette situation, est un des grands moments du livre.
Eli ne fait pas partie des habitants de Blackeberg. Elle emménage de nuit avec son "père" Hâkan : un professeur de suédois sans travail à cause de ses penchants pédophiles. Et l'on devine pourquoi il devient le compagnon d'Eli, vampire au corps d'enfant. Un autre grand moment glauque, c'est quand après sa « mort » il « renait » en mort-vivant pourrissant.
Le personnage d'Oskar, petit garçon craintif, trop gros, est attachant. Intelligent, il aime échafauder des mondes et des personnages imaginaires. Souffre-douleur de sa classe, il vit avec une mère absente séparée du père alcoolique. Sensible, rêveur, différent, il peine à trouver un ami, une oreille attentive à son mal être après la séparation de ses parents. Oskar s'évade en se donnant une forme de pouvoir, en abimant des arbres, en accumulant des coupures de presse sur des meurtres, en s'imaginant être un tueur en série.
Eli et Oskar vont unir leurs solitudes et tenter de se réconforter l'un l'autre. La description de cette amitié se fait sur une critique sociale acide, une analyse dérangeante et une ambiance malsaine où le vampire semble être la représentation du mal profond des habitants. Lindqvist dénonce une société égoïste, incapable de soulager ses démunis. Il aborde des thèmes difficiles comme l'immigration, l'isolement des personnes âgées, l'alcoolisme, la drogue mais aussi la pédophilie avec un style simple. L'auteur donne de la prépondérance aux personnages secondaires, les laissés-pour-compte d'une société connue pourtant comme exemplaire dans le monde entier. On ressent l'isolement, le manque d'attention, la violence, les désirs malsains.
Ainsi Tommy, plus âgé qu'Oskar, orphelin de père, qui entraîne Oskar dans le monde des adultes avec les drogues douces et des revues pornographiques. Staffan, son nouveau beau-père, est un policier, expert en armes à feu, dont l'esprit borné sur l'ordre et l'autorité, symbolise le carcan obsolète social et moral. Ensuite, viennent Lacke et Virginia, couple traînant une existence vide et ingrate, rêvant stérilement d'un avenir : quitter la banlieue, se marier, acheter une maison, imprégnés de la vanité de l'effort, certains que la réalité va ruiner leurs espoirs. Et aussi, Gösta, pauvre hère, entouré de ses chats, de leurs excréments et abandonné dans sa saleté.
La société aliène et isole, elle épuise les âmes, les espérances, les rêves. le cadre social est figé, le cadre familial rompu, les relations d'amitié relachées. Et, comme le découvre Oskar, le pouvoir devient un remède à cette indifférence généralisée.
Ce livre, entre thriller fantastique et chronique sociale, m'a réellement surprise…