Comme grand nombre des lecteurs ayant laissé leurs critiques sur ce roman, je m'y suis plongé après en avoir vu l'adaptation suédoise il y a déjà quelques années.
Je n'axerai toutefois pas la présente sur un comparatif livre-film, même si l'existence de deux adaptations cinématographiques en a certainement amené plus d'un au roman.
Ne lisez ce roman que si vous êtes un lecteur curieux de découvrir une thématique "vampiresque" autre, une histoire qui "dépayse" et "change les idées", mais pas comme on l'entend en général.
Le récit se déroule sous des latitudes bien lointaines de la nôtre ce qui pourrait valoir à ces vampires-là l'appellation d'"exotiques", mais la trame prend corps dans un univers occidental au final pas si éloigné du nôtre.
Vous ne passerez pas forcément un moment de détente pour oublier les tracas de la vie quotidienne ou voir le monde en rose avec des histoires d'amour échevelées ou de doux états d'âmes adolescents (amateurs des bluettes à la "Twilight", ce roman risque de ne pas vous plaire !).
Ici, les pages suintent le glauque et la vie a tendance à se conjuguer sur le mode grisâtre.
Sans pour autant en faire des tonnes ou se vautrer dans le sordide, l'auteur nous livre un roman à l'atmosphère générale crapoteuse, sans fioritures stylistiques, ni patte littéraire particulière (presque un roman de gare).
Lecture éprouvante, donc, tant le roman ne broie quasiment que du noir du début à la fin, mais ne se limite pas à cela.
C'est grâce à un solide sous-texte psychanalytique que ce roman (au style somme toute banal) échappe au genre "roman de gare", car les thématiques déployées par l'auteur lui confèrent un puissant pouvoir de fascination.
L'on a un personnage principal confronté aux affres du passage à l'âge adulte : difficultés d'une quête d'identité sexuelle (habilement amenée par l'ambigüité sexuelle du personnage d'Eli) et d'identité tout court parmi ses camarades de classe qui le rejettent cruellement.
Sont très présentes aussi les peurs du noir et de la mort (la toute dernière partie du roman - parfois gênante dans son insistance à barboter dans le gore - est à ce titre révélatrice du sous-texte voulu par l'auteur).
Il y a également l'omniprésence de la thématique de l'inceste et de la pédophilie (à travers le personnage du vieil homme qui tient lieu de père nourricier et passe sa vie à protéger Eli, enfermé(e) dans un corps d'enfant).
Malgré quelques débordements gore sur la toute fin, le Fantastique en tant que genre noble n'est heureusement pas trop malmené.
Le vampire de ce roman scandinave donne littéralement chair à la définition du genre "fantastique" qu'en donne
Roger Caillois : "irruption de l'inadmissible au sein de l'inaltérable légalité quotidienne".
Les éléments qui relèvent du fantastique sont amenés - je trouve - d'une manière très progressive, si bien que la porosité entre le réel et le fantastique s'efface graduellement.
La "légalité quotidienne" telle que la nomme Caillois est ici celle vécue par le jeune Oskar, mais pour ce jeune adolescent solitaire et rejeté par ses camarades, admettre la présence d'un vampire dans son entourage proche ne se révèle au final une idée pas si rebutante que cela.
Elle lui permettra même de connaître ses premiers émois sensuels, mais aussi de s'affranchir de son manque de confiance en lui.
Mises en parallèle, les vies solitaires et ostracisées d'Oskar et Eli confèrent à ce roman le petit plus qu'un lecteur du 21e siècle est en droit d'attendre d'un écrivain qui écrit une histoire de vampires.