Je me souviens comme si cétait hier, de cette fin d'après-midi où je m'en étais allé flâner dans les allées d'une solderie spécialisée dans la revente de stocks issus de sinistres naturels ou financiers.
Comment ne pas penser à Fahrenheit 451 lorsque parmi un lot de livres sauvés des flammes qui étaient encore pour certains couverts des outrages de la suie, je découvris quelques volumes du cabinet noir des éditions des Belles lettres, une collection dirigée par Hélène et Pierre Jean Oswald.
Je ne connaissais ni la maison d'édition ni les auteurs en dehors de Théodore Strugeon dont les romans Cristal qui songe et Les plus qu'humains m'avaient tellement impressionné. J'aurais donc très bien pu en rester là et passer mon chemin. Sans ce recueil de nouvelles de l'auteur des Talents de Xanadu je n'aurais sans doute pas commencé à compulser les autres livres pour y glaner quelques passages au petit bonheur la chance.
Après avoir lu quelques pages d'
Une si douce apocalypse et de la grâce efficace j'étais sur le qui-vive car la prose de
Jérôme Leroy faisait rentrer quelque chose en résonance en moi. A cette époque j'étais au plus bas, ces textes ont contribué à me faire reprendre du poil de la bête voire de la pelle de la boîte.
Un peu plus tard se tenait un vide-grenier à Lille Fives. L'accorte hasard me poussa vers un stand qui jouxtait le parc de la salle des fêtes et j'y découvris deux autres livres de Jérôme Leroy Départementales et Bref rapport sur une très fugitve beauté qui plus est avec une dédicace de l'auteur et appris que la femme rousse qui les vendait avait connu l'auteur et qu'il enseignait à Roubaix sans qu'elle voulut rentrer dans les détails. Je n'insista pas repartis ravi de ma trouvaille.
Depuis, j'ai eu l'occasion de me procurer une bonne partie de ce que
Jérôme Leroy a publié sur la toile ou sur papier et à chaque nouvelle plongée/apnée dans son imaginaire je reste saisi, médusé tant il met des mots sur cette catastrophe lente qui nous tombe dessus à doses de moins en moins homéopathiques, cette fin du monde dont les chiffres sont là. "On ne nous laissait jamais le temps de les mettre en relations les uns avec les autres ou de les énumérer, et pourtant ils étaient là, monstrueux et évidents, placés devant nous comme
la lettre volée d'
Edgar Poe devant le chevalier Dupin."
Kléber, son double littéraire dans
La minute prescrite pour l'assaut , n'a de cesse de chercher un vademecum de survie comme les différents personnages principaux de ses précédents ouvrages au travers de l'engagement, de l'HIstoire, de la littérature, du vin, des femmes et de la musique pour maintenir une certaine forme d'hédonisme dans un monde nauséeux qui nous pend au nez comme une sordide morve gluante si nous ne faisons rien pour moucher les ravages de l'ultralibéralisme qui dévaste la planète et les hommes.
J'ai par moment (souvent) été agacé par ses postures de Dandy stalinien et ses prises de positions politiques qui oscillent entre le situationnisme, le chavisme et l'orthodoxie léniniste mais il n'en reste pas moins vrai que
Jérôme Leroy peaufine son style comme d'autres affûtent leur lame pour dénoncer les errements de cette espèce vivante qui n'a plus de relations sociales (ou plutôt cette hystérisation du contact ) que dans les centres commerciaux et promouvoir en creux une autre façon de vivre ensemble.
Au delà de l'aspect prémonitoire de l'oeuvre de
Jérôme Leroy (les réfugiés climatiques dans Rêves de cristal , le fichage informatique dans
Big sister )
La minute prescrite pour l'assaut est un roman à clés où
Jérôme Leroy livre peut-être encore plus explicitement que dans le Cimetière des plaisirs ses affres personnelles, ses références musicales, littéraires et cinématographiques, ses amitiés indéfectibles et en particulier celle qu'il porte à l'éditrice (désignée dans le roman comme la Kolkhosienne aux seins nus) avec laquelle il anime pour de bon le blog provocateur des moissonneuses dont on retrouve au fil des pages du roman l'historique des posts.
Derrière cette posture esthétique il y a une peur de la violence qui tombe sur les autres ; celle du temps qui usait les corps et les lieux aimés; celle sociale qui avait massacré ce cher et vieux pays et qui expliquait pourquoi il continuait [....] à adhérer au Parti communisme français.
Au regard de l'actualité qui annonce jour après jour une nouvelle atteinte aux acquis sociaux et aux droits civiques, on a envie d'imiter ses personnages et d'aller déboucher une bouteille de Chablis sur la plage du Fort d'Ambleteuse dans l'attente de l'inéluctable avec un vague sentiment d'ironie, [...] cette ultime consolation des civilisations exténuées.
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