Lauréat du Grand Prix de l'Imaginaire en 2022 pour
Vivonne, l'auteur français
Jérôme Leroy retourne à la science-fiction et à l'anticipation dans un nouvel ouvrage publié cette fois dans une collection jeunesse, Syros. Avec le titre à rallonge d'
Histoire de la Fille qui ne voulait tuer personne, nous revoici plongés dans un futur proche — 2069 pour être précis — dans lequel la France n'est plus que l'ombre d'elle-même.
Bienvenue dans la
Fédération Européenne.
Après la Décennie Terrible (2033–2043), on peut dire que l'Europe (et même le monde) n'a plus grand chose à voir avec ce que nous connaissons.
Ravagé par les guerres, les catastrophes écologiques et les épidémies, le vieux continent a du faire des choix pour sa survie.
D'un mouvement écologiste radical (les Bonobos effondrés) à un véritable courant politique organisé (Refondation), une nouvelle société a fait surface pour réunir ce qu'il reste des états en plein naufrage.
La
Fédération Européenne, unit sous la bannière utopiste de l'Alliance du Vivant d'une certaine Vigtis Mendoza et de son fameux Manifeste, apparaît comme la dernière alternative viable et civilisée pour les survivants.
Ou du moins, une partie des survivants.
Si vous êtes du Dehors et que vous vivez de l'autre côté des murs de sécurité et des checkpoints qui entourent les îlots, pas de chance pour vous.
Dans cette Fédération, un Référendum d'Initiative Populaire vient de rétablir la peine de mort, à la surprise de la présidente
Agnès Coeur elle-même. Pour équilibrer un peu les choses, celle-ci décide que toute condamnation à mort devra être assumée par les citoyens qui l'ont voulu.
Ainsi, un tirage au sort désigne le bourreau parmi les hommes et femmes de l'Alliance du Vivant.
Coup du sort, c'est Ada Veen, fille de Clara Veen, vice-gouverneure de la Fédération, qui est choisie pour cette sale besogne.
Si cette jeune militante des Pionnières — sorte de croisement improbable entre écologiste et garde rouge — semble un choix parfait pour assumer les choix du régime, celle-ci va vite comprendre qu'entre la théorie et la pratique, la peine de mort n'a rien de l'acte juste et simple qu'on lui a vendu. Avec Jason Leurtillois, son ami devenu amant, elle décide de prendre la fuite vers le lointain Portugal où une République Libertaire refuse toute forme d'autorité. La Douceur serait-elle la solution ?
Si vous avez déjà lu
Vivonne du même
Jérôme Leroy, vous arriverez ici en terrain conquis. En effet, les mêmes éléments sont en place, dans un cadre similaire de fin du monde et de tentatives de reconstructions tantôt utopiques tantôt dystopiques. Éminemment politique mais jamais rébarbatif,
Histoire de la fille qui ne voulait tuer personne construit sa romance adolescence sur une révolte contre la dictature.
Pour se faire, il faut d'abord une prise de conscience.
Ce qui arrive précisément à Ada grâce à la confrontation au réel mais aussi par l'influence extérieure de Jason, poète et membre du Gang
Nerval, dont la déformation physique ne reflète en rien la bonté d'âme.
Jérôme Leroy critique ouvertement le populisme et l'une de ses antiennes, à savoir la peine de mort. L'auteur démontre à la fois l'inanité du Référendum d'Initiative Populaire mais aussi la différence qu'il existe entre vouloir quelque chose et l'accomplir par soi-même.
En gros, tout acte devient bien plus tangible et difficile quand ce n'est pas l'autre qui doit se salir les mains pour vous.
Si l'idée centrale reste d'illustrer la révolte de l'individu face au système — ce n'est pas pour rien si l'on fait référence à 1984 — l'auteur a la bonne idée également de tenter de comprendre la mise en place de ce système sans l'excuser. Grâce au contexte terrible, le régime en place n'apparaît pas si absurde. Disons qu'il pourrait simplement être le moins mauvais choix.
Évidemment, comme la quasi-totalité des romans dystopiques,
Histoire de la Fille qui ne voulait tuer personne parle surtout de notre présent.
Jérôme Leroy livre une brillante critique du militantisme et de l'idéologie quand elle n'est plus raisonnée, avec une véritable chasse aux sorcières sur ceux qui osent encore manger de la viande ou ceux qui fumerait en cachette. La dénonciation, l'endoctrinement, la démesure punitive fait glisser l'utopie vers la dystopie sans même que ses fondateurs pourtant bien intentionnés ne s'en rendent compte.
C'est également, et bien évidemment, un plaidoyer pour le vivre-ensemble et l'égalité des classes et des races, montrant la condition lamentable des gens qui vivent au Dehors, dans la misère, la maladie et la violence.
Il est facile de vivre dignement en fermant les yeux sur la masse pauvre et agonisante bien caché par les murs et les barbelés.
Dès lors, comment sortir de ce cercle vicieux ?
Par la poésie, bien sûr.
Nous sommes chez
Jérôme Leroy, poète lui-même, et bien sûr, la rébellion et la fuite de notre couple d'adolescents ne serait rien sans le rôle constant et vivant du fait littéraire. Jason est un poète qui dirige sa propre revue, La Douceur, inspirée elle-même de cette étrange utopie communiste au Portugal dans laquelle la propriété n'existe plus et où l'argent n'est qu'un vilain souvenir.
Jason aime
Nerval, ses amis aussi. Et le récit est émaillé de références à des poètes, de
Verlaine à
Apollinaire en passant par Rimbaud.
Pour
Jérôme Leroy, ce qui sauve l'humanité, c'est la poésie, le livre, la culture, la littérature, ce vivant chemin vers le passé qui permet au futur d'être meilleur.
C'est cette impulsion qui va changer la donne, pour Ada comme pour Jason, et si tout cela semble bien naïf, le résultat n'en est que plus beau.
Comme pour
Vivonne, le roman nuance et cherche à mettre en lumière contradictions et niveaux de gris, même pour une Présidente qui se rend compte sur le tard que le rêve est devenu cauchemar.
Que la femme n'est pas la solution miracle vers la paix, mais qu'elle fait partie de l'humanité comme l'homme brutal du passé, que tout le monde peut mal tourner, peu importe son sexe ou sa religion.
Au-delà de toutes ces considérations politiques, philosophiques et poétiques,
Histoire de la Fille qui ne voulait tuer personne remplit aussi son compte d'aventures et de rebondissements. C'est la beauté des personnages principaux, Ada et Jason, ainsi que le courage et les fêlures de ceux qui les entourent qui rende cette histoire si attachante et addictive.
Jérôme Leroy n'oublie pas qu'il écrit pour des adolescents, qu'il faut un récit rythmé et tendu, que l'
amour doit pouvoir battre son plein et s'épanouir, tout cela sans changer entrer dans le cliché ou la simplicité d'écriture, rappelant au passage que les rêves ont toujours un prix.
Mais qui sera prêt à le payer pour changer le monde ?
Récit jeunesse brillant et intelligent, hautement politique mais jamais caricatural,
Histoire de la Fille qui ne voulait tuer personne conviendra au plus large public, que vous soyez en quête d'une dystopie qui a des choses à dire sur notre présent ou d'une aventure rebelle où l'
amour peut triompher de tout.
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