Un écrivain en panne d'inspiration, débarque à Arromanches dans le Calvados, pour s'isoler dans une villa pour écrire. C'est l'hiver. L'endroit désert garde les souvenirs du grand Débarquement des Alliés en 1944, " « un chapelet de bunkers aplatis, ensablés sur la plage » et dans la mer les traces du port artificiel construit peu aprés le Débarquement. Un paysage de science fiction, que l'écrivain narrateur décrit comme un "amphithéâtre de béton surgi des ondes, démonté, croulant " et dont le spectacle laisse une forte impression. D'où le nom du livre Blockhaus, mais pas que....
Il erre sur le bord de mer désert, observe de sa fenêtre les tribulations d'un poivrot sur la digue, reçoit sa copine le temps d'un week-end , fait la connaissance des tenanciers du bar local, écoute leurs confidences.....bref trois semaines d'un film en noir et blanc, où il observe et noue "une étrange forme d'intimité" avec des personnages qui lui tiendront compagnie même à distance, dans ce décor de cette petite parcelle de Manche d'une imagerie post apocalyptique. Une brèche dans sa Vie, sur fond d'une brèche dans L Histoire, pour finalement retourner à sa propre nuit, "c'est ce que nous faisons tous".
Une très belle prose riche en détails. Un livre insolite, un petit bijou, paru très récemment, juste avant le confinement, donc ne passez pas à côté !
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Soixante-dix ans après le D-Day, le héros de « Blockhaus » débarque sur cette plage du Calvados. Un polar miniature imbibé d'air marin.
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Il y a dans ces restaurants de bord de mer, dès lors qu’ils ne se satisfont pas d’être des bouis-bouis de bout du quai et affichent la prétention d’un standing amélioré, un doux mélange de kitsch contemporain, impersonnel –idem sur toutes les côtes –et de vieille auberge maritime, de tanière où se donne en partage l’archaïque nourriture des hommes tirée de leur hostile et chère adversaire abyssale.
C’est dû aux poissons que l’on y fait griller, qu’on dirait tout juste extraits de l’étendue obscure qui prend sous les fenêtres, sautés aussitôt dans l’assiette après un bref détour par les cuisines où les ont vidés, préparés et mis à cuire des mains candides et chevronnées, répétant des gestes sans âge ; c’est dû aux huîtres qui sortent de leurs casiers trempés à quatre cents mètres de là, aux coquillages ramassés sur les plages d’à côté par d’autres mains calleuses, gercées, entaillées de cicatrices dans et malgré leurs gants de protection. Une caravelle ou un chalutier vogue à l’intérieur d’une grosse bouteille sur une étagère. Les serviettes sont tire-bouchonnées dans les verres à pied ; on les retire pour verser le vin blanc qui accompagnera les bulots, les crevettes.
On devinait encore, au loin, les spectres de béton qui imprimaient une densité supérieure de noir sur le noir de la mer – à moins que ce ne fût le sentiment de leur présence, le fait de savoir qu’ils se trouvaient là, quelque part à l’horizon, qui me faisaient croire en distinguer les contours sur le fond uniforme de la nuit. Nous connaissons tous, je suppose, ces moments d’attraction hypnotique qu’exerce la mer lorsqu’on la contemple : le spectacle a beau nous en sembler immuable, la répétition du ressac lancinante, morne, ses variations immédiates peu perceptibles à l’œil, on peine à s’en extraire, on demeure médusé, encollé à sa monotonie, comme si une force magnétique nous y aimantait. Tout conscience du temps paraît s’être dissoute à travers l’infinie dormance océanique ; et dans l’obscurité, quand seules les oscillations les plus rapprochées de l’écume et les miroitements infimes du rivage parviennent jusqu’à notre regard, cette sensation narcotique n’en devient que plus intense encore.
Le nom d’Arromanches est passablement oublié. Il n’a pas grand-chose en commun avec ces noms que le monde entier connaît, ni avec ces lieux que leur dénomination écrase, efface, disproportionnée par rapport au patelin qu’elle désigne ; ainsi de Verdun, de Waterloo ou de Gettysburg. Toutefois, aussitôt associée à quelques autres – à une petite constellation de noms fleurant bon le chewing-gum, le maïs en conserve et la cigarette blonde, venus se répandre à l’été 1944 le long des plages normandes, inscrits d’abord, avant de l’être dans les mémoires, sur des cartes d’état-major par des stratèges qui, de ces plages, de ces patelins, ne savaient que leur configuration dessinée sur du papier cassant et qui, dans l’indifférence aux vieux noms de pays les ayant précédés, sans égard pour les lentes sédimentations étymologiques ni les strates d’histoire vernaculaire dont ils sont formés, ne rebaptisaient les lieux que dans le but de transformer le paysage en théâtre des opérations, usant ainsi de noms qui devenaient noms de code et, en tant que tels, sont passés à la postérité : Omaha, Sword, Utah ou Juno Beach -, alors Arromanches s’agrège à nos souvenirs du récit usuel du débarquement allié. Et si ses sonorités évoquent moins l’odeur de tabac blond ou du chewing-gum que celle des étables et des embruns, elles y prennent leur place au même titre que celles des noms de guerre.
Ce nom, nous l’avons entendu prononcer dans des salles de classe où l’on pouvait suivre, sur des cartes aux contours cornés, aux couleurs fanées, punaisées au mur, les reliefs découpés des côtes sur lesquelles les événements s’étaient déroulés ; nous l’avons vu inscrit dans des livres où, sur des plans mêmement colorés, un appareil schématique de flèches et de pictogrammes ajoutait au récit l’autorité d’une image experte. Enfant, on ne l’apprend pas vraiment, on oublie ça vite, une fois passée l’interrogation écrite qui atteste qu’on a pris la peine de se mettre cette page sous les yeux et qui semble alors le seul horizon de nos connaissances.
On estimerait que grâce aurait été rendue aux boys et à leurs alliés autochtones, aux résistants du pays et puis, pourquoi pas, aux soldats ennemis, dont la plupart n'avaient certes pas demandé à être enrôlés pour servir de bouclier à la plus criminelle des tyrannies sanguinaires. Et avec tout ça, tant qu'on y était, dans les cœurs et les esprits du moins, grâce aurait peut-être été rendue aussi aux paysannes normandes que les boys avaient violées et engrossées sur leur passage dans les granges de la région (bien que d'elles, aucun discours évidemment n'aurait honoré la mémoire, ni même rappelé l'existence : de cette histoire elles étaient la tache aveugle, le vilain petit souvenir inavouable que chacun garde secrètement en tête lors des rassemblements de famille et que personne n'ose déballer de peur de troubler le repas, de contrarier les aïeux ennoblis par leur âge canonique, de gâcher la fête).
En traînant ma valise, dont les roulettes sur le goudron humide me paraissaient commettre un vacarme du diable propre à déranger les riverains engourdis dans le silence – mais les volets étaient unanimement clos et il était peu probable, de fait, que mon bazar dérangeât quiconque -, je parcourus l’avenue qui mène en ligne droite jusqu’à l’étroite rue commerçante, laquelle trace une parallèle à la plage. Il n’y avait pas grand monde là non plus : quelques échoppes aux devantures ouvertes, des présentoirs à cartes postales avancés sur le pavé, une poignée d’âmes qui se battaient en duel et me regardèrent passer d’un air absent, moins par curiosité pour un nouveau venu ou par réprobation à l’encontre du boucan que faisait ma valise que par désœuvrement manifeste.
Je pris encore une ruelle, puis, juste avant d’arriver sur la digue, à main gauche, j’ouvris le portail de la petite cour arrière de la dernière bâtisse, ainsi que m’avait recommandé de faire l’amie qui m’en avait confié les clefs. Après que je m’étais ouvert auprès d’elle de mes affres du moment, elle m’avait proposé de passer quelque temps dans la maison de famille qu’elle possède au bord de la mer ; j’avais accepté l’aubaine de ce havre hors saison en espérant qu’une telle atmosphère marine et studieuse pourrait débloquer les choses, me relancer, et en me disant qu’au pire, cela ne me ferait pas mal de prendre l’air.
Dans le cadre des 18es Rencontres de Chaminadour : Mathieu Larnaudie sur les grands chemins de Dante.