Petit phénomène éditorial,
Yellowface, comme ce qu'il semble dénoncer, est un pur produit marketing à être arrivé chez nous peu après avoir bien fait parler de lui outre Atlantique et outre Manche. Ai-je été sensible à ce qu'il racontait et dénonçait ? Oui. Ai-je eu la lecture coup de poing que j'attendais ? Non, la forme était trop pauvre pour cela…
Avec ma collègue et amie Audrey (Light and smell), nous partions pourtant très enthousiastes. Il faut dire que nous sommes faibles face aux beaux objets que l'éditeur Ellipsis a sorti une très belle édition reliée avec jaspage de stylo plume et gouttes d'encre noirs sur fond jaune du plus bel effet, ainsi que pages de gardes et citations significatives très belles également. Nous étions fichue ! Malheureusement, nous n'avons pas trouvé en écho la force que nous attentions de ce texte éminemment annoncé comme étant ravageur par bien des lecteurs.
Nous avons d'ailleurs tiqué dès les premières lignes, face à une traduction un peu ampoulée, maladroite, manquant de fluidité parfois et avec des constructions de phrases rendant le propos moins intelligible. La plume générale, en dehors de ces moments confus, ne nous a pas convaincues non plus. Plate, sans relief, presque robotique, elle n'a pas eu la force et la verve attendue. Les schémas d'écriture même, à titre personnel, m'ont fait penser à ce que j'avais pu lire maintes fois dans des romans pour ados et jeunes adultes, alors que j'attendais un texte plus mature dans sa forme et pas seulement son fond. Petite déception.
C'est dommage parce que les premiers temps de l'histoire m'ont fait croire que j'allais avoir le pendant littéraire de l'excellent film The Ghostwriter qui m'avait dérangée et fascinée. J'aimais l'idée de suivre une jeune femme volant l'idée de roman de amie toute juste décédée. J'aimais encore plus que ce soit le prétexte, pour nous lecteurs, de nous fondre dans ce milieu impitoyable qu'est celui de l'édition, le tout avec un angle critique sur la question du racisme, des auteurs racisés, des histoires own voices et du poids fou des réseaux sociaux. Il y avait vraiment de quoi me plaire et me faire passer un très bon moment. Ce fut notamment le cas dans les ultimes pages du récit où j'ai enfin eu la critique piquante de tout ce milieu. Mais cela n'est arrivé que dans les derniers chapitres. C'était trop tard…
Le reste du temps, j'avoue avoir beaucoup traîné la patte. Pourquoi ? Parce que je n'ai pas du tout accroché à l'héroïne, très agaçante, très chouineuse, ne se remettant jamais en question après ce qu'elle avait fait et fonçant toujours plus vite dans le mur. J'ai également été très déçue par le volet sur l'édition. Je m'attendais à un récit en mode coup de poing, avec peut-être une lanceuse d'alerte pour dénoncer les travers de ce milieu. Je n'ai pas eu cela. Ce fut même assez plat et convenu, avec le récit de mécanisme éditoriaux déjà bien connus dans le choix des textes, leur travail avant impression, leur publicité et marketing, ce que reçoivent et ce qu'on demande des auteurs, et même le harcèlement en ligne. Rien ne sortait de l'ordinaire, tout était déjà vu et l'autrice n'est pas parvenue à transcender cela pour m'offrir quelque chose de différent et marquant.
Le volet « thriller » de l'histoire m'a donc semblé très plat et convenu, sans surprise, avec de nombreuses répétitions dans ce qui arrivait à l'héroïne. C'était clairement inintéressant. Seul le traitement du racisme et des personnes racisées aux États-Unis a su soulever mon intérêt. J'ai aimé voir se confronter des opinions très divergentes représentés par les différents « personnages » de l'histoire : il y a les blancs qu'on accuse à tort de racisme et qui sont surtout ignorants et maladroits ; il y a certains racisés qui montent tout en épingle et accusent à tort et à travers, se complaisant dans leur posture de victime et semblant ne savoir vivre qu'à travers cette identité ; mais il y a aussi de vraies critiques sur le racisme dans l'édition quand on enferme quelqu'un dans ce qu'il doit écrire à cause de sa couleur de peau ou ses origines et ça marche pour tous. J'ai aimé la critique de cette dérive des sensitive readers et des own voices, pour montrer qu'il ne faut pas tout prendre au pied de la lettre et apporter de la nuance. On ressent très bien la violence que chacun ressent quand il se sent attaqué et combien tout cela peut se cristalliser. C'est assez terrible.
Je suis pour ma part pour une littérature ouverte. Chacun doit pouvoir écrire sur le sujet qui lui plaît. Il ne faut pas oublier que c'est de la fiction, donc il est possible oui d'être blanc et de parler de l'histoire d'un noir ou d'un asiatique, d'être valide et de parler d'un handicapé, d'être hétéro et de raconter une histoire LGBTQ+, etc. Mais il ne faut pas non plus blesser sciemment avec des propos racistes, sectaires, homophobes, ou autre, ces minorités. Je trouve en cela les trigger warning et les préfaces / postfaces toujours très intéressantes pour expliquer un projet et ce qu'on peut trouver dans un roman et qui pourrait heurter. Je prône donc plutôt le dialogue que l'enfermement dans des cases. Et je trouve que
Yellowface est très intéressant pour cela, je le lui reconnais.
Une lecture que j'attendais avec impatience qui s'est malheureusement transformée en petit flop malgré sa grande facilité à être lue. J'attendais certainement trop de ce texte qui n'est pas aussi mature et fouillé que j'aurais aimé dans son fond et sa forme. Une plume plate et un contexte ainsi que des personnages peu travaillés, c'est assez rédhibitoire pour moi et ce n'est pas ma co-lectrice qui me contredira. C'est dommage car il y avait vraiment une histoire puissante à raconter et des thèmes qui auraient dû nous prendre plus aux tripes.
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