Disons le tout de suite : je suis une fan de la première heure de Maylis de
Kerangal.
Mais disons le tout de suite aussi : ce «
Canoës » n'est pas ce qu'elle a fait de meilleur.
L'incipit était pourtant bon : nous livrer 8 récits, 8 nouvelles avec une thématique intéressante (et paradoxalement peu traitée) : de l‘importance de la voix – celle qui nous appartient, qui nous caractérise, qui nous identifie – dans des fragments de vie de personnages très divers et variés, ou plutôt devrais-je dire une nouvelle centrale – « Mustang » - et sept autres.
Dans « Mustang » précisément, la narratrice, ayant débarqué au Colorado pour suivre son mari Sam accompagnée de son jeune fils Kid, refuse au départ de circuler en voiture –les transports en commun suffiront bien. Mais qui a voyagé ne serait-ce qu'une fois aux USA sait que ce pari est d'office intenable, les Etats-Unis étant bien évidemment la civilisation de l'automobile. Alors la narratrice va apprendre à conduire. Portrait saisissant d'une professeure d'auto-école, qui – l'héroïne va vite le comprendre – n'a pas que cet emploi pour survivre. Elle doit aussi ramasser en chemin une pile de linge à repasser, et fournir le paquet qu'elle a du repasser très tard le soir après avoir donné ses leçons. Entre deux, la narratrice fait une curieuse découverte dans la boite à gants : un pistolet – un « gun » - trône au fond de la boite et une série de quiproquo va conduire à une drôle de situation : elle emportera le pistolet à la maison, d'où la professeure d'auto-école viendra le rechercher.
Le rapport avec la voix me direz-vous ?
L'héroïne a du mal à se couler dans ce pays nouveau, elle est comme « cabrée, réfractaire ». Et si son fils, tout comme son mari semblent vite intégrer les codes sociaux en vigueur, son mari, ce qu'elle entend de sa voix - « le timbre, la tessiture, tout »- est comme transformé, y compris quand il s'exprime en français. Curieux , non ?
L'idée est effectivement très séduisante de composer différents récits sur ce thème, comme ces retrouvailles entre amies où la première a la sensation de ne pas reconnaître la seconde : c'est bon signe, lui dit-elle, c'est qu'elle est parvenue à contrefaire sa voix féminine, à la faire descendre en gravité, pour pouvoir postuler à la radio où désormais les voix aigues n'ont plus droit de cité.
Il y a des objets qui reviennent dans chaque nouvelle. Des
canoës, bien sûr, qui donnent leur titre au recueil, mais aussi des oiseaux, des ossements, des flèches et tout un univers propre à la narratrice qui décline sa thématique sur l'ensemble de son écriture, comme elle a su si bien le faire dans ses précédents récits, comme par exemple dans "
Un monde à portée de main".
« En mars 2020 », précise l'autrice à la fin de son recueil, « alors que je commençais à écrire sur la voir humaine, des bouches ont brusquement disparu sous les masques, et les voix se sont trouvées filtrées, parasitées, voilées ; leurs vibrations se sont modifiées et un ensemble de récits a pris forme. »
Mais toutes les nouvelles ne se valent pas : si « Mustang » et « Ruisseau et limaille de fer » sont réussies, « After » ou un lendemain de fête vaseux, « Ontario » - une nouvelle pour laquelle je n'ai toujours pas compris de quoi il s'agissait ou « Ariane espace » qui rappelle la série « OVNI » diffusée récemment ne sont pas de la même eau.
Reste la touchante histoire intitulée « Oiseau léger », une scène réunissant un père et sa fille, et où l'on comprend que la mère – ou l'épouse – est la grande absente trop tôt disparue. Mais le père n'a pas réussi, malgré le drame qui date déjà de cinq ans, à effacer la voix de sa femme du répondeur de la maison.
« Bonjour, vous êtes chez nous mais nous n'y sommes pas ; laissez-nous un message et nous vous rappellerons ! ».
Qui n'a jamais fait l'expérience de voir une vidéo d'une personne défunte ou d'entendre sa voix par delà son décès ne peut apprécier complètement ce récit. Un récit touchant où s'affronte la fille qui voudrait entendre un nouveau message sur le répondeur familial, et un père qui ne peut s'y résoudre …
L'autrice de «
Naissance d'un pont » - que j'avais chroniqué lors de sa sortie et dont j'étais ressortie éblouie, mais aussi de «
Réparer les vivants » couronné fort justement de prix littéraires ou encore de «
Corniche Kennedy » que je vous recommande si vous ne l'avez jamais lu, cette autrice donc est parti d'un concept intéressant mais n'a pas complètement atteint son objectif. Celle qui a « eu envie d'aller chercher sa voix parmi les leurs, de la faire entendre au plus juste, de trouver un « je » au plus proche », n'a pas complètement réussi son pari.
Mais on ne lui en veut pas, parce qu'elle reste tout de même une grande autrice que je continuerai à suivre, ne serait-ce que pour son style qui lui est propre, une belle voix de la littérature française contemporaine donc.