Il ne fait pas froid, il fait frette !
Grand Soleil, un bled perdu dans le Québec arctique, à deux heures de vol et six heures de 4x4 de Montréal, où se rend chaque mois pour consultations notre narrateur, un médecin franco-canadien. Village enseveli sous la neige en hiver, une température avec des pointes à moins quarante-neuf et une moyenne d'âge de soixante-sept ans , “ un congélateur à vieux.” La gnôle est la seule chose qui les réchauffe et donne une consistance à leurs vies. Notre bonhomme, le médecin, Docteur Leboucher, un type insolite, intelligent, à l'humour cynique et blasé, va y faire deux rencontres surprises, dans la même baraque. Celle d'« un livre » et celle d'un homme, Cléophas,.....que je vous laisse découvrir......
Une grande réussite pour un premier roman. Pas facile de combiner un sujet original avec mine de rien un brin de philosophie, dont il s'amuse avec, de nombreux digressions ironiques dans l'air du temps, des réflexions lucides et truculentes sur notre monde moderne “civilisé”, mixé à une prose fluide qui lui va comme un gant ; le tout, un récit sans prétention, où l'humour est le fil conducteur, intelligent, intéressant et très plaisant à lire; sous forme de fable, une belle réflexion sur notre condition d'homme dans le monde d'aujourd'hui, supposé un monde “évolué”. Aucun sentiment de supériorité de la part du narrateur alias l'écrivain, simplement un souhait pour “que les choses soient mieux faites”. On retrouve ici les réflexions de Tiziano Terzani, dont j'ai récemment lu le livre, écrit en 1994, comme quoi au nom du progrès, humainement parlant, on s'enfonce de plus en plus. Pour terminer j'aimerais ajouter, que le choix de la lumineuse photo de couverture reflète bien l'esprit du livre.
Un premier roman que je vous conseille vivement ! Ne passez pas à côté ! Un régal !
“Il est évident que nous n'avons pas évolué dans le bon sens.”
“Être soucieux, se laisser inquiéter par le monde, me semble une assez bonne définition de la condition humaine......Il y a aussi cette phrase de Tim Cook, le patron d'Apple : « Nous allons vous donner des choses sans lesquelles vous ne pourrez pas vivre, mais dont vous ne ressentez pas le besoin aujourd'hui ». Quelle magnifique épitaphe pour la période que nous vivons.”
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Le narrateur, médecin, habite à Montréal.
Une fois par mois, il se rend dans un village du nord , à Grand Soleil. Le village n'a de chaleur que le nom car il y règne un grand froid indescriptible, douloureux, transperçant.
Le médecin apporte médicaments, soins, produits de première nécessité aux habitants.
Une patiente héberge un colosse nommé Cléophas.
Impossible de bouger, il est allongé. On soupçonne un cancer des os. le médecin prélève son sang, l'envoie à son retour au laboratoire et, comme tout semble normal, il demande des analyses plus poussées.
Surprise, l'ADN pose problème. Ce n'est pas tout à fait un ADN humain.
Le récit va s'organiser autour de Cléophas, de la bibliothèque rare contenue dans sa maison. Des spécialistes viendront chez lui.
Les chapitres vont s'alterner entre la présence du docteur à Grand Soleil et son retour à Montréal. Nous aurons même droit à un voyage à Cuba pendant lequel il se moque du tourisme de masse.
Les réflexions personnelles, très lucides, mûrement réfléchies de Jacques Gaubil sur divers aspects de la société moderne sont atypiques et remplies d'ironie mais aussi de bon sens.
J'ai eu l'impression que les incursions à Grand Soleil constituaient un tremplin pour comparer les besoins de l'Homme à l'origine et ce qu'il est devenu dans notre société qui crée de plus en plus de besoins.
Un premier roman qui sort des entiers battus.
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Le narrateur est français, médecin et il a émigré au Canada.
De fait, les Autorités compétentes ne reconnaissant pas son diplôme de médecine, il a accepté de prendre en charge les villages les plus isolés dont Grand Soleil.
Grand Soleil, il s'y rend chaque mois. Un parcours du combattant.
Une centaine d'âmes.
Moyenne d'âge : 77 ans sauf une fille de 35 ans, laide.
L'hiver le thermomètre flirte avec les -50°C et l'été on ne quitte pas son petit manteau léger : ça reste vivifiant.
Lui, une fois les commandes distribuées, les médicaments donnés, il rentre à Montréal se réchauffer et il rêve de soleil et de chaleur.
Pourtant, lors de sa dernière visite, la jeune femme, lui a demandé, si il pourrait venir ausculter un ami qui ne se sent pas très bien et pour lequel elle s'inquiète beaucoup. Ce qu'il va faire, chez elle, le mois suivant. De cette visite vont découler plusieurs découvertes très inattendues....
Je n'en dirai pas plus.
J'ai vraiment beaucoup aimé ce livre car il m'a très agréablement surprise.
La quatrième de couverture me semble bien trop rébarbative et décourageante par rapport à son contenu et ne joue pas en sa faveur.
Le médecin examine la société sans complaisance particulière et avec l'oeil professionnel du diagnosticien, mais également avec l'homme qui a une histoire personnelle que le lecteur découvre au fur et à mesure des pages.
Dans tous les cas, cela ne me pose pas de problème car cela va avec mon tempérament. Les couples attablés au restaurant les yeux fixés sur leurs mobiles, les speed-dating, les réseaux sociaux à outrance, je ne pense pas en faire partie un jour.
C'est un magnifique roman que l'Équipe de BABELIO avait mis en avant, et qui mérite d'être découvert.
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.....nous nous étions rencontrés dans des circonstances inoubliables, une exposition d’art moderne dans une galerie réputée. Nous avions fait la queue, les Inrocks avaient parlé de l’expo. Même si l’espace était immense, seules vingt-quatre personnes pouvaient entrer en même temps pour que l’expérience soit intime.....Les œuvres n’avaient pas d‘unité entre elles. Dans une section, un performeur nu s’était enfermé dans un sac poubelle transparent et respirait grâce à un roseau qui dépassait. Un autre lisait à voix haute l’annuaire de la ville de Limoges. Il en était à la lettre D. Quelques amas de kalachnikov. Une série de photos de l’artiste d’origine sud-africaine, Steven Cohen. Ce grand artiste s’était fait un nom en dansant au Trocadéro avec un coq attaché à son pénis. « Avec cette performance, Steven Cohen voulait évoquer sa situation, partagé entre deux pays, l’Afrique du Sud, son pays natal, et la France, où il vit actuellement », avait expliqué son avocate lors de son procès pour exhibitionnisme. Elle avait rajouté « la France embastille les artistes ».
Les policiers nordiques sont en général admirables, les crimes sont sordides......la littérature noire permet au vice des Scandinaves de s’épanouir avec impudeur. Sans doute ont-ils été, eux aussi, abîmés par les températures. Le roman noir me semble d’ailleurs la meilleure approche pour appréhender notre société et c’est la raison pour laquelle je lis mes livres policiers à la façon dont d’autres étudient des essais. Le crime manifeste le monde comme un révélateur photographique dévoile des images. Il fait exploser les conventions, les habitudes, et divulgue les tempéraments. On a violé un commandement majeur, plus rien ne tient, chacun se lâche. Pour comprendre un cabinet de notaire en province, un bordel de Pigalle ou un clan ostendais, rien de tel qu’un bon assassinat qui met les âmes à nu. Le commissaire Maigret est le meilleur des anthropologues. L’homme éclot quand il tue.
....l’homme est sans limites, il n’a pas de bouts, on est toujours surpris. On croyait que la Première Guerre mondiale était indépassable. Eh bien non ! En fait, la Première, ce n’était pas du tout la première et puis surtout, il y a eu la Seconde. Et le spectacle fut encore plus grandiose avec Treblinka et Nagasaki. On se dit : enfin, c’est terminé ! Et paf ! Le goulag, les généraux argentins, la révolution culturelle, Pol Pot et Tchernobyl. Et puis ils démolissent un mur et, alors là, tout le monde pense que vraiment tout est accompli, c’est la fin de l’Histoire. Pan sur le bec ! Le Rwanda, l’Afghanistan, l’Irak et Fukushima. Et encore, je dois m’excuser auprès de tous ceux auxquels je n’ai pas rendu hommage car ils sont très nombreux, on ne peut pas être exhaustif avec les malheurs. Certains flairent, à travers toutes ces aventures, la main invisible du progrès.......Un homme ne peut pas se contenir, sa forme n’est pas torique comme celle du cosmos mais il est un Univers à part entière. On ne le saisit pas. Il vaut peut-être mieux parce que si, un jour, quelqu’un réussissait à l’empoigner, je ne sais pas dans quel état il ressortirait
Sous la douce vigilance des lions de Saint-Marc, à l’ombre du Palais des Doges, et protégé par des canaux irriguant la splendeur de sa ville, un Vénitien finit par s’imprégner de la beauté qui l’entoure. Par une osmose mystérieuse il devient beau lui-même ainsi que son esprit. Pour ceux qui vivent dans les villes nouvelles et vont faire leurs courses dans des zones industrielles, ce même processus osmotique va accoucher de monstres. La laideur finira par infuser leurs corps et leurs âmes comme une dégénérescence. Certaines villes reculées des États-Unis donnent une idée de la rapidité du phénomène.
Nous entrons dans un restaurant à moitié vide. Plusieurs couples dînent, chacun penché sur son portable, en train de lire et d’envoyer des messages. Les mains jointes, la tête penchée, on dirait qu’ils récitent une prière de bénédiction au début de leur repas. Ces bénédicités impies donnent l’impression de se retrouver dans un restaurant amish ou dans une réunion de prière d’un groupe charismatique. Mais ces prières s’adressent à un dieu nouveau qui prêche la séparation au lieu de la présence, le silence à la place de la parole, l’isolement en remplacement de l’amour. Pour cette nouvelle religion, le lointain a remplacé le prochain.