Désolé, ça va être un peu long ! :)
Le sous-titre, « Aux origines de la richesse et des inégalités » traduit bien l'intention de l'auteur d' inscrire cet essai dans la liste déjà longue des essais sur le thème des inégalité. Il fait bien-sûr penser au célébrissime ouvrage de Rousseau : « Discours sur les origines et les fondements des inégalités parmi les hommes », paru en 1755.
Le livre de Galor tente pour sa part de montrer pourquoi certaines nations ou certains peuples se sont développés avant d'autres et sont parfois restées plus riches que les autres pendant de longues périodes, ou à l'inverse pourquoi certains, après s'être enrichis, ont perdu le fil et sont redevenus pauvres.
On l'aura compris, le thème central est : pourquoi les inégalités entre les peuples ?
Pour cela, l'auteur va brosser une fresque historique générale et globalisante faisant inévitablement penser à « Sapiens » de
Yuval Noah Harari, à « Humankind » de
Rutger Bregman et à « Au commencement était… » de Graeber et Winslow. Un genre littéraire qui regroupe de nombreux auteurs, pour le meilleur, parfois et d'autres fois pour le pire. L'idée est donc de construire un méta-récit de l'histoire de l'humanité capable d'englober dans un même jet la longue marche du progrès ou de la stagnation, des débuts d'Homo sapiens à l'âge de l'internet mondial.
Au vu d'une telle ambition, le risque d'errements méthodologiques ou de tropismes politiques discutables peut rapidement devenir insurmontable – pour l'auteur comme pour le lecteur !
Ce livre en est un exemple typique.
Et M. Galor tombe dans le piège qu'il s'est lui-même tendu : le texte montre si peu de nuances dans le propos et mobilise des données si parcellaires qu'il en devient douteux et, pour le lecteur que je suis, affligeant.
Sur la méthodologie d'abord : On dira ce qu'on voudra, mais traiter d'un sujet aussi vaste suppose d'avoir rassemblé des données, des faits. Beaucoup de données, beaucoup de faits. de ce point de vue, un essai de 256 pages seulement paraît loin du compte. Ainsi, M. Galor semble ne pas savoir, par exemple, que les plus anciens fossiles attestant l'émergence d'Homo sapiens se trouvent en Afrique de l'ouest (au Maroc) et non sur le grand Rift de l'Est africain. Il semble ignorer que les premières grandes villes précèdent de plusieurs millénaires la révolution néolithique. Les documents archéologiques sur ce sujet sont formels. Lacunes peu pardonnables car, évidemment, elles viennent infirmer les affirmations osées qu'il entend faire sur la chronologie d'événements aussi importants pour la démonstration que l'apparition des villes et les migrations d'Homo sapiens...
Lacunes politiques également : M. Galor se propose de retracer les étapes qui ont permis la révolution technique et industrielle qui a fait bondir l'Europe de l'ouest hors de ce qu'il appelle la « trappe malthusienne de la pauvreté ». Pourtant, il ne dit pas un mot – pas un mot – de :
• L'invention des sciences par les Grecs dont tant d'observateurs s'accordent à penser qu'elle fut à l'origine de tout ce qu'a connu l'Occident. Sans doute ignore-t-il Euclide et ses « Éléments », un livre si important dans l'histoire des idées du monde puisqu'il introduisit l'idée de démonstration reproductible. Sans doute n'a-t-il pas lu Démocrite qui conçut l'idée de particules insécables qu'il nomma « atomes » pour expliquer la diversité de la nature. Et sans doute n'a-t-il jamais entendu parler de l'idée de Nature, chère à
Héraclite,
Platon et
Aristote !
• La naissance de l'idée d'individu, de personne individuelle, que l'on doit au christianisme primitif qui proposa aux premiers siècles de notre ère l'espoir d'un salut personnel aux damnés de la Terre. Une première dans l'histoire des idées.
• La révolution copernicienne, galiléenne et newtonienne qui fit sortir l'Europe des ténèbres du dogme par une appréhension du réel reposant sur la recherche, la théorie, l'expérimentation, la preuve soumise à l'examen des pairs. Bref il ne parle à aucun moment des fondements de la méthode scientifique qui ont permis l'extraordinaire révolution industrielle dont parle tant
Oded Galor sans visiblement rien en comprendre. Comme si elle était surgie de nulle part !
Faire de telles impasses ne peut être un hasard. Cela relève de choix politiques bien connus et aujourd'hui prédominants dans les universités américaines : une solide haine de la culture de l'Occident européen blanc, colonisateur et surtout pécheur. Ce que la vulgate inculte appelle la « cancel culture » et qui n'est autre qu'une forme inacceptable de censure.
M. Gabor aurai dû lire le difficile ouvrage de MM. Winslow et Graeber, « Au commencement était… » qui se propose sensiblement le même objectif. Il s'agit là d'une somme de 850 pages d'une incroyable densité, fruit de décennies de recherches montrant de façon convaincante que l'histoire de l'humanité est irréductiblement mosaïque, complexe, multifactorielle, non linéaire et non directionnelle, et qu'elle n'est en aucun cas réductible à quelques grands facteurs explicatifs comme le rôle de la géographie ou de la diversité des populations.
Le texte est d'ailleurs ponctué de lieux communs politiquement très « corrects » sur les bienfaits de la diversité des populations sans qu'à aucun moment il soit fait référence aux derniers travaux de la paléogénétique qui permettent, par exemple, de dater et de reconstruire les itinéraires des migrations humaines depuis la plus ancienne préhistoire. M. Galor peut-il ignorer que l'on sait de façon certaine que Homo sapiens s'est hybridé avec Néandertal ? le peut-il ? Il le peut !
Sur de tels sujets, il faut évidemment faire preuve d'une grande prudence et d'une érudition sans failles.
M. Gabor aurait dû lire -- et assimiler – «
le génie de l'Occident » de
Louis Rougier qui montre de façon remarquable le cheminement des idées qui a rendu l'Occident possible et non probable. Il aurait dû lire «
Cosmos » de
Carl Sagan et aurait découvert ce qu'apportèrent les Grecs et les Lumières à l'Europe qui a alors fait le choix de suivre la voie ouverte par ces deux révolutions intellectuelles. Il aurait dû lire son compatriote,
Eric Chaisson et son extraordinaire « Cosmic Evolution » et comprendre les grandes lois qui ont gouverné les changements qui se sont produits dans l'univers et sur Terre. Et tant d'autres.
Il eût évité ainsi de mettre noir sur blanc tant d'affirmation contestables, parcellaires et finalement fausses.
C'est dommage.
Car la grandeur d'un essai visant un tel objectif tient tout entière dans la tentative jamais achevée de comprendre le réel, en d'autres termes de donner une chance à la vérité.