Dans la mouvance de ses deux premiers thrillers (
Ombilical et
Gémellaire),
Alexandra Desnier poursuit son travail de sape pour creuser encore un peu plus dans l'esprit tourmenté de l'être humain,
Expiatis ne déroge pas à la règle pour nous concocter une fois de plus un page turner dont elle a le secret.
Ce n'est pas la rivière Connecticut longeant la petite ville américaine de Brattleboro sise au coeur de l'histoire qui contredira le dicton "Méfiez-vous de l'eau qui dort ... ", c'est qu'il s'en passe de drôle de choses dans cette contrée d'une région américaine encore préservée des lumières de la grande ville, quand rien n'échappe à l'oeil omniscient d'une puissante figure locale, que des antennes paraboliques propulsent l'information plus vite que son ombre, c'est Radio Brattleboro qui vous souhaite une belle et douce journée sauf que le temps réclame aussi son heure de gloire et c'est pas demain la veille, pourquoi remettre au lendemain ce qui doit être fait aujourd'hui ?
Démons intérieurs ...
Cette urgence de la situation s'inscrit dans un récit qui pourrait ressembler à des milliers d'autres, quelque soit l'endroit du globe terrestre, il était écrit quelque part que l'humanité souffrirait, pour ne pas nommer une catégorie appelée engeance, l'auteure ne s'embarrasse point de préliminaires, être cueilli à froid dans un thriller a un double avantage, celui de créer un électrochoc pour annoncer la couleur et aussi d'installer un certain malaise.
L'idée d'utiliser ces deux éléments articulés autour d'une intrigue ténébreuse voire scabreuse complétée d'une palette de personnages pour le moins hétéroclites, il était une fois l'histoire terrible et horrible d'une journée ordinaire, cruelle métaphore d'un monde en déshumanisation, irréversible, les voix en gestation retentissent dans la frange d'une désillusion complète et surtout de ces blessures qui n'en finissent plus de suinter par tous les orifices, sans jeu de mots pour comprendre qu'il n'est nulle question de dessiner un portrait mille fois revisité, ni de verser dans la violence gratuite.
Vie et mort indissociable, quid de la renaissance ?
La vie donne et reprend, c'est l'une des clefs universels pour accepter le sort qui nous attend, tôt ou tard, la terre appartient aux hommes et si d'aventure, certains secrets devaient sortir de la boîte de Pandore, impossible de prévoir jusqu'où les limites de l'inconscience peuvent aboutir, la lâcheté et l'avidité s'en donnent à coeur joie quand les intérêts particuliers priment sur tout le reste,
toutes blessent la dernière tue est le titre du dernier thriller de
Karine Giebel, il pourrait tout à fait illustrer le credo d'un récit machiavélique, sans concession pour découvrir la vérité, sans complaisance pour supporter cette justice à deux vitesses, des institutions aveugles face à la menace sous-jacente, des prises de position pour le moins révélatrice du nombrilisme ambiant, certains partis se plaçant au-dessus des lois, quelle est le degré de péremption quand l'inqualifiable est convoqué à la table de la divine épée, il faut s'attendre à des éclats d'une implacable amertume.
La liberté a t-elle un prix ?
Le noir vous va si bien, baignant dans cette funeste machination en marche, ce thriller ne manque pas de souligner cette prise de risque de l'auteure à éviter les raccourcis de facilité, si certaines situations pourraient sembler courues d'avance voire d'une enquête réduite à sa simple expression dans le fil narratif, l'essentiel est ailleurs, le lecteur comprendra combien la psychologie n'est pas juste le terrain de chasse réservé à des spécialistes, l'ampleur des comportements retors à l'oeuvre permet d'assister à l'édification d'une sorte de géhenne, naviguer dans les limbes de l'impuissance ou de cette souffrance asphyxiante, rien n'est trop manichéen à démontrer que cette complexité identitaire à laquelle certains cherchent à expurger leurs pires démons, sans filtre pour ressentir une empathie croissante comme de pénétrer dans la spirale nauséeuse de comportements déviants.
Riley, Chris et les autres ...
Si la quatrième couverture propose des indices sur l'histoire d'
Expiatis, elle honore ses revendications initiales en évitant d'en rajouter et tout en suscitant une curiosité dénuée de tout voyeurisme à plonger dans ce récit glacial et dramatique, inévitablement des images de films d'horreur (les slashers pour ne pas les nommer) ou la descente aux enfers inspirée par les différents niveaux du cercle chers à
Dante se déclarent dans le maelström des puissances en mode survie, quand la conscience se substitue au subconscient, l'apparition des souvenirs olfactifs ou de fièvres contagieuses et délictueuses, les niveaux effeuillés dans la dégradation du psychisme humain n'est pas sans rappeler la déchéance de l'homme face à ses responsabilités, à la guerre comme à la vie, le poids de la culpabilité peut ronger les sangs ... jusqu'où ?
Sans vouloir chercher à atteindre une pluie de séquences en succédané dans la chute vertigineuse impliquant qui des prédateurs qui des proies,
Expiatis tire son épingle de la masse de plus en plus grouillante de thrillers par l'évocation de sujets sensibles et délicats, la perte de l'innocence ou le temps de l'insouciance, les liens du sang et fraternels, la juste synchronisation entre les chapitres pour apporter une plus-value indéniable, dans la lecture addictive, un roman habité dans son habileté jouissive à défendre la veuve et l'orphelin, la compassion des personnages résulte de la montée de l'émotion, laquelle grignote des espaces imprévisibles jusqu'à une fin paroxystique, un dénouement qui balaie toutes les certitudes et autres stéréotypes inhérents à l'espèce humaine et définitivement rédhibitoires.
Frontière entre le bien et le mal ?
Une histoire édifiante et perturbante, une lecture qui repousse encore plus loin les limites de l'inimaginable, même si les thèmes abordés dont j'ai volontairement tait afin de vous les laisser découvrir ne sont pas foncièrement nouveaux, la faculté de l'auteure à se concentrer sur l'aspect psycho-clinique de portraits d'hommes et de femmes en lutte constante avec leur double caché, leurs blessures incommensurables, la destinée funeste est troublée par des dangers sépulcraux et dantesques, l'altération des mouvements disgracieux fraie souvent avec ce précipice dans lequel mieux vaut éviter de trouver son double voire ... son
expiatis !
Attention aux glissements de terrain, vous voilà prévenus, avant de pousser les grilles de Brattleboro ...
Je remercie l'auteure pour sa confiance renouvelée, après
Ombilical et
Gémellaire, jamais deux sans trois avec ce nouvel opus qui tient toutes ses promesses, le risque de s'enliser dans les sables mouvants des êtres tourmentés par les affres de la vie, décollage immédiat dans trois secondes pour une lecture à mach 3, retenez votre souffle pour garder suffisamment de sang-froid, jusqu'au bout, jusqu'à ce la vie et la mort fusionnent dans une valse endiablée !!!