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EAN : 9791030412833
112 pages
Allia (03/09/2020)
4.12/5   13 notes
Résumé :
Le monde universitaire est peuplé d'enthousiastes, persuadés qu'ils aident à faire avancer la recherche. Mais à quoi bon avancer quand on a perdu sa boussole ?

Dans ce pamphlet, Baptiste Dericquebourg fait le constat d'une Université profondément en crise, uniquement capable d'assurer la reproduction de ses propres ministres. Philosophie et littérature sont désormais bonnes pour elles-mêmes, et le culte de ces disciplines a finalement mené à une « es... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
"Le deuil de la littérature" est un court essai de Baptiste Dericquebourg, formé à la littérature et à la philosophie à l'Ecole Normale Supérieure et à la Sorbonne.

Il fait un état des lieux de ces enseignements à l'université : milieu sclérosé, frileux, replié sur soi, ergotant, ressassant jusqu'à plus soif l'explication des textes et leur glose, sans créativité ni formation véritable à la lecture et à l'écriture ; avec pour ultime fin l'accès à des carrières d'enseignants chercheurs (chercheurs en quoi ?) desséchées et inutiles, qui ne visent que leur propre improductif renouvellement : "le clergé" comme le nomme Dericquebourg.

Tout n'est pas faux : j'ai retrouvé les impressions de déréliction et de "hors sol" que j'ai éprouvées pendant mes études de philo (mais il y avait également une formation assez austère à la rigueur).

Quelle solution pour remédier à la sclérose de ces enseignements ? Tout simplement la suppression des universités les dispensant ( et «dispenser» serait un grand mot, si on en croit l'auteur).

Apprendre à penser dans le cadre... de l'entreprise afin de former le peuple au discours et le rendre apte au référendum d'initiative partagée.

Rien de moins.

Mort au clergé ! Vive l'anar... euh… vive les formations à l'art de penser, de créer et de vivre enfin, financées par les forces vives de la production ! N'ayons pas peur de marchandiser le livre, seule façon de le faire sortir du ghetto dans lequel il est en train de s'embourber, tellement étroit qu'il en devient incestueux (c'est moi qui le dit, pas l'auteur !)

Bon.

D'abord, il semble bien que le livre soit marchandisé depuis quelques décennies déjà avec ses prix, ses deux sorties littéraires annuelles, ses campagnes de promotion…

Il est vrai qu'est pulvérisée au passage l'image un peu trop sacralisée de la culture : tout, TOUT serait marchandise sauf... SAUF... la sacro-sainte CULTURE, voyons. Bas les pattes, immondes commerçants, beurk.

Car pour circuler, le livre a besoin d'un support, comme le théâtre a besoin d'acteurs. Dans notre monde imparfait les idées ont besoin, en plus de leurs auteurs, d'éditeurs, d'imprimeurs, de transporteurs. Donc oui, le livre est aussi une marchandise.

Ensuite... il faut apprendre à produire du discours, nous dit l'auteur... Comme si le discours pour être efficace avait besoin d'être réfléchi, argumenté, logique. Non, le discours ( n'oublions pas son étymologie, du latin discursus, « action de courir çà et là ») s'adresse davantage aux tripes qu'à l'intelligence... le discours est (le plus souvent hélas !) manipulation.

On peut ajouter à cela qu'un plaidoyer soudain et inattendu en faveur de la démocratie directe au désavantage de la démocratie représentative transforme ce qui était un essai littéraire en profession de foi politique sans que soient posées les bases de son programme de réforme dans un ouvrage préalable. On devine les options politiques de Dericquebourg, elles n'ont pas à être remises en cause, il a le droit d'en avoir ; mais elles arrivent ici sans argumentaire et sans avoir été annoncées, comme ayant déjà été validées par le lecteur.

Les patrons d'industrie, soutiens de la chose écrite et de l'art de penser ? Des viviers au sein de l'entreprise ? Pourquoi pas ?

Mais la suppression des subventions ? Elle risque de couper le peu d'accès à l'air pur qui reste et on peut craindre que la liberté de penser ne laisse cette fois la totalité de ses plumes dans une culture à la Bolloré.

L'épanouissement culturel au sein de l'entreprise, je suis pour à condition qu'il existe aussi (et surtout) ailleurs. Gardons-nous de nous laisser entièrement dévorer par le fonctionnel et le productif.
—-
Il faut reconnaître, malgré toutes les objections, que Baptiste Dericquebourg n'a pas pour seul objectif la destruction jouissive du vieux monde, il propose une reconstruction. Son essai peut être stimulant parce qu'il dresse un état des lieux absolument véridique, même s'il a le tort d'instruire uniquement à charge, ce qui lui enlève de la force.

Enfin, même sans une foi absolue comme la sienne en l'intelligence du peuple (qui n'est pas l'addition des intelligences individuelles qui le composent, loin s'en faut), il faut admettre qu'il offre des pistes de réflexion et que des actions pratiques sont proposées : oui il serait bon de sortir la littérature et la philosophie de l'ornière et d'oeuvrer à leur résurrection, y compris en entreprise.

—-
Mais cette lecture donne envie de réhabiliter l'inutile et d'en écrire un nouvel éloge (car je vois qu'un certain Nuccio Ordine, qui nous a quittés en 2023, est déjà l'auteur d'un "Utilité de l'inutile")
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"On ne lit pas seul avec les morts, on ne lit pas pour égaler les pédants, mais on lit avec les vivants ". Il faut de toute urgence lire la prose tranchante et vibrante de Baptiste Dericquebourg !

Avec "Le deuil de la littérature", l'auteur mène tambour battant un réquisitoire sans appel contre les études supérieures de Lettres et de Philosophie. "Ce sont les facultés de Lettres et de Philosophie que j'attaque ici : le type d'enseignement qui y prévaut et leur activité de 'recherche' promeuvent une esthétique qui transforme les discours en choses ; c'est en elles que s'opère la grande confusion entre conservation de la lettre et vie de l'esprit".

De fait, pour l'auteur, "nul besoin de briser les statues, de brûler les momies : il suffit d'abandonner avec joie le clergé à sa mort, pour en affranchir le discours, l'écriture, la lecture", car c'est bien de cela dont il est question, permettre aux étudiants de se confronter à la langue par des exercices de lecture, par l'écriture de texte en prose ou en poésie et faire que la matière étudiée soit vivante !

"La 'littérature' et la 'philosophie' à l'Université ont ceci de particulier, par rapport à la physique, aux mathématiques, ou même à l'histoire, qu'elles ne forment pas à la maîtrise de leur objet d'étude, mais à son observation".

Observation justement sclérosante qui conduit à une production obèse de "marginalia" sur le "corpus" (les oeuvres littéraires et philosophiques) plutôt qu'à l'utilisation de ce corpus pour la production de nouveaux textes ou discours ! Cet état de fait est un drame pour l'Université enfermée sur elle-même. Usant d'un art de la formule qui fait mouche, B. Ricquebourg, sans pitié, écrit "Les mouches dégénèrent dans un bocal hermétiquement fermé".

Dès lors, nous l'avons dit plus haut, point de salut sans changement pédagogique et disciplinaire d'ampleur, sans transformation institutionnelle. La réhabilitation d'un enseignement sur la lecture, l'écriture, le discours (autrefois appelé "rhétorique") apparaît nécessaire. Dans cette perspective, "les organisateurs du culte de la Littérature seront appelés à devenirs de véritables formateurs". Les enjeux de cet aggiornamento ne sont rien de moins que pédagogique, esthétique et politique.

L'auteur conclut son propos en mobilisant le grand Jacques Lacarrière qui dans "l'Eté grec" écrivait : "Je dois à ce premier séjour à Delphes, à cette rencontre avec la guerre, de m'avoir délivré à jamais du mirage des pierres". Puisse l'évolution de l'enseignement et de l'usage de la Littérature et de la Philosophie permettre justement de se délivrer du "mirage des pierres" et ainsi de donner aux étudiants les instruments pour "donner du sens à leur apprentissage, à leur amour du discours, et à leur position dans notre monde" !

Cet essai tripal, écrit au scalpel et solidement charpenté sur le plan argumentatif doit être lu vite, très vite, par le plus grand nombre !
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En voilà un déçu! Être déçu par la Littérature et la Philosophie telles qu'elles s'enseignent à l'Université n'a pas grand chose d'étonnant, mais il fallait faire l'effort d'une longue diatribe servant à justifier, finalement, la suppression pure et simple de ces facultés, de leurs clercs, de leurs modalités intellectuelles, académiques et financières, et puisque nous y sommes, du ministère de la Culture et des institutions politiques en général. Au passage et au fil d'une description au vitriol de ce petit monde qui se croit grand, l'auteur tire sur tout le monde et n'épargne personne : il est à parier qu'une grande partie des lecteurs actifs sur Babelio se sont sentis au moins un peu visés, gênés ou vexés d'être traités de ''Culturés'' au milieu d'analyses archéologiques très acérées sur fautes et les étapes qui ont mené au désastre actuel.
Car ce pamphlet est bien une liquidation et un enterrement, en plus d'un exercice de deuil forcé (curieux concept), et d'un règlement de comptes sans noms cités (ouf!) à l'encontre des tristes sbires de l'Université qui continuent à mâchouiller leur thèse pendant des décennies aux frais de l'État, et surtout de l'ensemble du ''système'' qui les intronise et les entretient.
C'est surtout un texte passionné et passionnant, d'un humour éreintant, gonflé de trouvailles mordantes et de caricatures qui touchent souvent juste. Un texte convaincant et finalement constructif, grâce aux quelques lignes de la fin, qui brièvement et avec une certaine douceur imprévue, suggèrent qu'au-delà de la satire morbide et rageuse, l'auteur a finalement trouvé des raisons de se lever tous les matins pour donner ses cours en prépa. La liste des exercices concrets et les réflexions sur le système culturel en général permettent de reprendre son souffle et de regarder dans une direction un peu plus saine et positive (quoique en partie peu réaliste), et cela fait du bien.
Un excellent exercice de rhétorique, ce fameux art du discours que l'auteur appelle de ses voeux dans les classes. Beau programme !
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"Le deuil de la littérature" est un court mais vibrant essai d'une lucidité rare, presque embarrassante.
L'auteur aborde la question de l'Université et de la recherche en littérature et en philosophie mais la dépasse largement pour nous mettre face à un défi : celui de réhabiliter le discours, écrit, lu, de se le réapproprier pour changer la vie.
A lire.
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critiques presse (1)
LeMonde
21 septembre 2020
Le court et virulent essai d’un jeune esprit passionné.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Ainsi, si la Littérature et la Philosophie ne sont pas le moteur de l'histoire, on peut néanmoins reconnaître une certaine congruence entre le désarroi politique de notre époque et la pédagogie et l'esthétique qui portent ces discours universitaires. On pourrait la résumé dans le portrait du Culturé*, conçu comme un idéal-type à la croisée du Parnasse increvable et de l'aliénation politique : caractérisé par un extrême conformisme, par un sentiment de supériorité morale et politique appuyé sur ses diplômes - au point de se croire capable de déterminer seul démocratiquement de l'intérêt général, contre tous les beaufs, cassos, ploucs et pauvres cons - et par une ignorance du passé qu'égale son manque de perspicacité quant au futur, le Culturé croit penser quand il répète, reprendre en main son existence quand il suit une mode, faire preuve d'insoumission quand il s'indigne sur commande. Sa pratique affichée des arts et des livres, son goût des voyages et des concerts, occasionnellement du théâtre, bien souvent des films et désormais des séries, sa fréquentation des musées et expositions, ses pratiques sportives et musicales tiennent principalement de l'affichage. Le Culturé veille à ne pas avoir une idée qui dépasse. Il se conçoit souvent comme de la classe moyenne : il est à la fois le peuple, et mieux que le peuple, qui, comme les riches, aime l'argent, alors que lui aime aussi l'esprit. Son pouvoir d'encadrement moral et politique était grand, mais depuis quelques années, avec l'effondrement accéléré de pans entiers de la société française, il a fini par devenir visible pour ce qu'il est réellement : égoïste et moralisateur, idiot et obstiné dans son idiotie.

*en italique dans le texte.
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Pour que le langage échappe à sa réification, il serait (...) plus pertinent d'assumer la possibilité qu'il soit marchandise ou service, et de sortir du déni du commerce de la Littérature. Libérée de son aura cultuelle, le texte retrouve une valeur d'usage en même temps qu'il acquiert une valeur marchande ; en d'autres termes, l'existence d'un marché viable soutenant l'échange des discours est l'un des témoignages de la vitalité de la pensée et de la pertinence dans une société.
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(Qu'on ne m'attribue pas une telle pensée, SOS ! D'ailleurs, l'auteur défonce les portes ouvertes : il y a un moment déjà que le livre est devenu un objet de commerce, et pas des plus rentables ! )
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La situation actuelle, avec la numérisation accélérée de tous les discours présents et passés, apporte un démenti radical à l'idée selon laquelle le discours peut continuer à vivre grâce à sa conservation : si naufrage il y a, ce n'est certes pas par incapacité technique à conserver la lettre. C'est plutôt que l'esprit s'en retire, ou que les conditions grâce auxquelles l'esprit peut se glisser dans la lettre ne sont plus remplies.
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C'est un fait : le destin d'un auteur est de mourir, quelque soit la qualité de son oeuvre ; un chef-d'oeuvre ne perdure qu'au prix d'une infinité de contre-sens sur son compte, dont les deux principaux sont l'intégration à l'idéologie de la classe dominante (...) ; l'intégration au nombre des auteurs que l'on étudie dans les classes.
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Ainsi, si d'un côté nous voyons le Culturé, consommateur-approbateur, s'avachir dans la figure du Diverti, nous voyons aussi resurgir la revendication d'un contrôle direct de notre destin collectif, un sens de la conflictualité et une appétence pour une parole pertinente plutôt que pour une parole pour "faire joli".
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