On dit souvent que l'amour donne des ailes. C'est vrai, c'est un moteur puissant.
Mais il existe d'autres sources de motivation tout aussi fortes.
Chez
Nadir Dendoune, c'est le désir de revanche qui le fait avancer. Car il a une revanche sur la vie à prendre : cette vie qui l'a fait naître et grandir dans ce maudit département du 9-3, de parents immigrés algériens.
Nadir Dendoune veut "montrer à la France qu'on peut être né du mauvais côté du périph, dans les HLM du 93, être le fils d'un Algérien illettré et réussir un exploit que bien peu de gens seraient même capables d'envisager."
Vaste programme, terrible motivation, incroyable objectif !
Venons-en maintenant au contenu du livre. Autant le dire tout de suite, il est très inégal.
Tout d'abord dans le style, patchwork de passages très crus, "bruts de décoffrage", et d'autres plus recherchés qui paraissent quelquefois incongrus.
Dans les récits d'alpinisme ensuite : certains sont prenants, mais d'autre fois, je suis restée sur ma faim, j'aurais aimé davantage de détails. J'ai relevé également quelques bizarreries dans le texte comme la fameuse cascade de glace curieusement appelée la "crevasse" de glace. Et d'autres petits points un peu étranges, qui à mon avis auraient mérité une relecture et une correction plus attentives.
D'une façon générale, quelques approximations, quelques erreurs font un peu désordre dans le texte, comme dans ce passage : "Stanislas, treize ans, fils aîné de Mathilde, travaillait son piano. Son professeur lui apprenait à jouer la Cinquième Symphonie de Beethoven." Qui connaît tant soit peu la musique classique, sait que la cinquième symphonie de Beethoven est une oeuvre orchestrale, dans laquelle n'intervient aucun piano.
Bizarre donc, mais aussi dommage : de telles erreurs ne rendent pas service au livre, et elles auraient pu être évitées.
En ce qui concerne l'auteur, il m'a agacée au début. J'ai trouvé qu'il se mettait un peu trop en scène, qu'il se posait un peu trop en victime, qu'il accumulait un peu trop les clichés : bref, qu'il en faisait trop. Mais petit à petit, au fil du récit, le masque tombe et laisse place à davantage d'authenticité... et mon point de vue a changé.
Je me suis progressivement attachée à ce drôle de personnage, et mon agacement a cédé la place à de la franche admiration.
Nadir Dendoune fait preuve d'un acharnement et d'une volonté admirables. Il a gagné mon respect au fur et à mesure qu'il gagnait celui des sherpas et de ses camarades d'expédition. Il faut dire que ceux-ci se méfiaient de lui au début, non pas à cause de stupides préjugés (je ne pense pas que des sherpas ou des Australiens connaissent le 9-3 !), mais parce qu'ils n'avaient pas confiance en ses capacités d'alpiniste. Et il y avait de quoi ! Nadir est maladroit, n'a pas l'air de maîtriser les techniques élémentaires... on comprend la méfiance du reste du groupe.
Mais à force d'entraînement, de travail et de concentration, Nadir se met rapidement au niveau... et plus : il devient l'un des leaders de l'équipe.
Je ne tue aucun suspense en révélant le happy end : la couverture du livre montre Nadir radieux au sommet de l'Everest, tenant un gros coeur en carton sur lequel est inscrit en gros "93". La revanche... jusqu'au bout !
Ce livre est original, pas littéraire du tout, mais tout de même intéressant pour le récit personnel qu'il contient. Pour l'aventure incroyable dans laquelle l'auteur s'est lancé. Il se trouve qu'elle se situe à l'Everest, mais elle aurait pu être transposée dans n'importe quel autre lieu : ce qui compte ici, c'est le défi et la volonté d'un homme.
Monsieur Dendoune, vous n'êtes pas un tocard, non, pas du tout !
Ce que vous avez accompli à l'Everest vous vaut le respect.
Et si je peux me permettre un petit conseil : ce passé qui vous colle à la peau, ce passé que vous traînez comme un boulet, laissez-le définitivement derrière vous. Allez de l'avant, vous n'avez plus rien à prouver. Soyez vous-même et avancez : c'est la meilleure revanche que vous pourrez prendre.
Chapeau bas monsieur Dendoune !