Ces deux nouvelles de Colette ont été écrites de mai 1939 à mai ou juin 1940 mais nous projettent 30 ans plus tôt, sans doute vers 1910 d'après les quelques indices laissés par Colette dans sa narration. Pourtant, même si la romancière se met en scène dans ces deux nouvelles, et semble nous relater ses vieux souvenirs, il s'agit pas du tout d'une autobiographie mais d'une autofiction qui fait la part belle à une forme de nostalgie de ses années du début du siècle quand on "prenait les eaux" pour soigner sa tuberculose et que le tourisme thermal n'existait pas encore, quand il était impensable pour une femme de sortir tête nue...
Hasard, puissance des souvenirs sont deux des thématiques que Colette explore avec finesse pour nous faire revivre un peu du quotidien des années 1910.
J'ai eu du mal à rentrer dans la première nouvelle "Chambre d'hôtel" qui commence si lentement et par des réflexions décousues presque sans queue ni tête que je ne comprenais pas où cela allait me mener. Il faut persévérer un peu pour comprendre que l'intrigue démarre quand Colette se trouve, suite à une série de circonstances hasardeuses, dans la chambre d'hôtel d'une ville thermale, rappel lointain d'Uriage où elle passa quelque temps. Là-bas, Colette, désoeuvrée, en attente d'un nouvel engagement au music-hall, sympathise malgré elle avec le couple de la chambre d'à côté : une curiste venue soigner sa tuberculose, accompagnée de son mari que Colette soupçonne vite d'infidélité. Je n'ai pas été convaincue par cette nouvelle.
En revanche,
La lune de pluie m'a bien plu. En allant porter son manuscrit à sa nouvelle dactylo, Colette découvre que celle-ci habite son ancien logis.
Qui n'a jamais souhaité revoir la demeure de son enfance, découvrir qui habite l'appartement où l'on a vécu célibataire avant de déménager pour plus grand, savoir comment les nouveaux propriétaires ou locataires ont transformé la maison de ses parents ou de ses grands-parents après qu'elle ait été vendue ?
Entre nostalgie et regret d'une période disparue, Colette tente avec une curiosité parfois déplacée, insistante même d'entrer un peu plus dans l'intimité de cette femme et de sa soeur pour goûter le plaisir secret de retrouver sur le vieux papier de tenture le dessin un peu effacé des bouquets de roses et de liserons qui s'y déployaient, ou la forme de l'espagnolette qui fermait la fenêtre de sa chambre... Sans leur avouer qu'elle a autrefois habité ici, Colette force le seuil de "sa" chambre et se trouve confrontée à une jeune femme perturbée qui se livre à des pratiques de magie en vogue à cette époque. C'est une part d'elle-même qu'elle cherche à retrouver en remontant le temps par la force des souvenirs visuels, tactiles et olfactifs qui l'assaillent à chacune de ses visites aux deux soeurs. Une démarche un peu malsaine finalement dont elle finit par prendre conscience.
Dans ces deux nouvelles, Colette n'a pas seulement la fonction du choeur antique, ou d'un témoin passif de l'histoire. Par son immixtion dans la vie de ces deux couples qu'elle côtoie, par son écoute ou ses paroles, elle se pose en instrument du destin et influence leurs vies.
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