J'ai lu avec beaucoup de plaisir le premier tome de
Mémoires d'outre-tombe qui relate l'enfance et les premières années adulte
De Chateaubriand. J'ai découvert avec intérêt le second volume où
Chateaubriand relate la Révolution française, l'ascension et la chute de Napoléon. J'y ai noté une certaine répulsion / admiration
De Chateaubriand pour Napoléon. Certaines pages sont sublimes.
Dans ce tome, ce n'est plus la même chose.
Chateaubriand se penche sur sa carrière de politicien / diplomate. Mon dieu que c'est long.
Chateaubriand relate ses aventures en tant qu'ambassadeur à Berlin, Londres puis Rome. Certains passages sur l'art, l'Italie sont intéressants mais ils sont peu nombreux et puis
Chateaubriand se pose en victime des politiciens de son temps, du roi qu'il soutient, défend et qui ne l'apprécie pas à sa juste valeur.
140 ans plus tard, que reste t il dans nos mémoires de cette époque ? Je ne suis pas très férue de cette époque et je n'ai pas toutes les clés pour comprendre les différentes allusions, personnages que raconte
Chateaubriand…. Mais certains retournements de veste, d'opinion, les alliances etc, tout cela n'a rien de bien nouveau sous le soleil… A part des historiens et autres personnes passionnés de la fin du 19eme siècle, je crains bien que peu de gens puissent apprécier ce tome. En tout cas, il me pèse. Je rédige ces quelques lignes alors que j'en suis au livre 30. Il me reste une centaine de pages à lire… et cela s'annonce long…
Chateaubriand mélange considérations politiques et diplomatiques. Il est question de guerre entre Turcs, Grecs, Russes, … Une rencontre avec le Pape, des courriers à sa maitresse.
Quelques exemples pour vous montrer les différents niveaux de réflexion. Où l'on peut également voir que les événements actuels et les thèses du grand remplacement ont des racines lointaines…
« Loin de mépriser le passé, nous devrions, comme le font tous les peuples, le traiter en vieillard vénérable qui raconte à nos foyers ce qu'il a vu : quel mal nous peut−il faire ? Il nous instruit et nous amuse par ses récits, ses idées, son langage, ses manières, ses habits d'autrefois ; mais il est sans force, et ses mains sont débiles et tremblantes. Aurions−nous peur de ce contemporain de nos pères, qui serait déjà avec eux dans la tombe s'il pouvait mourir, et qui n'a d'autorité que celle de leur poussière ? »
« Je dois remarquer que j'ai été le seul, avec
Benjamin Constant, à signaler l'imprévoyance des gouvernements chrétiens : un peuple dont l'ordre social est fondé sur l'esclavage et la polygamie est un peuple qu'il faut renvoyer aux steppes des Mongols. »
…
« Mais je m'évertue à démontrer l'honneur de la Restauration ; eh ! qui s'inquiète de ce qu'elle a fait, surtout qui s'en inquiétera dans quelques années ? Autant vaudrait m'échauffer pour les intérêts de Tyr et d'Ecbatane : ce monde passé n'est plus et ne sera plus. Après Alexandre, commença le pouvoir romain ; après César, le christianisme changea le monde ; après Charlemagne, la nuit féodale engendra une nouvelle société ; après Napoléon néant : on ne voit venir ni empire, ni religion, ni barbares. La civilisation est montée à son plus haut point mais civilisation matérielle, inféconde, qui ne peut rien produire, car on ne saurait donner la vie que par la morale ; on n'arrive à la création des peuples que par les routes du ciel : les chemins de fer nous conduiront seulement avec plus de rapidité à l'abîme. »
« l'Angleterre et l'Autriche ont toujours été et seront toujours les adversaires naturels de la France, nous les verrions demain s'allier de grand coeur à la Russie, s'il s'agissait de nous combattre et de nous dépouiller. »
" Il y a sympathie entre la Russie et la France ; la dernière a presque civilisé la première dans les classes élevées de la société ; elle lui a donné sa langue et ses moeurs. Placées aux deux extrémités de l'Europe, la France et la Russie ne se touchent point par leurs frontières, elles n'ont point de champ de bataille où elles puissent se rencontrer ; elles n'ont aucune rivalité de commerce, et les ennemis naturels de la Russie (les Anglais et les Autrichiens) sont aussi les ennemis naturels de la France. En temps de paix, que le cabinet des Tuileries reste l'allié du cabinet
De Saint−Pétersbourg, et rien ne peut bouge
r en Europe. En temps de guerre, l'union des deux cabinets dictera des lois au monde.
« Considérée sous le double rapport des intérêts généraux de la société et de nos intérêts particuliers, la guerre de la Russie contre la Porte ne doit nous donner aucun ombrage. En principe de grande civilisation, l'espèce humaine ne peut que gagner à la destruction de l'empire ottoman : mieux vaut mille fois pour les peuples la domination de la Croix à Constantinople que celle du Croissant. Tous les éléments de la morale et de la société politique sont au fond du christianisme, tous les germes de la destruction sociale sont dans la religion de Mahomet. On dit que le sultan actuel a fait des pas vers la civilisation : est−ce parce qu'il a essayé, à l'aide de quelques
renégats français, de quelques officiers anglais et autrichiens, de soumettre ses hordes fanatiques à des exercices réguliers ? Et depuis quand l'apprentissage machinal des armes est−il la civilisation ? C'est une faute énorme, c'est presqu'un crime d'avoir initié les Turcs dans la science de notre tactique : il faut baptiser les soldats qu'on discipline, à moins qu'on ne veuille élever à dessein des destructeurs de la société. »
« L'imprévoyance est grande : l'Autriche, qui s'applaudit de l'organisation des armées ottomanes, serait la première à porter la peine de sa joie : si les Turcs battaient les Russes, à plus forte raison seraient−ils capables de se mesurer avec les impériaux leurs voisins ; Vienne cette fois n'échapperait pas au grand vizir. le reste de l'Europe, qui croit n'avoir à craindre de la Porte, serait−il plus en sûreté ? Des hommes à passions et à courte vue veulent que la Turquie soit une puissance militaire régulière, qu'elle entre dans le droit commun de paix et de guerre des nations civilisées, le tout pour maintenir je ne sais quelle balance, dont le mot vide de sens dispense ces hommes d'avoir une idée : quelles seraient les conséquences de ces volontés réalisées ? Quand il plairait au sultan, sous un prétexte quelconque, d'attaquer un gouvernement chrétien, une flotte constantinopolitaine bien manoeuvrée, augmentée de la flotte du pacha d'Egypte et du contingent maritime des puissances barbaresques, déclarerait les cotes de l'Espagne ou de l'Italie en état de blocus, débarquerait cinquante mille hommes à Carthagène ou à Naples. Vous ne voulez pas planter la Croix sur Sainte−Sophie : continuez de discipliner des hordes de Turcs, d'Albanais, de Nègres et d'Arabes, et avant vingt ans peut−être le Croissant brillera sur le dôme
De Saint-Pierre. Appellerez−vous alors l'Europe à une croisade contre des infidèles armés de la peste, de l'esclavage et du Coran ? il sera trop tard."
Je reviens compléter mes notes.
Heureusement la dernière partie de ce volume, sur les trois jours (plus connus sous le nom des trois glorieuses, terme que n'emploie pas
Chateaubriand), est beaucoup plus intéressante.
On y découvre un
Chateaubriand royaliste, qui n'est pas apprécié par Charles X et qui n'approuve pas la façon dont la royauté d'abord refuse la liberté de la presse (une des raisons qui mène à la crise) puis est sauvée pour un temps en changeant de branche de la famille royale.
Chateaubriand représente un politicien comme il n'en existe plus. Il démissionne et renonce à ses émoluments.
Il a une analyse intéressante sur la situation et sur ce que l'avenir réserve à la royauté en France et en Europe. Certains passages sont vraiment intéressants / éclairants par rapport à la situation actuelle de la politique française (toute proportion gardées).
En revanche il a des considérations sur la guerre civile qui font froid dans le dos.
Il semble également penser que la guerre sera, dans le futur, un concept qui n'existera plus. Sur ce point, soit 140 ans ne suffisent pas… ou il n'est pas très prescient.
Enfin, je vous laisse juge de la modestie
De Chateaubriand.
"Le grand événement de ma carrière politique est la guerre d'Espagne. Elle fut pour moi, dans cette carrière, ce qu'avait été le
Génie du Christianisme dans ma carrière littéraire. Ma destinée me choisit pour me charger de la puissante aventure qui, sous la Restauration, aurait pu régulariser la marche du monde vers l'avenir. Elle m'enleva à mes songes, et me transforma en conducteur des faits. A la table où elle me fit jouer, elle plaça comme adversaires les deux premiers ministres du jour, le prince de Metternich et M. Canning ; je gagnai contre eux la partie. Tous les esprits sérieux que comptaient alors les cabinets convinrent qu'ils avaient rencontré en moi un homme d'Etat [Voyez les lettres et dépêches des diverses cours, dans le Congrès de Vérone, consultez aussi l'Ambassade de Rome. (N.d.A.)].
Bonaparte l'avait prévu avant eux, malgré mes livres. Je pourrais donc, sans me vanter, croire que le politique a valu en moi l'écrivain ; mais je n'attache aucun prix à la renommée des affaires, c'est pour cela que je me suis permis d'en parler. Si, lors de l'entreprise péninsulaire, je n'avais pas été jeté à l'écart par des hommes aveugles, le cours de nos destinées changeait ; la France reprenait ses frontières, l'équilibre de l'Europe était rétabli, la Restauration devenue glorieuse, aurait pu vivre encore longtemps, et mon travail diplomatique aurait aussi compté pour un degré dans notre histoire. Entre mes deux vies, il n'y a que la différence du résultat. Ma carrière littéraire complètement accomplie, a produit tout ce qu'elle devait produire, parce qu'elle n'a dépendu que de moi. Ma carrière politique a été subitement arrêtée au milieu de ses succès, parce qu'elle a dépendu des autres."