Le grand sommeil, The Big Sleep est le premier roman de
Raymond Chandler, après la série des nouvelles. Il en écrira encore sept, le dernier restant inachevé.
Le vieux général Sternwood, invalide et malade, a deux charmantes filles, Vivian qui aime picoler et jouer à la roulette, et Carmen la plus jeune, une nympho qui se came. Et comme le mal attire le mal, il y a les gangsters, méchants, dangereux, efficaces. On appelle au secours Philip Marlowe, le privé.
L'histoire est on ne peut plus compliquée, mais, comme dit Chandler, "Mon histoire n'est jamais qu'une histoire de détective, une de plus ; elle s'intéresse, cependant, plus aux gens qu'à l'intrigue, elle essaie de tenir sur pattes en tant que roman avec une touche de mystère et quelques gouttes de tabasco sur les huîtres."
Contrairement à la nouvelle, les personnages du roman ont besoin de plus de consistance, plus de chair, et leur univers demande plus de vie.
Raymond Chandler en fondu enchaîné avec son héros Philip Marlowe, crée son personnage à son image, si pas tout à fait crachée, au moins bien ressemblante. Marlowe ne prend pas les choses au sérieux sans pour autant s'en soustraire, ce qui donne l'aspect tragi-comique du personnage et de l'oeuvre, sa forme mélodramatique avec son potentiel émotionnel excessif.
Philip Marlowe le privé est aussi le narrateur, c'est un dur à cuire, séduisant et honnête, spirituel et romantique à la fois, sa voix est "l'émotion à demi poétique contrôlé", selon les propres mots de Chandler. Marlowe sent le danger, voit le caché, devine les caractères, sans cela comment pourrait il faire son métier.
Humour rude, sens du ridicule, dégoût des faux-semblants, mépris de toute mesquinerie, sont des qualités qui font de Marlowe un solitaire. A cela s'ajoute une force morale et intellectuelle, un caractère drôle et direct caressant de très près le cynisme. Avec un tel attirail il se met en dehors et au-dessus de l'histoire et s'en prend à ceux qui sont responsables de la corruption et qui en vivent.
Marlowe, donne au roman cet équilibre subtil entre une certaine dose d'idéalisme et une bonne dose de mépris.
Dans
le grand sommeil, la critique sociale sans voile se fait sentir d'une manière indirecte grâce à la force et à l'expression libre de l'humour qui fait du roman une comédie sur la futilité humaine. La narration est rapide, bien rythmée et les dialogues ont l'esprit vif de la repartie.
Vers la fin de sa vie,
Raymond Chandler écrivait : "Toute ma carrière est basée sur le principe que la formule n'a pas d'importance, ce qui compte, c'est la manière dont vous la traitez ; c'est à dire que tout est une question de style."
Son premier roman a remporté un succès bien mérité et à Chandler de dire : "Vous travaillez dur pendant dix ans sans arriver nulle part, et puis, en dix minutes, vous y êtes."
Il a transformé un langage en oeuvre d'art.
Pour son premier roman et coup d'essai, ce fut un coup de maître et le maître fut reconnu.