A l'heure où les dystopies sont prolifiques, une bonne utopie ça fait du bien. Alors ce n'est pas Candide, tout n'est pas parfait mais ça fait du bien. Ecotopia est une réédition d'un récit écrit en 1975 par
Ernest Callenbach, vendu à plus d'un million d'exemplaires depuis, il s'agit aussi du seul roman traduit en français de cet auteur. Il écrit ce livre alors que les Etats-Unis sont en guerre depuis vingt ans au Vietnam et à l'apogée des années Hippies où l'on voit apparaitre beaucoup de mouvements réfractaires, antisystème et de retour à la nature. Une oeuvre qui, à sa sortie, a pu être vue comme un délire de science-fiction (même si les idées commençaient déjà à chauffer dans les têtes), résonne aujourd'hui beaucoup plus avec nos enjeux climatiques et écologiques, à l'heure où nos énergies fossiles fondent et que notre planète se réchauffe. La question du vivre autrement en société se pose.
Le récit nous sera narré par notre personnage principal : William Weston, un journaliste d'investigation habitué du terrain, ayant beaucoup voyagé, dont la réputation n'est plus à faire. Il va avoir le privilège de se rendre en Ecotopia, où aucun citoyen des Etats-Unis n'a pu se rendre, un pays qui représente les états de la côte ouest des Etats-Unis ayant fait sécession voilà de ça deux décennies. Un pays ayant fait des choix radicaux afin de sortir de l'industrialisation, du capitalisme, de la surconsommation et de la déshumanisation pour prendre la direction de l'écologie, de l'autonomie, du survivalisme, du communautarisme en prenant comme idéaux ceux des premiers habitants de leur terre : les amérindiens. Will aura donc pour objectif de rendre compte de ce qu'il voit, de savoir si une reprise des relations est possible entre ces deux pays. Mais pour cela il devra, malgré son objectivité journalistique, passé outre son formatage et ses stéréotypes d'américain, comprendre une société où l'homme et la nature se veulent les plus égaux possible, où des gens ont choisi de travailler moins pour que tout le monde puisse travailler, où toutes les entreprises sont gérées par leurs propres employés, où la pollution est considérée comme un crime grave, où la société du paraitre n'existe plus, où hommes et femmes sont égaux, où les mots importent autant que les actes.
Un des points forts de ce livre est sa double lecture, le récit a deux formats différents qui s'entrecoupent, d'un coté nous avons les articles très procéduraux et formels que Will écrit et envoie à son éditeur pour qu'ils soient publiés aux Etats-Unis, de l'autre coté nous avons son journal intime où il nous parle sans filtre de ce qu'il ressent et vit. Cette dualité m'a initialement rebuté par sa redondance mais elle évoluera au fur et à mesure de l'histoire pour devenir rapidement dissociable tout en étant complémentaire.
Il est aussi intéressant de voir qu'il n'y a pas que la société qui a changé en Ecotopia, ses habitants sont drastiquement différents au point de vue de la psychologie et des relations humaines. Grâce au revenu minimum universel chacun est libre de faire ce qu'il veut de sa vie. Personne ne vit seul, les familles sont élargies à une vingtaine ou trentaine de personnes où alors certaines castes de métier vivent en communauté. Ne pas dire ce que l'on ressent est très mal vu, même à des inconnus, quitte à froisser il ne faut rien garder en soi. le sexe n'est pas un tabou mais un partage humain qui n'est soumis à aucune contrainte de monogamie ou de fidélité. le travail n'est pas la vie, la semaine de vingt heures permet aux gens de s'épanouir et de s'amuser. La santé mentale y est aussi importante que la santé physique. Que de bonnes idées dont on pourrait s'inspirer ^^
Ce qui rend cette société crédible, c'est qu'elle n'a pas atteint la perfection non plus. Bien qu'utilisant plein d'énergies renouvelables, elle est encore dépendante de quelques centrales nucléaires. Elle a beau avoir remplacé presque tous les moyens de transport à essence au profit de l'électricité, les habitants utilisent encore du gasoil sous certaines raisons. Les gens sont certes égaux mais cela n'empêche pas les communautés ethniques de ne continuer à vivre qu'entres elles. Une indépendance souhaitée pour tous mais qui pourrait pousser justement ces communautés à faire sécession de l'état sécessioniste. Même au sein de sa propre politique, Ecotopia a des divisions entre le parti du progrès et le parti de la survie.
Je ne développerai pas beaucoup sur Will (ou sur le scénario) car son évolution est prévisible mais il est quand même intéressant de le voir essayer de garder son identité américaine tout en essayant de s'assimiler à la population locale. Ce sont plus les personnes qu'il rencontre qui sont des paliers de son évolution comme Bert ou Marissa ainsi que certaines institutions.
Je relèverai un aspect négatif quand même, c'est la partie documentaire de certains articles de journaux ainsi que les textes scientifiques, qui malgré la vulgarisation, sont un peu lourds (même s'ils sont utiles à la compréhension de cette société) peuvent casser le rythme de la lecture. C'est une aventure mais ce n'est pas un récit d'aventure ! Il faut vraiment voir ça comme des articles que l'on pourrait lire dans les journaux et un journal intime.
Comme dit dans la première phrase de ma critique, ça fait du bien. Ça fait du bien de voir une société où des personnes ont pris le parti d'essayer, de faire des sacrifices pour changer, pour s'approcher de ses idéaux. Ça fait du bien de voir des gens qui ne cherchent pas à paraitre mais qui sont seulement. Et il y a plein d'idées là-dedans desquelles on ferait mieux de s'inspirer. Alors oui ça changerait pleins de choses, mais pourquoi pas ? A mettre dans toutes les mains !