L'obsession de Bosco est « l'ombre », la représentation du réel dans notre esprit : on ne voit pas les choses en soi mais par le prisme de nos projections mentales. La vocation de sa littérature est de nous faire ressentir émotionnellement ce dédoublement. Il y arrive magistralement dans «
Malicroix » : on ne sait jamais si on assiste à une scène objective ou à une séquence se déroulant dans la tête du narrateur. Ici il pousse le bouchon plus loin en décontextualisant davantage encore le récit : le personnage n'est pas vraiment « quelque part », il est surtout en lui-même ; et, sous cet éclairage, le monde n'a plus rien d'objectif. Mais, autant dans «
Malicroix », un souffle littéraire magnifique rehausse de manière saisissante cette perspective, autant ici (dans cette expérimentation de laboratoire vécue à huis clos), la flamme retombe, la verve s'étiole, conséquence sans doute de l'âge, Bosco ayant écrit ce texte juste avant sa mort, à un peu moins de 90 ans.
Dès le départ (c'est étonnant comment les premiers mots disent tout de la qualité d'un écrit), on sent que le récit, sans réelle queue ni tête, vagabonde sans objectif précis, à l'instar d'un mécanisme en roue libre qui tournerait à vide. de surcroît le style souverain de Bosco n'y est plus, l'inspiration, presque gauche, manque d'aisance et de clarté. Autant dire que la mayonnaise ne prend pas : il y a les mêmes ingrédients, plus le tour de main. Ensuite, page après page, on s'embourbe tellement dans cet ésotérisme incertain que l'on se demande où l'auteur veut en venir, s'il veut réellement signifier quelque chose, si cette opacité ne dissimule pas une confusion, un embrouillamini, un vide complet. On songe à la phrase prémonitoire de Chardonne : « Ce qui est difficile, ce n'est pas d'atteindre le but, mais de ne pas le dépasser ».