Après plusieurs romans assez sombres, violents, ancrés dans la réalité d'aujourd'hui, j'ai eu envie d'une histoire chargée d'une atmosphère mystérieuse, étrangère à notre temps.
C'est donc avec cette idée que j'ai parcouru ma bibliothèque pour trouver la lecture qui me conviendrait. Mon regard s'est alors posé sur le dos rouge de ce roman.
L'objet livre à la tranche bleutée, serti d'illustrations en noir et blanc de Yohann Propin, rappelle les gravures anciennes du XIXe siècle.
La couverture, épaisse, rouge, avec une découpe ronde suggérant un judas optique, permet au lecteur de voir sans être vu. Ainsi, cette petite ouverture pratiquée dans la paroi du livre plonge à l'intérieur du Château des trompe-l'oeil, suggérant une ambiance gothique inquiétante.
Le lecteur se fait un peu voyeur.
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L'histoire se déroule en 1837, en pleine époque romantique, dans une région que j'aime beaucoup, la baie du Mont St-Michel.
Le jeune Baptiste Rivière, un jeune clerc de notaire, est appelé au château de la baronne d'Escreuil, Léonie de Selves, afin d'établir un inventaire de toutes ses collections, estimer leur valeur afin de réviser le testament de la vieille femme qui n'a pas de descendance.
Mais dès son arrivée à Escreuil, l'atmosphère se charge d'une tension menaçante et sombre, parvenant à mettre le lecteur sur ses gardes. En effet, l'aspect du château, imposant, froid et humide, l'accueil désobligeant du personnel, la présence de dogues pareils à des cerbères, donnent le ton.
« La première impression est toujours la bonne, disait souvent maître Bouchard. Baptiste chercha à se rappeler ce qu'il avait ressenti lorsque, descendant de voiture, il avait aperçu Langlois planté sur le perron, entouré de ses dogues anglais auxquels il ordonnait de se rasseoir – les monstres, même à terre, avaient continué à gronder et montrer les crocs. Difficile de démêler ce qui, dans sa terreur, lui avait été inspiré par la meute ou par Langlois. Mais terreur était bien le mot. »
Et lorsque le personnel refuse l'entrée du jeune homme dans les parties privées de la propriétaire des lieux, le lecteur pressent qu'un secret entoure la baronne.
« Tout un roman se déployait, avec ses reliefs accidentés, ses zones d'ombres persistantes. »
Léonie de Selves se cache-t-elle ? Est-elle malade ? Décédée ? Assassinée par un de ses employés ? Qui veut s'arroger les titres de propriété du château ? Qui sera le bénéficiaire du nouveau testament ?
Autant de questions que le lecteur se pose. La lecture devient alors vite prenante, le lecteur se demandant pourquoi la baronne d'Escreuil ne sort jamais de sa chambre.
Le jeune homme, malgré ses inquiétudes, décide d'en avoir le coeur net et se risque la nuit, une fois le château plongé dans l'obscurité, dans les couloirs du château pour atteindre les appartements de la vieille femme. Mais c'est sans compter la présence des dogues lâchés dans la demeure, la présence d'un horrible chat qui semble toujours placer sur son chemin, et des employés qui semblent surveiller constamment ses allées et venues.
Si, à cette atmosphère délétère et intrigante, vous insérez une histoire de fantôme, une lettre d'avertissement, des bruits nocturnes, des villageois propageant de sombres rumeurs, vous avez tous les ingrédients pour être surpris et tenu en haleine jusqu'au bout.
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Ce récit est une sorte de jeu de piste truffé d'énigmes, de secrets, de pièges.
En effet, les personnages ne sont pas ce qu'ils semblent être.
Christophe Bigot a écrit un roman dominé par l'art de la dissimulation, du faux-semblant et de la manipulation. Dans les méandres des non-dits et des demi-vérités, les comportements et les paroles ne sont que du trompe-l'oeil, pour éloigner Baptiste de la vérité.
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L'auteur maîtrise l'intrigue parfaitement, disséminant des indices tout au long du récit afin que la vérité se révèle doucement et sans accroc.
Plus on s'immisce dans l'intrigue, et plus elle devient complexe, par les relations qui se dessinent entre les personnages, mais aussi par la multitude de personnages que Léonie de Selves va côtoyer pendant la période révolutionnaire.
Pour le lecteur, ce sont des bonds dans le temps car le passé de la baronne est indémêlable des évènements qui ont entouré la Révolution française et la Terreur. L'époque est fascinante.
Ainsi, on apprend petit à petit l'histoire du château d'Escreuil, de la baronne, le tout dans une atmosphère post-révolutionnaire chargée, tendue.
La fin du récit amène d'étranges révélations.
Là encore, l'auteur s'est joué du lecteur. La vérité revêtue d'apparences prend une direction totalement inattendue et surprenante, car en allant au bout de sa mission, le jeune Baptiste va faire d'autres découvertes, le concernant cette fois-ci.
« Surtout, défiez-vous des solutions trop simples. Une vérité en cache toujours une autre, qui en cache souvent elle-même une troisième. Dans ce puits de ténèbres, il importe de ne pas s'arrêter aux conclusions provisoires. Cependant, à trop vouloir s'enfoncer, on pourrait à son tour glisser dans un gouffre sans fond. »
Vous aurez compris, ce livre est un immense trompe-l'oeil qui se joue de la perception du lecteur, de ses certitudes, lui donnant l'illusion de la réalité et de la vérité.
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Lorsque j'ai acheté ce livre, j'ai surtout été attirée par le magnifique objet-livre, par l'époque historique et l'ambiance gothique. Les superbes illustrations me rappelaient également les contes de mon enfance, me laissant penser à tort, à un roman pour adolescents.
Si la première partie, entre thriller gothique et roman historique, m'a beaucoup plu, la seconde partie soulevant des problématiques plus actuelles m'a déconcertée. Il est difficile de les évoquer sans dévoiler toute l'intrigue.
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Pour conclure,
Christophe Bigot a choisi la technique du trompe-l'oeil pour nous entraîner dans un conte gothique dont l'arrière-plan historique, les décors et les personnages angoissants nous enferme dans un huis-clos réussi, sombre et inquiétant. le lecteur, tenu à distance derrière un oeilleton, se fait ainsi un peu voyeur.
Au final, le mystère autour de la propriétaire du château révèle également un récit plus complexe et actuel qu'il n'y paraît.