Soudain, dans le silence et les images de ses souvenirs, il entendit une voix. Lointaine et brumeuse. Comme dans un rêve. Ou bien était-ce dans ses pensées ? Mais non ! Il s’agissait bien du présent qui lui parlait : l’image holographique d’Aurora était apparue au coin d’un ciel clair. Sa voix douce et rassurante ramena Georges à la réalité :
« Oooh, bien le bonjour l’ami… Et toutes mes condoléances. J’ai appris pour Khloé au détour des conversations entendues. J’ai aussi découvert que tu avais quitté ta fonction dans la Police. Pourquoi ? Tu étais un bon flic pourtant. C’est la perte de ta moitié qui t’a bouleversé à ce point ? C’était si douloureux que tu as préféré te retirer ? Je pourrais le comprendre sans difficulté si seulement j’étais humaine. J’essaie de me mettre à ta place. ».
Georges, revenu à l’instant présent, de répondre :
« Même si un jour tu devenais humaine Aurora, tu aurais bien du mal à ressentir tout ce que j’ai vécu. Le meilleur comme le pire…. Elle et moi c’était une histoire sans mots. Nous n’avions rien besoin de nous dire ; nous lisions l’un en l’autre. Du moins c’est ce que je croyais. En réalité elle ne m’a laissé entrevoir que la couverture du livre ; le contenu je l’ai découvert à mes dépens. Tu la jugeais comme un cœur pur ? Eh bien tu t’es trompée ! Comme moi ! Nous nous sommes laissé blouser par son joli minois et sa fausse candeur. Et là, finalement oui, sur ce point tu es devenue humaine. ».
« Vous saurez bientôt Agnès… En attendant, vous n’imaginez pas la somme de travail que ça demande ce projet. Et en fin de compte, heureusement que votre fils est venu nous rejoindre en quittant sa qualité de citoyen Alpha. En tous cas, personnellement, il m’épargne un lourd labeur. À deux, c’est sûr, nous allons plus vite. Si seulement le pouvoir en place pouvait accélérer de son côté. Ça fait bientôt 3 mois que Jeff a dû présenter mon offre… ».
Il leva les yeux vers Georges occupé à libérer la place nécessaire au repas pour que celui-ci vienne appuyer ses propos. Ou au moins le rassurer car le spécialiste de l'administration, s’il y en avait un, c’était lui ! Ancien fonctionnaire de Police, Alpha fraîchement revenu en zone sauvage… Mais Georges ne répondit rien, l’esprit à d’autres pensées… à son attention à ranger les documents qui inondaient la table… à son récent passé fait de déceptions et de prise de conscience… Vraiment ! Il n’avait jamais évoqué les raisons de son retour. Ni à ses parents, ni à Krzyś. À personne !
Curieux personnages que ces deux hommes-là ! Que cachaient-ils donc ?
« Toutes les artères, mêmes les petites rues, toutes !, qui mènent au centre-ville sont bloquées ! Les rares places de stationnement condamnées ! Je n’ai croisé aucun péquin ! Ni à pied, ni en véhicule. D’ailleurs ça fait près d’une demi-heure que je tourne en rond pour savoir comment rentrer chez moi. À chaque fois je me casse le nez et je dois trouver un autre chemin… Attends, j’aperçois au loin une dame avec son chien. Je vais faire une chose que je ne fais habituellement pas pour aller me renseigner. Je te rappelle. ».
(...)
« Alors, il existe une possibilité pour m’y rendre ?! ».
Et la dame, convaincue de ses derniers propos :
« Eh bien, allez stationner votre voiture tout en haut de l’avenue. Là, vous y êtes autorisé. Et puis, si vous avez de bagages, prenez-les et redescendez en direction du centre. À pied. Attendez-vous à vous faire contrôler et, d’après de ce que je sais, si vous êtes sans mauvaise intention vis-à vis de notre Excellence, un de ses soldats, gendarme ou garde personnel, vous accompagnera jusque chez vous pour que vous n’en sortiez plus jusqu’à la fin de cette visite. ».
« Quoi la solitude ?! ».
L’ours solitaire de répondre à voix plus basse, sa confession maintenant sur les lèvres :
« Oh excusez-moi Agnès. Avec mes habitudes d’écrivain, je l’ai personnifiée. ». Il se reprit en corrigeant son propos. « Je l’ai rendue humaine car voilà vingt ans qu’elle ne me quitte plus. Je me réveille le matin. Elle est là ! Quoi que je fasse au cours de ma journée, elle me surveille. Elle est là tout près de moi ! Je ne la vois pas mais je la sens. Elle est omniprésente. Elle est envahissante et il faut vraiment que j’aie l’esprit occupé comme ces derniers jours pour ne pas ressentir sa présence. Encore que ! Ce matin elle m’a pris à la gorge alors que je ne m’y attendais plus. Ça faisait des semaines qu’elle ne m’avait pas rendu visite. ».
Agnès fut sur le point de l’interrompre mais il poursuivit afin de ne pas la laisser se méprendre une fois encore :
« La solitude, Agnès ! La solitude… voici qui est cette compagne de chaque instant. Et je ne comprends pas pourquoi elle réapparaît sans raisons. Mes neurones sont suffisamment occupés. Je ne pensais pas… ».
« Et pourquoi avoir quitté tes fonctions ? J’avais plaisir à vous retrouver lorsque vous veniez, toi et tes yeux bleu acier… ».
Un autre moment de vérité allait arriver pour Georges. Et cette fois pas question de le déguiser. Elle venait de jouer franc-jeu. Il lui devait bien ça. Il se redressa après avoir reposé son habituelle tasse de café devant lui et, à voix presque basse afin que les autres clients ne l’entendent pas, répondit :
« Sans rien te cacher… en des termes qui résument tout : je n’avais plus la vocation ! J’avais perdu ce qui faisait de moi, et sans prétention, un bon flic. J’avais perdu mon flair ; je m’étais perdu dans mes intérêts. Du moins j’ai écouté mon cœur et il ne le fallait pas ! Pas cette fois…