Des femmes seules, perdues dans l'immensité du Montana. Nous sommes en 1915, dans des contrées où le mode de vie se rapproche encore de celui de l'époque du Far West.
Victor Lavalle nous conte l'histoire d'Adelaide Henry, qui fuit son ancienne vie, au point de chercher à rejoindre
Les esseulées de cette région au climat difficile.
Les auteurs anglo-saxons sont des habitués du genre (mais quel genre ?), à se moquer des frontières littéraires, à mélanger les styles et les ambiances. Ce roman en est une nouvelle belle illustration.
Le roman tient autant de la fresque historique que du roman fantastique, plongeant le lecteur dans la dureté de l'existence de l'époque (surtout pour une femme) pour subitement le confronter à une horreur inimaginable.
Avec l'imagination qui vient appuyer la réalité, surprendre le lecteur, l'emmener vers une intrigue qui ne pourra pas anticiper. Un peu à la manière d'un
Michael McDowell, dont les lecteurs devraient aimer ce roman.
Victor Lavalle n'a eu droit qu'à une seule traduction en français à ce jour, et c'est bien dommage tant son talent éclabousse ces pages. Une prose soutenue qui sied à la période racontée, une inventivité qui ne s'interdit rien tout en sachant garder le cap, une capacité à construire des personnages puissants, voilà la preuve de son talent à travers
Les esseulées.
Cette virée américaine est une étonnante plongée dans le passé, loin des grandes villes, où les conditions climatiques pèsent autant que la solitude, où les quelques petites bourgades sont des états dans l'État.
Adelaide y débarque en train, tirant péniblement une malle pesante qu'elle surveille avec inquiétude. Elle fuit sa Californie natale pour se cacher, pleine de culpabilité, suite à la mort violente de ses parents. Très vite, le mystère va se densifier autour de ce bagage encombrant. Partout où elle passe, la mort semble se répandre…
Le contexte est décrit avec soin, sans jamais perdre le rythme de l'histoire. Un temps où il était encore possible d'obtenir des terres si on était capable de s'en occuper durant trois années. Y compris pour des femmes seules. Une gageure dans cette région aux hivers terribles, où faire sortir de terre des légumes est un pari. Surtout quand on débarque sans presque rien.
Adelaide va vite tomber dans le désespoir et frôler la mort. Avant de rencontrer d'autres femmes seules, des caractères forts. Il ne fait pourtant pas bon sortir des schémas habituels à cette époque.
Le roman s'apparente à une vraie aventure humaine, portée par des personnages taiseux, mais touchants, le tout nimbé d'un ténébreux et sanglant mystère au goût de malédiction. Une histoire d'émancipation, alors qu'une phrase ne cesse d'être répétée : « Une femme est une mule ».
Comme
McDowell,
Victor Lavalle ne se prive pas pour changer subitement d'ambiance d'une phrase à l'autre, à virer vers le fantastique pour revenir abruptement les pieds sur terre. Avec un talent qui fait qu'on intègre vite cette « anomalie », qu'on se retrouve littéralement plongé dans l'atmosphère.
Ce côté fantastique n'est pas du décorum, il a un sens, un message qui sera délivré avec justesse à la fin. Même à en payer le prix du sang (qui gicle parfois).
Les esseulées est un formidable roman qui plonge le lecteur dans un passé difficile pour une femme et dans un climat tendu, autant du fait des conditions climatiques que du violent mystère qui s'invite dans l'histoire.
Victor Lavalle démontre qu'il a un don pour raconter des aventures de personnages forts en les ancrant dans la terre tout en faisant travailler son imagination. Étonnant et prenant.
Lien :
https://gruznamur.com/2024/0..