Bachelard a revisité les quatre éléments, terre air, eau, feu dans leur rapport au monde et à l'humain.
L'eau, élément simple et transparent, sans saveur particulière a gardé une puissance évocatrice à travers les âges et notre culture commune, et sollicité constamment notre inconscient.
Par son plaisir à flâner le long des berges,
Bachelard a composé cet essai où il évoque et convoque tout ce qui peut provoquer des poussées d'imaginaire et nourrir puissamment le rêve.
L'eau apparaît en effet à maintes reprises dans la poésie : fraîcheur de l'image chez Mallarmé, dans les mythes aussi, tel Narcisse se mirant dans l'eau ou le cygne en littérature comme en peinture, symbole de la femme nue se baignant.
« En effet, le narcissisme n'est pas toujours névrosant. Il joue ainsi un rôle positif dans l'oeuvre esthétique, et par des transpositions rapides, dans l'oeuvre littéraire. »
Puis il y a les eaux profondes et sombres, tragiques et inquiétantes chez
Edgar Poe, mortel passage symbolisé par le « complexe de Caron », suicidaire chez l'Ophélie de
Shakespeare provoquant la communion de la lune et des flots –
Bachelard parle du « complexe d'Ophélie » - et qui en a inspiré plus d'un.
Par la suite, l'essai se développe sur les « eaux composées », phénoménologie de l'eau mêlée aux autres éléments, et particulièrement la terre. C'est l'eau qui laisse une « trace de rêve » qui enchante les enfants dans leurs expériences de pâtes. Encore une fois, ces matériaux inspirent les poètes ou les peintres, variation à l'infini de l'imaginaire.
« le limon est la poussière de l'eau, comme la cendre est la poussière du feu. Cendre, limon, fumée donneront des images qui échangeront sans fin leur matière.»
Enfin, le penseur s'intéresse aux autres formes que revêt l'eau dans la vie, l'imagination ou l'art qu'elle soit maternelle (lait), symbole de purification (eau pure et impure), passe par l'eau douce qui a sa suprématie (rivières, fleuves, lacs…) sachant, selon Charles Ploix que les « forces océaniques de Poséidon sont tardives.» le dieu était associé au brouillard et aux nuées, bref, à l'eau du ciel.
« Or, ce sont précisément des objets sans cesse contemplés dans la rêverie hydrique qui pressent l'eau cachée dans le ciel. Les signes précurseurs de la pluie éveillent une rêverie spéciale, une rêverie très végétale qui vit vraiment le désir de la prairie vers la pluie bienfaisante. A certaines heures, l'être humain est une plante qui désire l'eau du ciel. »
« L'eau violente », dernier chapitre de cet essai traite de l'eau en tant que mer déchainée comme les passions de certains héros
De Balzac ou de Hugo au destin tragique, l'eau et la mer est alors associée à leurs tourments psychologiques. La conclusion donne la « parole à l'eau » variant les nombreuses images et métaphores qui l'assimilent au langage des hommes - « couler de source, un style fluide… »- mais aussi l'eau a des voix indirectes qui résonnent dans notre imaginaire.
« Cette imagination sait bien que la rivière est une parole sans ponctuation, une phrase éluardienne qui n'accepte pas, pour son récit, des « ponctuateurs ». O chant de la rivière, merveilleuse logorrhée de la nature-enfant ! »
On le voit, lire
Bachelard dans cet ouvrage, c'est aussi laisser vagabonder sa rêverie, l'auteur nous y incite presque à chaque page et si l'on ralentit sa lecture, ce n'est pas parce que le passage est complexe mais plutôt pour goûter soi-même à ses propres rêves. Et les lecteurs de 1941 en avaient certainement un grand besoin !
« La rhétorique avec sa fade encyclopédie du beau, avec ses puériles rationalisations du clair, ne nous permet pas d'êtres fidèles à notre élément. Elle nous empêche de suivre, dans son plein essor, le fantôme réel de notre nature imaginaire, qui s'il dominait notre vie, nous rendrait la vérité de notre être, l'énergie de notre dynamisme propre. »