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Des phénomènes poétiques, des matières étudiées par Gaston Bachelard : eau, feu, air et terre, celui de l'eau apparaît comme une réalité complète. le philosophe met en lumière l'imagination matérielle, la profondeur et l'élan de la matière. Au delà de la forme dont elle se pare ; la poésie naît au coeur du rêve qui vit, depuis toujours, dans les entrailles du monde.
Le poète en extrayant sa substance fait apparaître la beauté naturelle. Pour Bachelard «  tout est rêvé avant d'être vu ». On rêve avant de contempler. Les gemmes sont dans la roche.
Le destin de l'eau est le destin quotidien de l'homme. Elle s'écoule sur son chemin, « s'horizontalise » et disparaît. «  La peine de l'eau est infinie ». Mais comme l'homme, elle donne et porte la vie. Elle appelle des images d'une extrême puissance : la pureté, la colère, le combat, la mort, l'extase. Elle ne se maîtrise pas et nous éveille.
De son premier bain à son dernier jet de pierre, l'homme affronte la matière, s'en approche, la contemple, s'y reflète, la provoque et y pénètre.
Matière pleine et invisible, l'eau nous trouble parfois. L'homme désire la mort du cygne, l'amour se sait beau et violent... L'eau est une matière étonnante.
On jouit de l'opacité de ses reflets. Qui est vu ? Qui est voyant ? La matière, cet inconscient de la forme, retient dans ses eaux bien des secrets. Eaux dormantes, eaux sombres, eaux de fontaine, qu'elles soient bénites ou maléfiques elles suivent le cours de tous nos drames. «  L'eau avale l'ombre comme un sirop noir ».
Pour Bachelard la chimie du rêve se matérialise dans la combinaison, le « mariage » de deux éléments. L'eau s'unit au feu. Se crée alors la contradiction substantielle, l'union folle des opposés qui par leur dualité sont force de vie. L'eau de vie se met à flamber. L'eau et le feu sont les plus grands géniteurs. En l'humidité chaude qu'ils entretiennent la création surgit. « Dépassez l'imaginable et vous aurez une réalité assez forte pour troubler le coeur et l'esprit ». En une autre poésie, l'eau s'unit à la nuit. La mer des Ténèbres est une peur humide. C'est l'union de la sublimation «  On ne sent bien les parfums de l'eau que la nuit ». L'eau « sensualise » la terre. Elle se lie à elle. L'âme « à la pâte » nous modelons le monde. «  Tout se déforme, même l'informe » écrit Victor Hugo.
C'est l'union de la force. La main du modeleur pénètre et possède la matière. L'homo faber a des rêves indéfinis qui s'échappent de la forme, forme qui se plie et se soumet à lui.
L'eau est le liquide : la sève, le lait, le sang, la semence, la lave. Son cycle ne s'achève jamais. du ciel vers la terre, de la terre vers le ciel, elles transportent les hommes. «  L'être humain est une plante qui désire l'eau du ciel ». « L'homme est transporté parce qu'il est porté ». Tous les poètes la chantent. Ils s'y jettent, s'y noient, en surgissent, s'y livrent, débordent de ses rives. Entre flux et reflux ils disent les passages. L'onirisme des rêves abreuvent l'idéalité des hommes. le poète aime l'imaginaire des eaux. « Aimer une image, c'est illustrer un amour ». de sa source s'échappent leurs mots. Ils rêvent l'eau plus fort qu'aucune autre matière. Qu'ils la provoquent, qu'elle les flagelle, qu'ils la désirent, qu'elle les inquiète, qu'ils la redoutent, qu'elle les implore, dès qu'ils se mettent à rêver, les hommes ont l'eau à la bouche.
Les philosophes poétisent et les poètes philosophent, c'est le plus beau chant des hommes.
Bachelard, au bord d'une rivière, nous fait entendre la plus grande musique du monde.

Astrid SHRIQUI GARAIN
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Qu'est-ce que l'eau pour l'homme? Que suscite-t-elle en lui? Quels sont les rêves de l'eau? L'enquête de Bachelard plonge profond (d'emblée la métaphore est omniprésente) dans l'impensé liquide. Il cherche, à travers les mots des poètes, les sens (l'essence, la distillation, l'évaporation) de cette matière fuyante ou stagnante, calme ou rapide, pure ou pâteuse. Il y voit la vie sereine et l'appel de la mort, le miroir et le trouble, le sang et le lait. L'eau est une matière féminine, maternelle, originelle. Elle rassure et elle gronde. Elle est toujours douce. L'eau de mer est-elle vraiment de l'eau? Seulement si, me dis-je, elle devient eau de mère, lait onctueux dont on ne se lasse pas. L'enquête cherche aussi à lier l'eau et les autres éléments, l'eau et la terre dans la pâte que l'on malaxe, l'eau et le feu dans l'alcool qui la rend folle, l'eau de l'air quand tombe la pluie. Attacher esprit et matière, montrer qu'on ne pense qu'à travers les éléments, voilà la tentative de Bachelard quand il plonge dans l'eau. Laissons-le maintenant s'envoler dans les airs.
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Pour Gaston Bachelard, tous les créateurs portent en eux un des quatre éléments - feu, terre, air, eau - qui transparaît dans leurs oeuvres. « Le poète du feu, celui de l'eau et de la terre ne transmettent pas la même inspiration que le poète de l'air ». Dans L'eau et les rêves, c'est bien entendu aux ruisseaux, cascades, lacs et mers qu'il s'intéresse.

Je n'avais jamais vraiment lu d'essai de critique littéraire… Et j'ai adoré découvrir Bachelard. Sa plume est magnifique, poétique, aussi mélodieuse que peut l'être la vague. Bien sûr, Bachelard est très influencé par la psychanalyse — qui à son époque était en vogue, grâce aux travaux de Freud. de Narcisse à Léda en passant par Ophélie, Bachelard s'interroge sur toutes ces images liées à l'eau qui traversent l'art depuis des siècles. de plus, il se penche avec attention sur l'inconscient imaginaire des auteurs, faisant par exemple une analyse de Poe et des eaux profondes et mélancoliques qui dominent ses écrits.

S'il ne faut pas oublier de porter un regard critique sur la pensée bachelardienne, il est certain que ce voyage sur les eaux est passionnant. J'avais peur de quelque chose de trop technique et savant, mais il n'en est rien. Cet essai se lit très bien, mieux : on s'y plonge avec délice, jusqu'à avoir envie ne plus en ressortir, quitte à s'y noyer… Il suffit de fermer les yeux, de se laisser guider par le doux murmure des mots sur les pages, et d'imaginer la mer et ses vagues lancinantes. L'eau et les rêves qu'elle transporte vous attend.
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Bachelard a revisité les quatre éléments, terre air, eau, feu dans leur rapport au monde et à l'humain.
L'eau, élément simple et transparent, sans saveur particulière a gardé une puissance évocatrice à travers les âges et notre culture commune, et sollicité constamment notre inconscient.
Par son plaisir à flâner le long des berges, Bachelard a composé cet essai où il évoque et convoque tout ce qui peut provoquer des poussées d'imaginaire et nourrir puissamment le rêve.
L'eau apparaît en effet à maintes reprises dans la poésie : fraîcheur de l'image chez Mallarmé, dans les mythes aussi, tel Narcisse se mirant dans l'eau ou le cygne en littérature comme en peinture, symbole de la femme nue se baignant.

« En effet, le narcissisme n'est pas toujours névrosant. Il joue ainsi un rôle positif dans l'oeuvre esthétique, et par des transpositions rapides, dans l'oeuvre littéraire. »

Puis il y a les eaux profondes et sombres, tragiques et inquiétantes chez Edgar Poe, mortel passage symbolisé par le « complexe de Caron », suicidaire chez l'Ophélie de Shakespeare provoquant la communion de la lune et des flots – Bachelard parle du « complexe d'Ophélie » - et qui en a inspiré plus d'un.
Par la suite, l'essai se développe sur les « eaux composées », phénoménologie de l'eau mêlée aux autres éléments, et particulièrement la terre. C'est l'eau qui laisse une « trace de rêve » qui enchante les enfants dans leurs expériences de pâtes. Encore une fois, ces matériaux inspirent les poètes ou les peintres, variation à l'infini de l'imaginaire.

« le limon est la poussière de l'eau, comme la cendre est la poussière du feu. Cendre, limon, fumée donneront des images qui échangeront sans fin leur matière.»

Enfin, le penseur s'intéresse aux autres formes que revêt l'eau dans la vie, l'imagination ou l'art qu'elle soit maternelle (lait), symbole de purification (eau pure et impure), passe par l'eau douce qui a sa suprématie (rivières, fleuves, lacs…) sachant, selon Charles Ploix que les « forces océaniques de Poséidon sont tardives.» le dieu était associé au brouillard et aux nuées, bref, à l'eau du ciel.

« Or, ce sont précisément des objets sans cesse contemplés dans la rêverie hydrique qui pressent l'eau cachée dans le ciel. Les signes précurseurs de la pluie éveillent une rêverie spéciale, une rêverie très végétale qui vit vraiment le désir de la prairie vers la pluie bienfaisante. A certaines heures, l'être humain est une plante qui désire l'eau du ciel. »

« L'eau violente », dernier chapitre de cet essai traite de l'eau en tant que mer déchainée comme les passions de certains héros De Balzac ou de Hugo au destin tragique, l'eau et la mer est alors associée à leurs tourments psychologiques. La conclusion donne la « parole à l'eau » variant les nombreuses images et métaphores qui l'assimilent au langage des hommes - « couler de source, un style fluide… »- mais aussi l'eau a des voix indirectes qui résonnent dans notre imaginaire.

« Cette imagination sait bien que la rivière est une parole sans ponctuation, une phrase éluardienne qui n'accepte pas, pour son récit, des « ponctuateurs ». O chant de la rivière, merveilleuse logorrhée de la nature-enfant ! »

On le voit, lire Bachelard dans cet ouvrage, c'est aussi laisser vagabonder sa rêverie, l'auteur nous y incite presque à chaque page et si l'on ralentit sa lecture, ce n'est pas parce que le passage est complexe mais plutôt pour goûter soi-même à ses propres rêves. Et les lecteurs de 1941 en avaient certainement un grand besoin !

« La rhétorique avec sa fade encyclopédie du beau, avec ses puériles rationalisations du clair, ne nous permet pas d'êtres fidèles à notre élément. Elle nous empêche de suivre, dans son plein essor, le fantôme réel de notre nature imaginaire, qui s'il dominait notre vie, nous rendrait la vérité de notre être, l'énergie de notre dynamisme propre. »
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Accrochons nos ceintures et concentrons-nous, car c'est du sérieux : nous partons dans un véhicule extraordinaire qui nous emmène à la découverte de la poésie.
Cette dimension de l'art est bien sûr recherchée et pratiquée, avec plus ou moins de succès, par les écrivains, poètes et autres artistes mais est finalement peu analysée dans la littérature et la philosophie : en effet, qu'est ce que la poésie, qu'est-ce qui fait qu'un texte est poétique, et dans quelle mesure ?
Gaston Bachelard fait oeuvre de pionnier en la matière, que l'on pourrait rattacher à l'esthétique. Il nous aide ainsi à décrypter en profondeur ce qui fait la poésie, quel est son moteur intime et psychologique, ici en relation avec l'eau, et ce d'une façon structurée et convaincante. Ce faisant il parvient de surcroît à se montrer lui-même poète de temps à autre !
Il s'appuie bien sûr sur des exemples emblématiques et par exemple ne peut ainsi qu'inciter le lecteur que j'avais été jeune des Aventures d'Arthur Gordon Pym de Nantucket, d'Edgar Poe, et qui n'en avait retenu qu'un sentiment confus d'étrangeté, à revisiter ce texte plusieurs décennies après et peut-être à le découvrir sous un nouveau jour.
On remarquera que Gaston Bachelard aborde différents états de l'eau, à l'exception toutefois de l'eau en pluie et de celle en inondations et crues : ces thèmes ne présentent-ils que peu d'intérêt en poésie, ou n'a-t'il pas voulu ni pu se montrer exhaustif ?
Au final c'est en tout état de cause une réflexion absolument transcendante que nous propose Gaston Bachelard, sans équivalent depuis.
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Voila un texte d'une singularité rafraichissante . Certes il faut accepter de partir en voyage avec un esprit qui s'attache à voir de l'onirisme et du rève dans la nature . Oui l'expérience peut surprendre , mais que cette errance est bonne et offre une perception qui transforme le lecteur ... Ce livre fait du bien !
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Que voulait nous donner Bachelard dans ce livre sous-titré « Essai sur l'imagination de la matière » ? Un objet littéraire, nous dit-il : Notre livre reste donc un essai d'esthétique littéraire (p 18). Notre but, dans cet ouvrage, est d'apporter une contribution à la psychologie de la création littéraire (p 183). Il nous propose d'exercer « les forces imaginantes de notre esprit [qui] se développent sur deux axes très différents […]. En s'exprimant philosophiquement, on pourrait distinguer deux imaginations : une imagination qui donne vie à la cause formelle et une imagination qui donne vie à la cause matérielle, ou, plus brièvement, l'imagination formelle et l'imagination matérielle » (p 7). Mais cette ambition philosophique n'ouvre pas sur une méthode. Bachelard nous prévient que « après La Psychanalyse du Feu, […] nous n'avons pas retenu pour titre La Psychanalyse de l'Eau qui aurait pu faire pendant à notre ancien essai. Nous avons choisi un titre plus vague : L'Eau et les Rêves. C'est là une obligation de la sincérité. Pour parler de psychanalyse, il faut avoir classé les images originelles sans laisser à aucune d'elles la trace de ses premiers privilèges ; il faut avoir désigné, puis désuni, des complexes qui ont longtemps noué des désir et de rêves (p 13). Cette modestie n'empêche pas la robuste imagination de Bachelard de proposer au fil des pages les complexes de Caron, de Hoffmann, de Swinburne et de Xerxès.

Bachelard met sa finesse et son érudition au service d'une immense métaphore de l'eau, fruit de l'inspiration et de la rêverie. Cette métaphore est animiste, globalisante : Ainsi l'eau nous apparaîtra comme un être total : elle a un corps, une âme, une voix. Plus qu'aucun autre élément peut-être, l'eau est une réalité poétique complète (p 24). La liquidité est, d'après nous, le désir même du langage. le langage veut couler. Il coule naturellement (p 210). Dans ses infinis replis, l'ouvrage donne une vision décadentiste de la poésie : « Le cygne, en littérature, est un ersatz de la femme nue » (p 46). « L'eau qui est la patrie des nymphes vivantes est aussi la patrie des nymphes mortes. Elle est la vraie matière de la mort bien féminine » (p 96) « L'eau est le symbole profond, organique de la femme qui ne sait que pleurer ses peines et dont les yeux sont si facilement noyés de larmes » (p 98). Tout le chapitre « Les eaux profondes » est une longue paraphrase de pages larmoyantes d'Edgar Poe.

Bachelard cite des auteurs oubliés (Gasquet, Laforgue, Jean-Paul, Quinet, Reverdy, Saintine, Salacrou et beaucoup d'autres, voir l'index des noms cités), ou qu'on ne lit plus (Claudel, D'Annunzio, Verhaeren, Renan). Lui reprocher ces lectures serait bien sûr anachronique. Il cite aussi Rimbaud et Char, mais il y a ici deux mystères. « Flottaison blême/Et ravie, un noyé pensif, parfois descend » : ces vers sont donnés à Délire II (Une saison en enfer) p 98 alors qu'ils viennent du Bateau ivre, mais peut-être Bachelard les a-t-il cités de mémoire. Plus surprenante, la belle citation de Char « Le miel de la nuit se consume lentement » (non référencée par Bachelard) vient de « La recherche de la base au sommet » que la Pléiade (p 690) date de 1946, 4 ans après la publication de L'Eau et les Rêves : addition d'une édition plus récente ?

L'ouvrage est encombré de termes abscons ou archaïques : Dynamogénie, métapoéitique, intussusception, catoptromancie, mythopée, velure, vésanie, évhémérisme, euphuisme etc., mais c'est une licence que le poète revendique dans une phrase heureuse : « Il y a des mots qui sont en pleine fleur, en pleine vie, des mots que le passé n'avait pas achevés, que les anciens n'ont pas connus aussi beaux, des mots qui sont les bijoux mystérieux de la langue » (p 211).
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Obligé de le lire en terminale comme un pensum
Aucun souvenir fabuleux sauf que je détestais mon prof de philo bachelardien dans la peau !
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Qui se regarde dans l'eau voit une beauté en devenir, plus gratifiante que la beauté (dans le meilleur des cas) figée, et trop précise pour être rêvée, du miroir. Narcisse a raison de se contempler dans de l'eau. Mais le poète voudrait surtout voir dans l'eau la plus belle des images, plutôt que la sienne (je vous laisse imaginer) - et c'est ainsi que l'eau devient sensuelle. Au contraire, l'eau stagnante, profonde et obscure appelle l'introspection de l'âme et la crainte de découvrir les noirçeurs de son passé - mieux vaut les éviter. Car l'eau qui dort est une eau éternelle et Caron n'a plus qu'à nous la faire traverser pour nous emmener dans une autre réalité. Ne résumons que l'essentiel : au fil de l'eau, Bachelard liquide notre imaginaire. (ah ah ah)
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