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Fugues » : Artur H (Le soleil Noir, 190p)
Ce beau texte (auto)biographique d'
Arthur H est d'abord une magnifique déclaration d'amour à sa mère, Nicole Courtois, puis plus accessoirement à son père,
Jacques Higelin. Dans les premières pages de cette chronique de souvenirs, on voit l'auteur dans une vieille roulotte déglinguée, tentant de travailler sur un clavier « l'art de la fugue » de J.S. Bach (et j'en profite pour en découvrir une magnifique interprétation par
Glenn Gould en même temps que je lis).
Mais rapidement on passe au récit d'une autre fugue, celle de Nicole Courtois à l'âge de 17 ans, sautant par la fenêtre de son pavillon ouvrier d'Argenteuil, fin des années 50. La jeune fille n'en peut plus du monde étriqué qui s'offre à elle, ne se voyant pas rentrer dans le moule d'une vie conformiste. Et l'on découvre sous la plume d'
Arthur H une jeune femme courageuse, viscéralement éprise de liberté, d'autonomie, d'une vie dégagée de tout carcan. Sa fugue la conduira avec une bande de copains en Corse, son retour contraint quelques mois plus tard en banlieue parisienne ne signera pas un renoncement à ses rêves, bien au contraire. le narrateur reproduit quelques lettres que la jeune fugueuse adresse à sa mère pour tenter de lui expliquer ses choix et la rassurer, des courriers poignants de généreuse humanité et d'énergie.
Puis c'est le récit d'une autre fugue, celle d'Arthur, à 16 ans. Pour la première fois en vacances avec son père Jacques (séparé de Nicole), aux Antilles, il d'échappe et n'embarque pas avec lui pour le vol de retour. Il reste dans les iles caraïbes, travaille sur un bateau. Et comme sa mère une génération plus tôt, c'est cette prise de distance avec sa famille qui lui permet de trouver sa voie (et sa voix ?). Il écrit à sa mère Nicole des lettres pour la rassurer, lui expliquer ce besoin de grandir par et pour lui-même, dans un parallélisme frappant avec ce qu'elle écrivait elle-même des années plus tôt. Parallélisme aussi dans le malaise, l'incompréhension entre les deux fugueurs en quête d'eux-mêmes et leurs propres pères respectifs, et je découvre un
Jacques Higelin aussi aimant que maladroit et pas forcément présent là où son fils en aurait eu besoin.
Malgré les quelques irruptions dans le texte du fantôme ectoplasmique de Bach lui-même, s'exprimant dans un sabir trop artificiel, c'est sous une plume vivante et agréable un récit émouvant, très chaleureux et qui touchera des lecteurs bien au-delà du cercle des admirateurs des artistes.