Une jolie couverture qui attire le regard. Une main gantée. Celle de L'homme au gant du Titien. Il n'en fallait pas plus pour m'intriguer. Une caresse sur la couverture très douce, quelques pages que l'on tourne, un joli papier qu'on effleure… Un livre est d'abord un objet et un livre des éditions Actes sud est d'abord un bel objet… beau à regarder, beau à toucher et ce Turquetto, ma foi, est aussi beau à lire !
Constantinople. XVIème siècle. Elie Soria
no est juif et fils d'un marchand d'esclaves. Il n'aime rien d'autre que de dessiner, de peindre, de calligraphier. Or quand on est juif la représentation de la figure humaine n'est pas autorisée, et un juif ne peut s'essayer à la calligraphie musulmane. A la mort de son père, Elie embarque pour Venise où il entrera dans l'atelier du Titien. Il deviendra Ilias Troyanos, dit
le Turquetto, un peintre reconnu, admiré, estimé. Mais une liaison avec son modèle, Rachel, une jeune juive ravissante et l'iconographie scandaleuse d'une Cène de commande feront basculer son destin…
Quel plaisir de lire ce texte ! On y croit à la biographie de ce peintre. Tant et si bien que je me suis murmuré que ce Turquetto avait échappé à ma sagacité et que bien sûr, j'allais trouver dans le Bénezit ou sur le net des informations et même, qui sait, une ou deux reproductions. Mais non. Rien. Juste l'imagination de
Metin Arditi qui nous mène délicieusement en bateau et nous fait partager l'art et les processus de création de ce vrai-faux peintre vénitien du Cinquecento. On se promène avec Elie dans le bazar bigarré de Constantinople, on s'interroge avec Ilias sur l'opportunité de telle couleur, on mélange les pigments, on déambule dans les rues de Venise, on rencontre les riches marchands, le doge…
Le roman commence en 1531 pour s'achever en 1576. Quatre parties. de courts chapitres comme des petites touches de peintures qui s'écrasent sur la toile, comme autant de moments de la vie d'un artiste enragé, possédé, pénétré par son art. Elie est né peintre. Il crée une peinture « qui accueille et qui rassure » et cette Cène qui dit « le vrai christianisme » et la gloire de Venise !
L'auteur s'est beaucoup documenté pour rendre crédible la manière d'Elie (si ce n'est le couac anachronique de Tiepolo, certes) : les confréries vénitiennes, les ateliers, les commandes, les pigments, la technique, l'iconographie en vogue, etc.
Et cet autodafé terrifiant n'est pas sans rappeler celui que provoqua Savonarole à Florence détruisant les peintures de Botticelli, quelques années seulement avant l'arrivée de Soria
no en Vénétie.
Alors oui, si aujourd'hui le touriste se promène à Venise, s'il parcourt les salles de la Scuola Grande, je suis sûre et certaine qu'il doit y voir, au détour d'une porte à peine dérobée, une figure du christ dont la couleur de la robe « oeuf de grive » est bien dans la manière su Turquetto. Si, si, je vous assure…
Beau roman. Beau moment. Et quelle merveilleuse idée de partir du constat d'une anomalie dans la signature de L'homme au gant du Titien. La réalité engendre la fiction…
Ce roman a reçu le Prix Page des libraires (catégorie "Littérature française") et le Prix
Jean Giono en 2011.