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EAN : 9782757899731
264 pages
Points (25/08/2023)
3.61/5   188 notes
Résumé :
Les Simart-Duteil ont marqué votre enfance. Leur nom si français, leur maison flanquée d'une tourelle - comme dans les contes -, leur allure bon chic bon genre ont imprimé sur le papier glacé de votre mémoire l'image d'une famille parfaite. Un jour, pourtant, vous les retrouvez à la page des faits divers, reclus dans un manoir normand aux volets fermés. Les souvenirs remontent et, par écran interposé, vous plongez dans la généalogie d'un huis clos.
Paul, Clot... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (57) Voir plus Ajouter une critique
3,61

sur 188 notes
°°° Rentrée littéraire 2022 # 31 °°°

Kinga Wyrzykowska s'est très librement inspirée du fait divers des reclus de Monflanquin, une affaire d'emprise mentale dont a été victime une famille de notables bordelais qui pendant dix ans s'était enfermée en son château. Plutôt que de s'approprier les lignes exactes de cette tragédie, elle a choisi de s'intéresser à la trajectoire folle qui peut conduire une famille ordinaire, privilégiée, maitrisant les codes culturels et intellectuels de la société française, a pu basculer dans un huis-clos total proche de la folie paranoïaque.

Lorsqu'elle nous présente les membres de la famille Simart-Duteil en 2015, ils sont l'incarnation de la splendeur bourgeoise triomphante. Il y a la flamboyante matriarche Isabella qui fête ses 70 ans au bras de son jeune mari, le patriarche étant décédé en lui laissant une fortune confortable acquise dans la construction d'autoroutes au Moyen-Orient.

Il y a leurs enfants : l'aîné Paul, journaliste politique, a eu son heure de gloire dans les années 80 et bouillonne de projets foutraques comme la création d'une chaîne Youtube de potins politiques ; Samuel, célèbre chirurgien esthétique, dirige une prestigieuse clinique et s'apprête à épouser une mannequin polonaise ; et Clothilde, archétype de l'épouse parfaite qui instagramme sa vie parfaite de mère de trois enfants. La bombe qui s'apprête à tout faire péter est l'irruption d'un fils caché syrien du père, qui pousse Paul a mobilisé ses troupes pour défendre la famille de cet intrus.

Dans cette tragi-comédie déjantée, c'est avec une jubilation savoureuse que le lecteur assiste à leur chute, à leur réclusion ( annoncée dès les premières pages ) dans leur villa normande. On se régale à voir les personnages se débattre en vain, les apparences se lézarder, la cohésion familiale affichée se déliter, les secrets nauséabonds éclater.

Kinga Wyrzykowska trouve d'emblée le ton juste et la bonne perspective pour faire exploser cette famille bourgeoise et lui faire mettre son intelligence en jachère. Son ironie corrosive, son talent à placer les personnages dans un flux incontrôlable d'événements, sa capacité à les placer dos au mur face à leurs paradoxes, tout cela rappelle furieusement la maestria d'un Jonathan Franzen. Les dialogues, sans filtre, insérés directement dans le récit, approchent au plus près la vérité de chacun et les ambiguïtés.

La famille apparait comme le théâtre de la société. Dans le contexte 2015 des attentats terroristes et du questionnement autour de l'immigration, Patte blanche dresse un portrait saisissant d'acuité d'une France névrosée, rongée par la peur de l'autre, par le complotisme, par la pensée décliniste, accro à la superficialité, avec les réseaux sociaux en éléments grossissants ou catalyseurs. Et sans jamais se goberger dans un discours théorique lourdaud, ce qui est certes salutaire mais rare. La critique de la somme des folies de notre époque est cinglante et d'une précision glaçante.

Le jeu de massacre est excellemment bien monté et découpé, la tension monte jusqu'à un dénouement astucieux et renversant qui remet les haines familiales au coeur du sujet, de façon très chabrolienne. Vraiment remarquable, intelligent et drolatique.

Lu dans le cadre de la Masse critique littérature de septembre 2022
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La vengeance est un plat qui se mange froid et ce roman comme Les Hauts de Hurle Vents ou le Comte de Monte-Cristo est une diabolique revanche.

Paul, héritier des Simart-Duteil, débute dans les médias sous le pseudonyme de Pol Sim, Son coming out, en mai 1986, est fort mal vécu par sa mère Isabella qui le traite de tous les noms et italien et en français. Son père joue l'indifférence et partage ses activités professionnelles entre la Syrie et la France … Paul quitte le confort familial et vit de prestations de gigolo et de piges médiatiques. Clotilde et Samuel, ses frère et soeur, s'épanouissent bourgeoisement.

Une génération plus tard, en 2014, Paul lance sa chaine Pol Pot (sic) sur YouTube et tente de rebondir professionnellement en se rapprochant des milieux d'extrême droite. Clotilde occupe son oisiveté en se projetant sur Instagram, Samuel se fiance avec un mannequin polonais. Isabella, veuve et septuagénaire, lutte désespérément contre l'âge. C'est alors qu'un courriel arrive de Syrie … un frère issu d'un second mariage de leur père défunt lance un appel au secours et réclame leur assistance pour trouver refuge en France …

Paniqués, les Simart-Duteil s'affolent, craignent de voir images et héritages menacés, se réfugient dans leur manoir de Yerville, lèvent le pont-levis numérique, se coupent du monde et se déchirent… jusqu'au final.

Ce roman de Kinga Wyrzykowska me laisse une impression mitigée.

La description de cette famille, où chacun vit dans sa bulle, parle sans écouter les autres, sans prendre du recul, est révélatrice d'un mode de vie où les uns et les autres sont esclaves des réseaux sociaux et cette photographie, assez caricaturale, est aussi amusante que pitoyable. Mais chaque personnage pris individuellement sonne faux, n'est pas crédible, se révèle, au fil des pages, antipathique, et éloigne donc le lecteur qui ne peut se reconnaitre en des héros qui confondent 9 heures et 11 heures ou la gare d'Yvetot avec elle de Bréauté-Beuzeville. Par ailleurs de multiples apparitions de personnes extérieures à la famille, qui disparaissent ensuite sans laisser de traces, dispersent l'attention et perturbent le narratif.

Le style de l'auteur est déroutant. La chapitre 0 (sic), commis en écriture inclusive, a failli stopper là ma lecture, puis phrases courtes et longues alternent en multipliant les allers retours dans le temps et l'espace en mélangeant foie gras et beau frère (page 135). Cette écriture décousue épuise au fil des pages et a peut être sa source dans les origines de la romancière dont la logique peu cartésienne fait penser à celle de Karol Wojtyla.

L'intrigue n'est pas plus crédible que l'espoir de montrer Patte blanche avec une chaine nommée Pol Pot (pourquoi pas Adolf Hitler ?) et, dès le chapitre 3, le lecteur devine l'embrouille finale. Ce manque de suspens est très regrettable et interpelle : quel message veut transmettre la romancière ?
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La famille Simart-Duteil est respectable. Après une carrière professionnelle accomplie, le père leur a laissé un patrimoine et l'espérance d'un futur héritage conséquent. Samuel est chirurgien plasticien, Clothilde s''est mariée avec un homme riche, et Paul semble être sur la bonne voie pour parvenir à se faire connaître dans le monde à risque des influenceurs.Tout bascule quand un demi-frère auto-proclamé, qui vit en Syrie, vient réclamer sa part du gâteau…

On sait dès le départ que la famille finira cloitrée dans une résidence secondaire normande. Mais ce qui a conduit à cette réclusion sera révélé petit à petit au cours des pages trépidantes de ce roman social qui, à travers le destin d'une famille bon chic bon genre explore les méandres d'une époque où les moyens de communications sont des armes à double-tranchant, au maniement risqué. C'est aussi une analyse au vitriol des limites du raisonnement, lorsque l'on est confronté à l'étranger, à la différence.

L'absurdité des réactions de protection défie la raison, il suffit d'une manipulation adroite pour en arriver à des conduites de survie aberrantes.

Les personnages sont accrocheurs, leur petit grain de folie les rend à la fois ridicules et attendrissants, lorsqu'ils ne sont pas machiavéliques

Le rythme ne faiblit pas tout au long du récit et entraîne le lecteur dans ce tourbillon.

Le dénouement est surprenant à plus d'un titre

A découvrir sans délai, ce premier roman est réjouissant.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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J'ai toujours été fascinée par les sorties de route impromptues de ceux qui choisissent de vivre dans un univers parallèle. Je ne parle pas des lecteurs d'horoscope ni même des porteurs de bracelets censés réduire leur cholestérol -après tout, j'ai moi-même longtemps cru au Père Noël-, non, je parle des grand barrés, qui croient la terre plate et Trump véritable président des États-Unis.
« Patte blanche » raconte comment une famille française bourgeoise peut , malgré un capital social et culturel appréciable, basculer du côté obscur. En réalité l'éducation n'en peut mais, et, tout bourgeois ou prolo qu'on soit, ce sont les mêmes causes qui produisent les mêmes effets : et en tout premier lieu la peur du déclassement. Que nos compétences ne soient plus reconnues, que l'âge nous rattrape et nous prive de la certitude de rester toujours jeune, que la France éternelle glorieuse et civilisatrice soit devenue un objet de haine, et nous voilà bousculés dans nos certitudes, et, sommés de reconnaître les faits têtus, obligés de maintenir le monde extérieur à distance pour ne pas transiger avec nos certitudes.
Il est d'ailleurs intéressant de voir que c'est celle qui avait le moins d'illusions sur sa capacité à endosser son rôle social qui cède la dernière aux sirènes complotistes.
Les liens du sang (qui ne sauraient, par définition, mentir) deviennent les seules relations sociales encore possibles. Mais la famille aussi n'est qu'un fantasme, Mauriac rejoint Qanon, et les haines familiales cuisent et recuisent dans le grand chaudron des réseaux asociaux.
La famille Simart-Duteil resserre ses rangs autour de la mère et de ses trois enfants, et semble incarner les quatre cavaliers de l'apocalypse, chacun chevauchant un des grands maux de notre époque: Internet, le refus de la vieillesse, le vide existentiel à la recherche d'une cause susceptible de le combler, la science. Oui, la science réduite à un déterminisme qui justifie les pires raccourcis : « comme par hasard! »
Bref, un livre malin mais globalement opportuniste, qui m'a intéressée sans remettre en cause mes convictions. Sur un sujet pareil, c'est ballot.
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Quelle époque angoissante ! La menace vient de partout jusqu'à nous, indécelable. L'homme est un loup pour l'homme. Pour s'en protéger, mieux vaut se claquemurer, sauf à voir patte blanche, car l'on sait, depuis La Fontaine, que patte blanche est rarement en usage chez les loups… Voilà le parti peu à peu adopté par les Simart-Duteil, une famille française bien installée, bien comme il faut. Comment en sont-ils arrivés là ? Inspirée par un fait divers récent, Kinga Wyrzykowska dresse sa fiction.

Kinga Wyrzykowska. Un nom pas français, grogne-t-on sans doute dans des sphères qu'on évoquera. Née en Pologne, elle vit depuis l'âge de sept ans en France. École Normale Supérieure, agrégation de Lettres Modernes, elle parle et écrit le français mieux que vous et moi. Après quelques ouvrages destinés à la jeunesse, Patte blanche est son premier roman de littérature générale. Il est vrai que son nom est difficile à mémoriser, mais il est identifiable à l'instant où il apparaît. C'est un avantage.

2014. La famille Simart-Duteil est composée de personnages d'apparence respectable. Ils sont toutefois lotis de singularités truculentes, dépeintes avec une ironie cruelle. Ex-beauté parvenue à l'âge de soixante-dix ans, veuve plutôt joyeuse, Isabella est obsédée par la préservation de sa jeunesse. A trop vouloir paraître vingt ans de moins, ne risque-t-on pas de retomber en enfance ? Mais Paul, Clothilde et Samuel ne laisseront pas tomber leur mère.

Humoriste et commentateur politique, Paul a connu son heure de gloire à la télé. Disparu des radars depuis des années, ce quadragénaire homosexuel, solitaire et tortueux est en recherche d'un nouveau départ. Il s'est pour cela rapproché de milieux d'extrême droite où l'on se complaît à repérer ragots, complots et menaces. Clothilde a passé des années en Extrême-Orient auprès de son mari, Antoine, cadre supérieur expatrié. Dans l'attente d'un nouveau poste, le couple et leurs trois enfants font escale sur leur terre natale. Clothilde, qui s'ennuie en français et in english, se verrait bien en militante humanitaire. En attendant, elle traîne ses journées sur les réseaux sociaux. Samuel, en passe de se remarier avec une jeune beauté polonaise, est un chirurgien esthétique passionné par les nez et leur sculpture. La renommée et la rentabilité de sa clinique tiennent avant tout aux commentaires postés a posteriori sur Internet. Elles pourraient être mises à mal au moindre avis négatif.

Et justement, attention à cette nouvelle patiente nommée Yasmine Khoury, une jeune femme voilée au physique troublant, qui déclare être une influenceuse youtubeuse largement suivie. N'est-il pas étrange qu'elle sollicite une intervention chirurgicale, concomitamment à la réception par Paul, Clothilde et Samuel d'une série de mails émis depuis la Syrie en guerre par un certain Feras Ashour ? Un inconnu prétendant être leur demi-frère et revendiquant de trouver refuge en France auprès d'eux.

Chez les Simart-Duteil, on se crispe ; rien de tel pour faire des erreurs. Leur sentiment d'une attaque ciblée est même amplifiée par l'actualité. L'attentat de Charlie, en janvier 2015 ; le Bataclan, dix mois plus tard. Et tous ces migrants qui déferlent… Tout perdre ? Il est temps de se protéger !

L'ossature du roman s'inspire librement d'un fait divers qui défraya la chronique. Ne vous documentez pas trop tôt. Comme dans La trahison de Nathan Kaplan d'Alain Schmoll, fiction calquée elle aussi sur un fait divers, prendre connaissance de la source d'inspiration pourrait dévoiler prématurément un rebondissement qu'il est plus plaisant de découvrir au bon moment.

La construction de l'ouvrage est sophistiquée. le vécu et le caractère des personnages se complètent au fil de la lecture, comme des pièces de puzzle sorties de façon aléatoire. L'écriture est à la fois percutante et harmonieuse. Alternance de phrases longues et courtes. Humour sous-jacent. A la narration classique, le texte intègre, sans ponctuation particulière, tout ce qui se dit et se pense au même moment : monologues mentaux des personnages, dialogues, descriptions et commentaires incidents s'enchaînent sans reprise de souffle. Un parti littéraire qui pourra au début en dérouter certains, mais le roman se lit facilement, très agréablement.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
De vraies autruches. Malgré l'évidence, ils ne voient pas, ne croient pas, la tête enfoncée dans le sable, ils creusent un trou où s'enterrer vivants. Son frère et sa sœur. Vivants et cons. Pas un pour rattraper l'autre. Paul est atterré par la puissance du déni. Ils sont emblématiques d'ailleurs, entre parenthèses, de notre société abêtie, léthargique, qui a mis son intelligence en jachère pour se contenter de faux-semblants, de vérités idéologiques, qui refuse de regarder la réalité telle qu'elle est.


Tu leur craches dessus et ils lèvent les yeux au ciel pour vérifier s'il pleut. Samuel, encore, c'était attendu. Pas touche au Padre, l'idole, saint Claude, au-dessus de tout soupçon. Mais que Clothilde réagisse avec autant de résistance, et, soyons franc, de bêtise, il ne comprend pas. Ce n'est pas le genre de papa, elle dit. Ni d'aller baiser ailleurs. Ni de déroger à ses responsabilites. Paul a plaqué ses fantasmes sur une photo, voilà tout. Ça t'arrange que papa apparaisse aux yeux de tous comme un salaud.
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(Les premières pages du livre)
Imaginez, vous avez du temps à tuer. Une vacance.
Échine courbée, doigt sur l’écran du portable, yeux légèrement plissés, vous vérifiez vos mails, la météo, passez en revue les messages qui s’empilent dans vos conversations actives, jetez un œil au cours de la Bourse alors que vous n’avez placé d’argent nulle part, ouvrez Le Monde, Leboncoin, un jeu de poker en ligne et Instagram. Les minutes passent, l’ennui pas : vous cédez à l’appel d’une news qui promet un rebondissement insensé dans l’affaire Dupont de Ligonnès, et puis finalement rien. Déçu·e, vous sautez par la première fenêtre surgissante pour découvrir que Britney Spears a dorénavant les cheveux bleus.
Vous scrollez la vie des autres, sans émotion, anesthésié·e. Vous balayez les chiens écrasés avec distance, clic après clic.
Tant de chair et pas un os à ronger. Rien qui croustille.
Vous devriez vous arrêter, ranger la machine, prendre un bon roman, parler à votre voisin, lever le nez. Vous n’y arrivez pas. La déception vous affame. Le vagabondage vous rend vorace.
Tout à coup, alors que vous alliez déposer les armes, à la fois gavé·e et vide, quelque chose se met à vibrer à l’intérieur. L’excitation monte, et, avec elle, la vie. Vous ne l’auriez pas parié en entamant cet article de seconde zone, au titre peu engageant, « Les reclus d’Yerville », dans un journal régional. L’histoire d’une famille de Franciliens bon chic bon genre, originaires de Paris et proche banlieue (sans autre précision), qui, depuis plusieurs mois, ne sort plus de sa résidence secondaire normande. Le journaliste profite de l’affaire pour promouvoir la région, vante le bocage dans toute sa splendeur, la situation du village à quelques encablures de la gare d’Yvetot, en surplomb de la campagne, la mer en trente minutes – une aubaine pour relancer le marché immobilier du pays de Caux. Dessert son enthousiasme la photographie qui accompagne l’article : une maison de maître, imposante et lugubre, aux volets fermés, et sa légende tragi-comique – Le Clos (ça ne s’invente pas), devenu la prison volontaire des Simart-Duteil. Vous apprenez qu’ils sont dix, de tous âges, de la grand-mère aux petits-enfants, leurs courses sont livrées devant la grille d’entrée sous vidéosurveillance, les séquestrés les récupèrent à la tombée de la nuit. On rapporte les propos stupéfaits de l’épicière, les Simart-Duteil étaient tout ce qu’il y a de plus normal, ouvert même, ils recevaient beaucoup surtout depuis la mort du patriarche, un grand monsieur. Elle se souvient de voitures garées en file devant chez eux, de baptêmes, de mariages, d’anniversaires, et vous, chaque fois que vous lisez « Simart-Duteil », vous vous troublez. Ça vous parle.
De quoi ? D’où ?
Un des fils a eu son heure de gloire, est-il mentionné, mais son nom de vedette, Pol Sim, ne vous évoque rien. Vous le googlez. Sa tête non plus. Froid, froid, froid. Vous revenez à l’article, aux Simart-Duteil, un picotement de nouveau, un frémissement nostalgique, vous pourriez le jurer. La génération médiane, trois enfants nés dans les années soixante-dix, est la vôtre. L’un d’entre eux a peut-être fréquenté la même classe que vous. Vous tapez « Simart-Duteil » dans le moteur de recherche, vous trouvez un ou deux avis de décès, un arbre généalogique qui ne correspond pas, et des liens comme autant d’impasses, dont plusieurs vers le site d’une clinique de chirurgie esthétique. Vous proposez « famille enfermée dans sa maison + Normandie » à la sagacité de Google, qui choisit d’ignorer le dernier mot et de vous servir des femmes et des enfants séquestrés à la pelle, surtout en Hollande ou en Autriche. Vous apprenez que Natascha Kampusch est devenue l’heureuse propriétaire de son ancienne geôle. Vous suivez la sortie de l’enfer du petit peuple de la cave, jouet de l’ogre Josef Fritzl. Vous vous égarez sur les traces des reclus de Monflanquin, cloîtrés pendant huit ans dans leur château près de Bergerac. Des gens bien qui avaient mis leur intelligence en jachère. Vous achoppez là-dessus. Sur la jachère, sur les gens bien. Vous n’écoutez plus. L’expression du journaliste tourne en boucle. Vous chauffez. Vous y êtes presque.
Et soudain, ça vous revient : des murs surmontés de tessons de bouteilles qui ceignent une bâtisse imposante, son toit pointu, aux tuiles orange, une girouette, de la végétation luxuriante et surtout, comme dans les contes, une tourelle. En somme, une fantaisie architecturale un peu floue, tels les lieux rêvés ou souvenus, qu’une promenade sur Street View ne rendra pas plus nette. Elle confirme néanmoins que la maison en pierre tranche avec le reste du cadre urbain, enduit de crépi : elle est exceptionnelle.
Vous êtes à Créteil, le Vieux Créteil, dans la zone résidentielle : des pavillons Bouygues au jardin carré, quelques résidences fleuries et leur court de tennis, des immeubles HLM à taille humaine, dont le vôtre à l’époque, beige, avec parking à l’entrée, rue de Bonne. Une rue que vous descendiez jusqu’à celle de l’Espérance pour vous rendre à l’école, quinze minutes à pied, un peu moins en passant par la rue du Cap. Et, sur votre chemin, la maison à la tourelle, dont s’ouvrait tous les matins, à huit heures quinze précises, le portail électrifié, pour laisser sortir dans une berline chic une fillette de huit ans qui ne vous ressemblait pas. Parfois, vous aperceviez ses frères, habillés comme elle en bleu marine. Un ado, un peu gros, et l’autre, tout juste collégien, pensiez-vous, l’air grave et les traits parfaits. Ils allaient à l’école privée, en voiture donc. Avec leur père, tiré à quatre épingles, qui devait sentir l’eau de Cologne et la lessive propre. Parfois, c’était leur mère, une beauté à l’allure d’actrice de cinéma. Et ils se sont gravés à jamais dans votre imaginaire d’enfant né·e ailleurs pour y former une catégorie à part, qui nourrissait tous vos fantasmes : celle des « gens bien ». Vous les appeliez comme ça : « les gens bien de la rue du Cap ». Alors que vous connaissiez leur nom, inscrit sur une boîte aux lettres au style anglais. Un patronyme si français à votre oreille, enfoui au fond de votre mémoire qui émerge à cet instant, intact et toujours aussi chic : Simart-Duteil (car, oui, c’était eux).
Et vous vous rappelez le prénom de la fillette, Clothilde, et que l’un de ses frères (le beau) avait joué dans une pub Benco (comment l’aviez-vous su ?) que vous retrouvez en ligne.
Les Simart-Duteil, un horizon inatteignable, une énigme depuis toujours, désormais à portée de main. Tout ce que vous avez voulu connaître, toucher, enfermé dans une résidence secondaire à Yerville. Et leurs vies d’avant, traçables. Ici et là. Il suffit de glaner.
Imaginez, il y a de quoi frissonner.

1.
D’abord Paul.
Alias Pol Sim, le plus populaire des Simart-Duteil, avec sept cent soixante-quinze mille occurrences sur Google. Il s’agite sur l’écran dans différentes émissions de Thierry Ardisson (site de l’INA), veste en similicuir collée à son torse nu, jouant la provoc, rires à sa gauche, rires à sa droite, tout le monde en parle, tout le monde applaudit, et plus tard, vieilli d’une quinzaine d’années, seul contre tous sur sa chaîne YouTube (Pol’pot), portant beau en costard cravate. Plus classique, crâne impeccablement chauve – lustré – et toujours en verve, à bas le politiquement correct ! Entre les deux, pas grand-chose, quelques articles poussifs, deux ou trois interviews dans des magazines de seconde zone qui fleurent bon le zèle d’un attaché de presse et des tags d’ordre privé sur les murs des autres.
Il a décidé que cette année serait celle de son come-back: il en rêve, quelque temps qu’il trépigne en observant tous ceux qui émergent grâce à une vidéo merdique, qu’il cherche l’idée qui fera mouche, le concept qui tue. Et le bon moment. Tout se joue sur le timing. Et les relations.
Sans le réseau, on n’est rien.
C’est pourquoi Paul sourit (intérieurement) en franchissant la grille du Lagardère Paris Racing, ancien Racing Club de France, dont il a toujours scrupuleusement payé l’adhésion même en période de vaches maigres, même quand chaque silhouette croisée dans les allées du parc lui rappelait qu’il ne connaissait plus personne, qu’on l’avait oublié, qu’il n’était plus rien. Il ne boude pas son plaisir : après deux mois à l’affût, il a décroché le Graal, un rendez-vous pour un double avec Hugo de Saint-Mars. Énorme.
C’est arrivé la veille en salle de muscu. Entre deux allers-retours sur son rameur, Paul a échangé quelques blagues avec son voisin, sa cible number one, le grand manitou de la presse néo-réac qui, on ne va pas se mentir, est la seule à tirer son épingle du jeu. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour rivaliser avec la ligne de notre cher président ? a-t-il lancé, goguenard. Je ne l’ai pas attendu, celui-là, pour tester le régime Dukan, a rétorqué Saint-Mars en accélérant imperceptiblement ses mouvements. Confidence pour confidence, moi je ne l’ai pas attendu du tout, a renchéri Paul. Et je ne l’attends toujours pas. Merci pour ce moment et bon vent ! Saint-Mars a ri. Gagné. À la fin de sa session, il s’est tourné vers Paul : je vous connais, non ? C’est quoi votre nom déjà ? Pol Sim. Oui, c’est ça… Pol Sim… On peut se tutoyer, non ? Pardi, entre collègues ! Pol, tu joues au tennis ? Le partenaire de Saint-Mars était blessé, Paul pourrait le remplacer. Le lendemain matin, un petit double avec deux copains très fréquentables.
Voilà une affaire rondement menée. Le rendez-vous est fixé à dix heures cinquante-cinq devant le court numéro sept.
Paul arrive largement en avance pour enchaîner les trente longueurs auxquelles il aime s’astreindre. Il lui reste même du temps pour une orange pressée au Bar Anglais. Il fait défiler les infos du jour sur son iPhone. Pendant la nuit, il a lu Le Suicide français – Saint-Mars est un intime de Zemmour. Il s’est fait une liste de bons mots qu’il trouvait implacables il y a encore une heure mais, à présent, il doute de tout, craint de ne p
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La première opération est prévue à neuf heures.Samuel arrive deux heures plus tôt dans la clinique vide.Il n'a pas dormi de la nuit.A six heures ,après avoir donné le biberon à Théodore ,il ne s'est pas recouché : inutile .Il a posé le nourrisson à côté de Monika,chuchoté qu'il avait sorti leur fils du berceau ,tremblant qu'elle se réveille. Enfant,des que son père partait ,il se glissait auprès de sa mère, leur secret à tous les deux,il ne fallait pas que Paul ni surtout Clothilde,la plus petite,l'apprennent --Les enfants Simart-Duteil avaient interdiction d'entrer dans la chambre parentale ,à moins d' y être conviés ou convoqués.Le respect de l'intimité des adultes était une loi familiale à laquelle Samuel avait dérogé jusqu'à son adolescence tardive,la tête enfouie dans la poitrine de sa mère, parfois -- il y repense avec un plaisir coupable--un de ses tétons à portée de sa bouche .S'en rendait-elle compte? Il se le demande encore.( Page 157).
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Les Simart-Duteil, un horizon inatteignable, une énigme depuis toujours, désormais à portée de main. Tout ce que vous avez voulu connaître, toucher, enfermé dans une résidence secondaire à Yerville. Et leurs vies d’avant, traçables. Ici, et là. Il suffit de glaner.
Imaginez, il y a de quoi frissonner.
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Samuel est en train d’annoncer son mariage. Regarde la tête de ta mère.
Isabella pâlit sous l’effet de la surprise. Samuel aurait pu le lui dire en privé. Elle observe le couple. À quarante-deux ans, son fils a la beauté du diable. Il ressemble à Gregory Peck. En plus mat, et les cheveux bouclés, un Gregory Peck méditerranéen. La silhouette fine, élégante et virile de Claude. Monika ne démérite pas non plus. Une créature, dans son genre scandinave un peu froid. Un peu triste. Pas la sensualité italienne mais si ça convient à Samuel… Isabella devra s’en accommoder. Que peut-elle faire d’autre ?
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