Lettres de Taipei

J'étais impatiente de recevoir ce roman graphique dans le cadre de l'opération Masse Critique. Et je n'ai pas été déçue !

C'est un roman bouleversant par son histoire, portée par de superbes illustrations très minutieuses en noir et blanc.
Au premier abord, les dessins sont assez déconcertants, et intriguent, comme si des milliers de petits points rassemblés formaient un tout. Ces dessins sont tellement détaillés qu'ils marquent par leur réalisme. Certains sont mis en pleine page et sont superbes, on serait presque tenté d'en encadrer certains si on ne savait pas l'histoire tragique qu'ils illustrent.

A l'occasion de l'enterrement de son grand-père, Fish Wu retrouve sa grand-mère qui lui raconte l'histoire de sa famille, en Chine, à partir de la fin des années 40. Avec l'avènement de la République Démocratique de Chine et Mao Zedong au pouvoir, c'est la grande Histoire qui entre dans le foyer de chaque famille chinoise, et vient, de façon dramatique, ébranler à tout jamais leur vie.

On assiste ici, grâce à des dessins assez denses, à la brutale mise en place de la réforme agraire, pendant laquelle les propriétaires terriens, puis les intellectuels et les enseignants sont traités comme des criminels, des traîtres au parti et sont ainsi spoliés de tous leurs biens afin que ceux-ci soient redistribués à la classe populaire. L'arrière-grand-père et l'arrière-grand-oncle de Fish Wu étant enseignants, ils sont donc traités avec beaucoup de violence et d'hypocrisie. Les voisins et amis d'avant sont devenus les ennemis d'aujourd'hui. L'un des deux frères décide alors de s'exiler, et de partir vivre à Taiwan afin d'échapper aux persécutions. S'ensuivent les répercussions sur la vie de tous ceux qui restent en Chine, jusqu'à aujourd'hui.

A travers un récit très personnel, familial, Fish Wu décrit très bien les mécanismes à l'oeuvre de toute dictature : l'instauration d'un climat de méfiance et de peur, la répression sur le peuple, etc. C'est un roman graphique qui dénonce, qui témoigne, et qui fait réfléchir. Il dénonce avec beaucoup de courage la brutalité de la dictature chinoise. Lors de la mise en place d'une dictature, on comprend bien là qu'il n'y a pas de limite à l'imagination lorsqu'il s'agit de spolier un peuple, de le martyriser afin de lui faire courber l'échine. On résiste, on plie, ou bien on s'exile. Fish Wu décrit très bien, sans prendre parti, la déchirure et l'immense tristesse provoquées par la séparation des deux frères.

La méticulosité et le réalisme du dessin permettent véritablement de plonger dans cette histoire terrible, ils témoignent de la façon dont Fish Wu est marqué par l'histoire de sa famille, et comment il souhaite la faire connaître aussi.
En fait, les dessins, en noir et blanc, sont aussi intenses et sombres que l'histoire qu'ils racontent, que la dictature qu'elle dénonce.
Et il est bouleversant de voir que cette histoire résonne et se répercute sur plusieurs générations.

Les dessins représentant sa grand-mère sont très touchants. C'est un bel hommage qu'il fait à sa famille. C'est un témoignage exceptionnel, et il faut beaucoup du courage pour oser dénoncer comme il le fait. Fish Wu est un petit îlot de résistance à lui tout seul. C'est une lecture importante.

Si je devais émettre une critique négative, une seule : le format du roman. Il aurait mérité d'être un peu plus grand. J'ai été gênée par une écriture trop petite, et les dessins très détaillés auraient mérité plus de place pour être encore plus appréciés.

Je remercie vivement les éditions Rue de l'Échiquier et Babelio pour cet envoi dans le cadre de Masse Critique.