Dans mon sang, la grenade

On ne se remet pas de certains traumatismes apres quelques séances de pychotherapie et une confrontation avec ceux qui nous ont fait soufrir. Un traumatisme est Plus vicieux que cela. Je dois déconstruire tout ce que jai fondé avec sa présence dans mes veines, accepter que celle que je suis maintenant ne sera plus jamais celle que jétais avant que les souvenirs reviennent.

Il y a du désespoir dans cette manière qu'ils ont de s'accrocher l'un à l'autre, tels deux naufragés qui tentent de sauver ce que la tempête n'a pas emporté.

A la loterie des emmerdes, en ce moment, elle semblait gagner à tous les coups.

Pierre lui dit qu'elle exagère, qu'elle est toujours magnifique, Mais c' est facile a dire pour lui. Dans une société régie par l'image, tout le monde le sait: un homme prend de la maturité en vieil- lissant, une femme se flétrit.

- Une grenade ? s'interroge Ania.
- On en a toutes une, continue Maëlle. C'est un peu comme dans la chanson de Clara Luciani. Il y a tous ces événements que l'on cumule depuis des années en tant que femme. Et un jour, la grenade explose.

Les choses auraient-elles été différentes si elle n'avait pas été habillée de la sorte ? Aurait-il posé une main aussi assurée sur son corps si elle avait porté un jogging et des baskets ?
Elle accélère le rythme, en veut au monde entier, à la société qui rend le corps des femmes disponible, à ceux qui sont incapables de contrôler leurs pulsions, à la culpabilité prévisible qui altère son jugement. Elle refuse de laisser son subconscient la trahir, elle refuse que les discours sans fondement modifient le cours de ce qu'il s'est passé. Tout cela ne peut pas être dû à une simple robe. Tout cela n'est pas sa faute.

Pierre ne restera pas impuni. Maëlle connait les chiffres, les plaintes classées sans suite, les défauts de preuve parce que les victimes ont gardé le silence trop longtemps, et qu'il s'agit maintenant d'une parole contre une autre. Elle sait tout ça, elle a écrit plusieurs papiers sur le sujet en école de journalisme. Les chiffres n'ont pas changé, mais une chose a évolué : les femmes ne se taisent plus. Les femmes parlent, les femmes accusent, les femmes avancent et se soutiennent.

Je ne suis pas prête à m'engager. Le pavillon de banlieue dans un village où le taux de personnes ayant envie de se suicider d'ennui frôle les 90%, ce n'est pas pour moi. J'ai besoin de l'agitation de la ville, des journées de travail à rallonge, de boire un verre à n'importe quelle heure si ça me chante, de partir au resto sur un coup de tête, et de décider d'aller voir un spectacle en achetant des billets à la dernière minute.

On s'agite autour d'un idéal à atteindre. Avoir une vie épanouie, s'accomplir professionnellement, fonder une famille où chacun respecte la place de l'autre. Mais cet idéal, on ne s'en contente jamais, repoussant systématiquement les limites. L'humain est ainsi fait qu'il en veut toujours plus. Un salaire plus important, davantage de preuves d'amour, quelques kilos de moins sur la balance.

Noémie est un véritable cours d'eau, tantôt serein, tantôt agité selon les chemins qu'elle traverse.