Il est des livres dont on se demande si on va réussir à les terminer tant ils nous confrontent au pire de l'être humain. Ce roman fait – pour moi – partie de cette catégorie. Je l'ai terminé pourtant, mais dans quel état de nerfs… car ce roman est insupportablement percutant. Glaçant et révoltant.
La présentation inhabituelle m'a plu : un roman composé de dialogues puisqu'il s'agit d'un « entretien ». Deux hommes se font face : un ancien nazi de 95 ans qui se livre à son avocat. Ses propos sont cinglants, provocateurs ; malgré son âge et son délabrement, l'homme se sent surpuissant. Et il nous faut tout supporter : les Jeunesses Hitlériennes, les combats, les massacres ignobles, les camps… L'absence de chapitres contribue à rendre l'atmosphère étouffante et insensée. Impossible de respirer, l'horreur n'autorise pas de pause. Petit bémol néanmoins pour certains dialogues sonnant un peu artificiels, notamment lorsque les événements de la guerre sont mentionnés à la manière d'un livre d'histoire.
Ce roman est à la fois atroce et splendide. Difficile en effet de ne pas blâmer et haïr instantanément un être aussi abject et antipathique. Tout dans ses propos n'est que sauvagerie, indécence, perversion. Et si parfois l'homme semble sur le point d'effleurer un léger remords, on sent au fond qu'il n'en est rien. Cette lecture a provoqué chez moi un absolu malaise mêlé à une peine immense. Comment supporter d'entendre un ancien SS se hérisser à chaque attaque, jouer les héros et lâcher en un refrain mortifère : « j'ai fait mon job comme on m'ordonnait de le faire ! » ? Cet homme qui se vante de ses médailles, se souvient encore avoir tué son premier soldat le 20 septembre 39 à midi et qui en parle avec un mélange d'émotion et de fierté. le ton ne changerait pas s'il s'agissait d'un vieillard se rappelant avec tendresse ses souvenirs d'école, ses premières vacances ou ses plus belles amours.
Et c'est ce qui fait, je crois, la puissance de ce roman. Montrer l'atroce et déterrer le monstre.
Terry Tremblay ose et fait de son livre un acte résistant.
On a affaire au discours d'un ancien SS qui refuse tout apitoiement, qui « assume ses actes », se dédouane sans cesse et que rien ne semble capable d'attendrir. Un être dur, noir, tout entier replié sur la nostalgie de son ancienne vie de soldat : « le juif n'était né que pour mourir, de même que le tueur n'était né que pour tuer. »
Comment ne pas hurler ?
J'ai haï cet homme – je ne vais pas faire semblant. Et j'ai admiré le sang froid de son avocat qui, même s'il s'emporte souvent, ne laisse jamais la haine pure ou la rage l'égarer. Sans la révéler, je peux dire que la fin est tout aussi rageante que le roman dans son intégralité. Il faut avoir le coeur bien accroché et la maîtrise de soi bien entraînée. Car ce roman remet les êtres à leur place méritée, ce roman crie, saigne, s'indigne et gémit.
Le seul élément qui m'a vraiment gênée, c'est l'obstination de l'avocat pour tenter de trouver des justifications, des motifs, des excuses, au passé de bourreau du vieux SS. C'est une chose que je ne peux pas entendre. On peut avoir été abîmé de mille façons par la vie et les gens qui peuplent cette vie, ce n'est pas pour autant qu'on choisira le Mal. Ce qui mène un être humain à participer à l'assassinat méthodique de millions de ses semblables restera toujours pour moi du côté de l'obscur, de l'inexplicable mais, surtout, de l'impardonnable.
« Contentez-vous de ce que je veux bien vous raconter », dit-il page 33, « le reste ne regarde que moi, mon passé et Dieu, si un jour je le croise. » Eh bien j'espère qu'il le croisera.
Merci à Babelio et aux éditions Jourdan pour ce roman coup de poing.