L'un des nombreux talents de
Jim Thompson, c'est de partir sur une trame similaire ou des personnages aux traits familiers puis de bouger petit à petit les lignes. Il est une nouvelle fois question d'un shérif, de meurtres et d'humour (noir), le tout caressé par un doux vent de nihilisme. Comme Pottsville, 1280 habitants et
L'assassin qui est en moi. Cependant, impossible de s'emmêler les pinceaux entre
Un nid de crotales et ces deux ouvrages. Comment se fait-ce ? Par l'entremise de deux éléments, c'est l'oeuvre entière qui s'en trouve modifiée. Il faut préciser qu'ils sont liés l'un à l'autre et font idéalement corps avec le propos de Thompson.
La structure. Elle est ici mouvante, rusée, indomptable. La situation de départ est claire comme de l'eau de source : deux personnages, une voiture dans le désert, un aléa et une possible voie de secours. Puis un flashback abonde dans le sens d'un drame à suivre. Arrivé à ce moment, les choses doivent se compliquer. Elles vont effectivement le faire...pour nous aussi.
Jim Thompson va s'échiner à éclater les points de vue, temporalités à coups d'analepses et d'ellipses pour constamment remettre nos certitudes sur le grill. Ça peut donner des chapitres sadiques mais ô combien désopilants (les galères du directeur général Carrington). Mais la plupart du temps, les pages se tournent et les certitudes s'envolent. Qui est bon, qui est mauvais, qui est tel qu'il est, qui ment,...Ces questions trottent longtemps, très longtemps dans la tête. Et c'est un vrai plaisir d'être "torturé" par Thompson, décidément très inspiré avec cet énergumène de shérif adjoint Lord.
Tom Lord. Un nom court. Un nom passe-partout mais qu'on retient facilement. Un patronyme d'ailleurs très proche de son collègue
Lou Ford (cf.
L'assassin qui est en moi). Cela étant dit, la personne avec qui Lord partage la plus grande proximité est peut-être le propre père de Thompson lui-même. Lui aussi shérif, jusqu'à ce que des accusations de détournements ne précipitent sa fin de carrière. Lui aussi figure double, chaleureux par devant, névrosé par derrière. Un aspect schizo qu'on retrouve chez le protagoniste d'
Un nid de crotales, dont le portrait se nuance jusqu'à devenir objet de suspicions (voire plus). Il n'est pas le seul à se parer d'une double-identité, on peut même dire que la plupart sont faits du même bois : la veuve revancharde, le fier shérif, le responsable sensible, l'adjoint érudit,...Comme eux, Lord est un personnage, le produit conscient d'un environnement morne (d'où son aigreur).
Pour une fois, l'erreur me semble t-il a été d'éclaircir tout cela. La lecture avait ceci d'exaltant qu'on ne pouvait jamais être entièrement persuadé d'une chose. Il reste bien une zone claire-obscure dans cet épilogue, qui rejoint l'ironie coutumière de Thompson. Mais conserver une ambivalence par rapport à son personnage principal aurait probablement inviter le lecteur à s'y replonger avec plaisir dans l'espoir d'y trouver une pièce à conviction, un indice, quelque chose pour se fixer. Un voeu pieu évidemment, mais ça n'a jamais empêché quelqu'un de s'acharner. Sans être aussi réussi que Pottsville, 1280 habitants et
L'assassin qui est en moi,
Un nid de crotales fait un excellent trait d'union entre ces deux pépites.