"Je vais te prêter mes
Lovecraft, tu DOIS les lire !" (Sébastien, l'un des rares potes à Riad, 14 ans, dans leur collège de Rennes où "L'air sentait la pluie fraîche et les gaz d'échappement.")... Han, si tout cela ne nous évoque pas de merveilleux ou cuisants souvenirs !!! Et juste avant, le même Sébastien, dents écartées et enthousiaste, lâche à la table de leur cantoche : "
Riad Sattouf", c'est syrien ?!! HAN LA CHANCE QUE T'AS !" [...] "C'est génial et mystérieux !".
Et nous voilà à nouveau embarqués entre les pages bichromes de ce qui est devenu, album après album, LE génial Classique moderne d'un XXIème siècle sans autre issue mirobolante...
Rapport à la qualité graphique de ce cinquième tome évidemment extraordinaire, ce bon Guillaume ALLARY, éditeur du travail de
Riad SATTOUF, aura peut-être un tout petit peu trop "pressé" son auteur-phare pour terminer rapidement l'ouvrage avant "les fêtes" (sans parler de nous tous, ses lecteurs "addicts", toujours impatients de découvrir la suite de cette Odyssée du quotidien d'un gamin d'ascendance syrio-bretonne) ...
Toujours est-il qu'à force d'être plus "souple", aisé et délié, le trait perd parfois en détails (la plage de l'île d'Oléron est tout de même beaucoup moins bien peaufinée que les terrains vagues de Ter Maaleh à la poésie intense des sacs plastique volant tels des mouettes erratiques dans les premiers Tomes) mais on remarque également que certains des personnages comme Anaïck, la Muse de l'ado, ou Clémentine Sattouf, la maman du héros - nez en pyramide du Caire, le même que celui de la chère grand-mère du Cap Fréhel, sont trop rapidement esquissés (à force sans doute de les dessiner, album après album, un peu trop à l'identique... ).
Bon, mais dans "L'Arabe du futur", c'est comme dans "l-halouf "! (l' côchon), tout est bon ! Comme d'hab...
Et ça fourmille de personnages balzaciens, à nouveau !
Tels Gregory la bientôt-star du collège (devenant copie-carbone de
Kurt Cobain du groupe "Nirvana" en moins "destroy"), Nicolas et Sébastien (les "dominés" mais fans de "
L'Appel de Cthulhu" issu de l'imaginaire du Maître de Providence, clairs initiateurs des lectures de Riad), les "gros bourges" et autres "dominants" au cou de taureau et super-basketteurs "rouleurs de pelle" à doudoune Chevignon, Anaïck la rebelle au père dessinateur" (en fait, non, "typographe" donc "roi des lettres et des pubs") dont Riad devient amoureux (un peu pour son anticonformisme total marié à son odeur de sueur et de lavande), Titouan Juvert (le gogol de service, apprenti-tourmenteur de Riad, puis se calmant...), Abdul Al-Azred "l'Arabe dément" du père
Lovecraft, les Grands Anciens (figures d'un damné polythéisme impie...), Azathoth, Yog-Sothott,
Nyarlathotep le Chaos rampant, Hastur, Shub-Niggurat, Cthulhu se prélassant dans sa Cité sous-marine de R'Lieh, Yahia Sattouf (cadet de Riad, semblant se débrouiller mieux pour se faire des copains), Fadi Sattouf (le petit frère absent-"kidnappé-resté au Pays" dans la famille du paternel), Clémentine Sattouf la mère en pleine dépression (Comme on comprend...), le couple des grands-parents recomposés (Charles le tendre est admirateur de Mermoz), le grand-père maternel nudiste à Oléron, anti-flics ("Des feignasses !") et breton-chauvin-fin limier-découvreur d'avocats efficaces dans l'Annuaire des Postes ("AH ! LE QUEMENER : ça j'aime. le Quemener, très bien."), "
Le Livre des Esprits" d'
Allan KARDEC, une voyante barrée vivant sous une ligne à haute tension, les services de l'Ambassade recommandés par Danièle Mitterrand (un vieux qui se permet de faire la morale à Clémentine et de la décourager...), les trois bas-de-plafonds violents (deux sbires "de souche" et celui qui semble leur chef ,"rebeu") qui f...tent la zone dans les bus et hantent les trottoirs de Rennes...
Evidemment, on peut être presque gênés ("intrusifs" sans nous sentir coupables de voyeurisme) mais il y a ici une telle mise à distance humoristique de ces multiples "grands malheurs", grosses frayeurs et petits-bonheurs vécus en notre adolescence... qu'on se régale ici sans vergogne !
Son art du récit (une saga autobiographique), qui aurait pu être banalement anecdotique et bientôt daté, devient un objet captivant, immédiatement magique et universel...
Et il y a, contenue dans ces pages palpitantes, la genèse lente d'un dessinateur (vite fasciné par le travail de
Druillet, Moebius, Bilal - albums de bédés empruntés au père d'Anaïck), sorti d'une argile fragile tel un Golem incertain :
Riad SATTOUF... Curieux qu'après
Hergé,
Edgar P. Jacobs,
Jacques Martin et autres grands créateurs-pionniers,
Riad SATTOUF ait su inventer une autre "Ligne claire" désormais reconnaissable à 100.000 lieues à la ronde...
L'apparition du père Sattouf, à l'image d'un "pauvre type" suivant de loin sa petite famille sur les trottoirs lugubres de Rennes dans les dernières pages de l'ouvrage : le "kidnappeur d'enfant [le sien]" est de passage, revenu de Syrie sans Fadi, dans l'espoir idiot de ramener en Syrie ses deux autres fils (et Clémentine, "des fois qu'elle accepterait")... Pathétique, détestable et toujours si émouvante silhouette paternelle !
Une comédie humaine fourmillante de talent, de péripéties, de personnages "vrais" échappés du défunt XXème siècle... Bref, "THE" Classique à l'immense succès critique et populaire (à l'international) inattendu et bien mérité !
Encore cette parenthèse, à savoir que noues restons un peu moins convaincu par l'autre série-phare de l'auteur, "Les Cahiers d'Esther", tout à fait charmants et respectueux de la personnalité de leur héroïne mais... (et qu'on veuille nous pardonner bien vite pareil jugement de valeur !) travail nous semblant un rien vide de contenu, plutôt répétitif et convenu, surtout beaucoup moins inspiré (Certes, "Faut ben rester à l'écoute des Djeun's...") et pour nous assez ennuyeux... Mais bon, puisque "ça plaît"... :-)
Mais Riad l'inventif (bourré d'humour fin) est un Génie pour lampe à huile d'Aladin : on a confiance...