[Rentrée littéraire 2023 n°9]
Un véritable OVNI ce livre incroyable.
Quelle dextérité, quel talent !
Par contre, ce livre se mérite ; il faut aller au bout du roman, au bout de cette expérience littéraire. Car, pour moi, il s'agit d'une expérience, c'est comme cela que j'ai vécu cette lecture.
Je l'ai commencé avec des a priori nettement négatifs.
Je n'ai lu que ce livre de Reinhardt.
Il m'a littéralement happé, subjugué, je l'ai dévoré comme Susanne qui mange un tableau.
Alors oui, c'est parfois abscons.
Le sujet : une femme Sarah, demande par mail à un écrivain renommé (on peut le deviner puisqu'il est invité à La grande Librairie), de lui écrire un livre sur sa vie quelque peu agitée, avec une femme qui s'appellerait Suzanne Sonneur.
A partir de là, cela devient flou ; on ne sait plus si c'est Sarah ou Suzanne qui parle,ou bien si c'est l'écrivain qui écrit, sans oublier Sarah...
Sarah qui vit de douloureux moments avec son mari et sa fille.
Elle part se réfugier dans une maison épouvantable pour que son mari réfléchisse à ses actes, mais il s'en moque et finalement, tout le monde est content de la situation.
Épisode du tableau ; Susanne, à moins que ce ne soit Sarah (Je me moque mais ce n'est pas méchant cette dextérité de l'auteur de passer de l'une à l'autre...), a un véritable coup de foudre pour un tableau vu dans la vitrine d'un antiquaire, elle l'observe, elle se repaît de lui, et finit par l'acheter après moult atermoiements.
Et puis, d'un seul coup, vers la page 250, tout bascule ; Susanne ou Sarah "pète un cable" comme on dit, elle fait une bouffée délirante, elle fait un épisode psychotique, et là intervient le grand auteur qu'est E.R, la description de cet épisode psychotique est un franc succès. Elle finit par manger son tableau, elle le dévore languette par languette qu'elle arrache et l'ingère donc en elle. Cela m'a fait penser à cette angoisse de dévoration et de morcellement que l'on retrouve chez les psychotiques. Mais elle sera internée en HP et s'en sortira avec de bons neuroleptiques des familles. Et oui, quand le réel est devenu insupportable, on se crée un autre réel : le délire.
Un moment très intense pour moi.
Alors non, ce n'est pas un livre féministe, ce serait réducteur que de le dire, oui le mari est insupportable, oui Sarah-Susanne en devient folle, mais je ne crois pas que ce fut le but initial de l'auteur.
On se perd régulièrement dans ce roman ; un coup on subodore que Susanne est lesbienne, un coup on pense que c'est Sarah, un homme anglais Johnathan, devient ensuite Johanna....
L'auteur nous ballade, pour notre plus grand plaisir.
C'est un livre très intéressant du point de vue de l'écriture mais également du point de vue de la narration. J'ai adoré la description du tableau, j'ai presque aimé l'imaginer...
Je me suis perdue dans ce livre magnifique, puis retrouvée, puis encore perdue, je l'avoue. Mais j'ai adoré être surprise.
Il y a également beaucoup de scènes comiques, elles m'ont fait rire. Certains personnages et certaines situations sont franchement ridicules.
Enfin, ce livre m'a fait penser à
Duras, dans certaines de ses oeuvres, limites psychotiques, ou schizophrèniques, je l'ai retrouvé ma Marguerite, comme au temps où je la dévorais. Un petit air toutefois de
le Ravissement de lol.v. Stein.
Bref, j'ai été subjuguée de bout en bout, à aucun moment je n'ai voulu arrêter ma lecture.
Ce fut une obsession littéraire pour ma part.
Pour apprécier cette lecture, il faut accepter de ne rien savoir et, parfois, de ne pas comprendre.
Pour les audacieux, les curieux, les explorateurs, ce livre est une merveille.
Quel voyage....