Quand
Jacques Perret s'attaque au récit d'une mutinerie en mer, on devine tout de suite qu'il ne sera pas question d'une nouvelle variation sur le thème des Révoltés de la Bounty. En clair, on ne trouvera pas de malheureux équipage persécuté par une odieuse brute galonnée :
Mutinerie à bord raconte tout au contraire comment les officiers d'un trois-mâts se retrouvent victimes d'un équipage ramassé parmi les « vauriens de basse mer, pirates à youyou et raclures de poulaines » qui traînent leurs savates et leur ivrognerie dans le port de Cette en 1864.
Si l'âge a quelque peu émoussé sa volonté, le capitaine est d'une grande rectitude morale. Quant à son second, il est le portrait même du héros positif : valeureux, dynamique, loyal et bâti comme un hercule.
Sommés par les autorités impériales de convoyer une cargaison de vins destinée aux zouaves partis guerroyer au Mexique, M. Richebourg et son second Aubert se trouvent ainsi contraints de recruter à la hâte l'équipage qui mènera le navire à la tragédie. Cet équipage, vivant portrait de la lie humaine, n'est composé que de fainéants, voleurs, menteurs, fourbes, lâches, abrutis, etc, toutes qualités que le pinard embarqué va porter au pinacle. le ton est ainsi donné dès les toutes premières pages, et il est difficile de s'étonner complètement de ce parti pris quand on connaît un peu la biographie et les opinions de
Jacques Perret. A partir d'une histoire vraie assez bien connue, j'ai même parfois eu l'impression qu'il nous proposait en quelque sorte une parabole à sa façon gouailleuse sur la Révolution et la fin de la société d'Ancien Régime : une autorité défaillante, qui abandonne des élites à leur impuissance et les laisse affronter seules une horde de gueux écumants, lesquels s'emparent du pouvoir par la violence et se révèlent aussitôt incapables d'en faire quoique ce soit.
Simple impression de ma part, à vrai dire, car j'ignore si c'est bien le projet que l'auteur avait en tête. Ce point n'a de toutes façons aucune importance dans le cas présent, et on pourrait aussi bien voir dans ce roman un plaidoyer contre les ravages de l'alcool sur les esprits faibles. Pour ma part, et comme toujours quand je lis Perret, j'étais d'excellente composition, ravi de me laisser emporter par une histoire bien troussée, son ironie à la fois légère et vacharde, et cette langue toujours aussi savoureuse. En un mot, la lecture de vacances dans sa plus grande noblesse, tandis qu'on laisse paisiblement dériver sa bouée licorne sur la houle facétieuse.