Citations sur L'homme qui voulait devenir psychopathe (15)
Trente ans à s'emmerder, à blanchir au rouleau les pages d'une vie sans relief. Depuis quelques mois, Victor ne lit plus que des biographies de peintres, de chercheurs, d'hommes politiques. Tous avaient un but dans la vie ! Cortès, détruire l'Empire aztèque, Farinelli, se faire couper les couilles pour envoyer des trilles de soprano, Pytahore, faire chier des générations d'écoliers. Et Pierre Simon, marquis de Laplace, un type qui a passé sa vie à bosser sur la mécanique céleste ?! Tout le monde s'en fout, n'empêche qu'il a son nom dans le dictionnaire et qu'au cours d'un dîner, il sait quoi dire. Victor, autour d'une table, préfère la fermer.
Gros tocard, Victor, pas question de vous réincarner, vous seriez capable de gâcher une deuxième vie !
Une meringue oubliée dans une boîte, elle-même rangée dans un placard à la cave ou au grenier. Voilà comment Victor se sent. À quoi bon, dans ces conditions, poursuivre une existence qui ne rime qu’avec frustration, amertume ou échec ? Il a cherché un autre Victor, mais ne l’a pas trouvé. Il faut savoir se rendre à l’évidence, il n’est pas fait pour la vie, il sera mieux six pieds sous terre. Qui sait si tout ne repartira pas alors de zéro, dans un autre corps, à une autre époque ? Il se le jure, il saura éviter les pièges et ne se laissera enfermer dans aucune vie médiocre. Pas question de jouer le pousse-mégot une seconde fois, il vivra à cent à l’heure. Dans le berceau, on n’entendra que lui, il braillera à s’en faire péter les cordes vocales. Plus tard, il touchera à tout, un vrai casse-cou, les filles seront folles de son insouciance, il leur fera transgresser les interdits. Tout sauf acquiescer sagement, ramper devant l’autorité. Steve McQueen dans La Grande Évasion.
« C’est maintenant lui qui domine la situation, c’est lui qu’on écoute et que l’on suit. Bravo, Victor ! Dans moins d’une heure, plus personne ne pensera que tu es un tocard."
L'empathie n'a jamais été son fort. Rien à cirer des errements de son mari, seul compte le quotidien, savoir ce qu'on mange le soir, s'il faut racheter du Sopalin ou du shampoing, qui plongera du dix mètres dans Splash sur TF1 ? Voilà les vraies questions existentielles qui taraudent Agnès.
Si la vie est mal faite, la mort l’est aussi.
Qui peut se targuer d’être passé derrière un miroir sans tain !? En tant que criminel, en plus !
On est tous des marionnettes. Certaines ont le visage grave, d'autres forcent un sourire. (p. 190)
A la télé, le matin, on diffuse le journal en continu, à l'américaine. On y suit les dernières affaires, les sulfureuses, les crimes, les viols. Il faut un tsunami ou un crash d'avion pour passer avant les faits divers. Ou une épidémie, un truc qui peut flinguer la terre entière. Victor s'y attend, une peste qui embarque les vieux, les femmes et les enfants, les siens si possible, qu'on sorte de la routine. Parce qu'elle l'étouffe, la routine, elle s'est installée comme une gangrène et le dévore à petits feu. Pas moyen de lui échapper. Il dévale la pente, lentement mais sûrement, ligoté dans le train de la vie... (p. 13)
Victor lui a pourtant fait deux enfants : Benoit, qui passe son bac à la fin de l'année, on se demande bien pourquoi vu qu'il connait tout sur tout, et Cybille, 14 ans, qui a relevé le défi d'établir une nouvelle référence en matière de crise d'ado. (pp. 11-12)