Si sa courte vie est documentée jusqu'à l'obsession, sa mort l'a ramenée au destin de toutes les autres victimes de la Shoah : Anne Frank n'a pas de sépulture. Son corps repose quelque part dans une fosse commune, comme celui des cinquante mille morts de Bergen-Belsen.
Sur le velouté des joues d'Anne Frank, de petits points se baladent, ils dessinent un chemin d'enfance.
Le passé n'est qu'un instant du temps, il n'existe pas.
Avant de rentrer dans la nuit de ce mois d’août 2021, je ne sais rien, sauf ceci : les fantômes, au contraire du mythe qui voudrait qu’ils nous hantent sans pitié, se tiennent sages. Ils nous espèrent, ils ont tout leur temps, celui que nous n’avons pas.
Ils attendent qu’on accepte d’être déroutés. Que nos paupières se dessillent et qu’on devine, au travers du temps, leurs ombres patientes. Alors, on pourra faire place à ceux qu’on dit avoir « perdus ». On les retrouve.
Certains vont à la rencontre de leur vie, ils s'en saisissent , d'autres se tiennent légèrement de biais: ils l'écrivent.
Ecrire est un geste d'espoir obstiné, la preuve d'une espérance insensée.
« Anne n’œuvrait pas pour la paix. Elle gagnait du temps sur la mort en écrivant sur la vie. N’oubliez pas ceci, insiste Laureen Nussbaum : Anne Frank désirait être lue, pas vénérée… Elle n’est pas une sainte. Pas un symbole. Son Journal est l’œuvre d’une jeune fille victime d’un génocide, perpétré dans l’indifférence absolue de tous ceux qui savaient…
Je crois encore à la bonté innée des hommes. Il m’est impossible de tout construire sur une base de mort, de misère et de confusion, je vois comment le monde se transforme lentement en un désert, j’entends plus fort, toujours plus fort, le grondement du tonnerre qui approche et nous tuera, nous aussi, je ressens la souffrance de millions de personnes et pourtant, quand je regarde le ciel, je pense que tout finira par s’arranger, que cette cruauté aura une fin, que le calme et la paix reviendront régner sur le monde.
On ne me fera pas croire que la guerre n’est provoquée que par les grands hommes, les gouvernants et les capitalistes, oh non, les petites gens aiment la faire au moins autant, sinon les peuples se seraient révoltés contre elle depuis longtemps !
Il y a tout simplement chez les hommes un besoin de ravager, un besoin de frapper à mort, d’assassiner et de s’enivrer de violence, et tant que l’humanité entière, sans exception, n’aura pas subi une grande métamorphose, la guerre fera rage, tout ce qui a été construit, cultivé, tout ce qui s’est développé sera tranché et anéanti, pour recommencer ensuite !
L’irrévérence des jeunes filles devrait être l’objet de toutes nos attentions, elle devrait être archivée et transmise. Il faudrait les chérir, ces trop courtes années durant lesquelles les jeunes filles ignorent la prudence, le respect et le remords.
Certains objets sans valeur nous sont intimement précieux. Ils témoignent d’un être, d’un amour, d’un lieu qui n’est plus. On ne peut supporter l’idée de les perdre, mais on a du mal à les regarder, tant leur pouvoir d’évocation est puissant. On les conserve au secret, dans une boîte, une enveloppe, en lisière de mémoire.