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Anne Gaudu (Autre)
EAN : 9782070369768
128 pages
Gallimard (13/09/1977)
3.64/5   113 notes
Résumé :
La mère de l'auteur s'est tuée le 21 novembre 1971, à l'âge de 51 ans. Quelques semaines plus tard, Peter Handke décide d'écrire un livre sur cette vie et ce suicide. Simple histoire, mais qui contient quelque chose d'indicible. Histoire d'une vie déserte, où il n'a jamais été question de devenir quoi que ce soit. Vie sans exigence, sans désirs, où les besoins eux-mêmes n'osent s'avouer, sont considérés comme du luxe. A trente ans, cette vie est pratiquement finie. ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
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On en a jamais fini avec la mort d'un parent. le deuil est un processus qui prend du temps et qui se réactive à intervalles réguliers. Je pensais pourtant en avoir fini avec mon déballage personnel sur Babelio de ce deuil qui a déjà colonisé deux de mes critiques. C'est sans compter les livres et leur propension à venir nous chercher sans que nous l'ayons voulu, à des moments étonnamment pertinents pourtant. Ce fut le cas de ce "malheur indifférent", récit du Nobel Handke écrit juste après le suicide de sa mère... et que je décide de commencer sans me rendre compte que je le fais le jour de l'anniversaire de ma mère, celui qu'elle ne pourra jamais fêter.

C'est assez fou de se rendre compte que cette lecture était programmée depuis le 16 septembre, puisque dans le cadre du challenge ABC du site, pour la lettre H. Je suis à peu près sûr de ne pas avoir particulièrement remarqué le sujet du livre, plutôt qu'il validait un Nobel et qu'il n'était pas trop long. Mais le battement d'ailes du papillon a amené cette lecture à la date du 25 Août, après la lecture du Paradis de Gurnah et sa lettre G.

Passons au livre lui-même maintenant. La démarche de l'auteur est touchante. Il vient d'acquérir la notoriété avec son "angoisse du gardien de but", adaptée l'année même au cinéma par Wim Wenders (excusez du peu...). Il se retrouve confronté à ce décès et ne voit qu'une façon d'y faire face, ce qu'il sait le mieux faire, écrire. S'agissant d'un suicide on se dit que le livre va être une recherche du pourquoi cette mort, mais au final il répond plutôt à celle du comment cette vie. Il est tiraillé tout au long du récit au risque de n'intéresser personne avec cette histoire si personnelle et également à l'écueil de tomber dans une description trop généraliste, d'en faire la vie de tout le monde. Tel un albatros baudelairien, il semble maladroit dans sa démarche, fragile et donc d'autant plus émouvant. Il rend un hommage au final très réussi à cette mère qu'on aura empêché de vivre son bonheur rêvé et idéalisé et qui n'aura donc pu que se contenter de ce malheur indifférent du titre.

Comme il fallait s'en douter, plusieurs moments m'ont tendu un miroir sensible, les regrets d'une vie qu'on aurait voulu pour elle plus aboutie, une personnalité qui se coule mal dans le moule que d'autres voudraient lui voir respecter, la maladie qui transforme les derniers instants et les derniers rapports... Heureusement, j'ai été aussi rassuré de ne pas la reconnaitre dans le malheur d'un mariage subi, content qu'elle ait pu ainsi goûter à un bonheur différent.

Je sais que l'auteur est diversement apprécié, notamment chez les Nobéliens que je fréquente. Cette première rencontre originale et fraternelle en fera forcément un auteur à qui je donnerais plus d'une chance de me séduire... surtout qu'il a déjà commencé à le faire !

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Pris à son propre piège… On pourrait croire qu'à force de côtoyer la littérature et de pratiquer l'écriture, l'expression devient sans cesse plus aisée. Peter Handke nous démontre que ce n'est pas forcément le cas et que les mots, assimilés en phrases toutes faites, en expressions proverbiales et en autres tournures stéréotypées, constituent souvent un obstacle à l'expression sincère et véridique.


Après la mort de sa mère par suicide, Peter Handke fait l'expérience de cette impossibilité de dire les sentiments. le besoin de raconter est intense, mais la peur de ne pas réussir à être juste pousse finalement l'écrivain à repousser sans cesse l'échéance, à remettre pour le lendemain le début de l'écriture de son expérience. Lorsque Peter Handke trouve enfin le courage de se mettre au travail, plusieurs semaines après l'enterrement se sont déjà écoulées… Ses doutes transparaissent encore nettement. Ressentis à la fois à travers le style d'écriture en lui-même –beaucoup de tergiversations qui donnent l'impression de tourner autour du pot- et à travers les aveux de l'écrivain –qui n'hésite pas à faire figure basse pour dire à quel point il lui est difficile d'écrire à propos de sa mère sans céder aux tournures de style conventionnelles et donc impersonnelles-, il en résulte un récit difficile à intégrer.


Peter Handke n'aborde pas frontalement la mort de sa mère en exprimant ses émotions. D'ailleurs, les seuls sentiments qu'il osera véritablement transposer ne seront jamais liés à son deuil mais plus indirectement aux difficultés qu'il trouve à les transcrire par le biais de l'écriture. Cette lutte, qu'on pourrait juger ridicule parce qu'elle s'apparente à une forme de snobisme culturel, traduit en réalité la douleur de Peter Handke : non seulement il souffre de la disparition de sa mère, mais en plus il se rend compte que cette expérience est indicible et qu'il ne pourra jamais la partager avec quiconque. Il le pourrait, évidement, en utilisant les expressions toutes faites dont se sert la majorité dans de tels cas, mais il ne le souhaite pas pour une question éthique : selon lui, se serait bafouer la singularité de sa mère et renier ce qu'il y a d'unique dans l'expérience en quoi consiste le deuil d'une personne chère.


On peut saluer le courage de la démarche de Peter Handke, et également sa lucidité quant à la qualité du récit qui découle de son expérience. En effet, il ne se trompe pas lorsqu'il reconnaît devoir lutter pour écrire l'hommage qu'il souhaite rendre à sa mère. Tout à la fois, l'écrivain s'envole dans des descriptions de scènes simples mais teintées d'une grande mélancolie, avant de se mettre à ricaner en soulignant les failles de sa transcription des évènements.


A force de se concentrer sur sa volonté de transcender le média de l'écriture, Peter Handke finirait presque par oublier ce qui l'a poussé à vouloir raconter le suicide de sa mère. Cette dernière s'efface derrière la personnalité de l'écrivain et passe au second plan des difficultés littéraires qu'il rencontre. le malheur indifférent est tout à fait pertinent : en effet, Peter Handke a failli dans sa volonté de transcrire une expérience personnelle, et il se montre tout à fait brillant dans sa lucidité à se rendre compte de cet échec.
Lien : http://colimasson.over-blog...
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Je passerai sur ce qui m'apparaît comme un certain nombrilisme de l'écrivain (à moins qu'il ne s'agisse d'un inéluctable et sincère questionnement face aux mots et à leur agencement pour exprimer l'humain- je ne suis pas écrivain) pour focaliser ma réaction sur le deuxième fond de ce récit, le fils face à la mort de la mère.

"L'étranger" d'Albert Camus m'est spontanément revenu en mémoire mais le souvenir en est lointain et donc peut-être transformé.
Le parti d'objectivité pris par Peter Handke pour écrire l'histoire de sa mère le place de fait, par delà la documentation réunie et étudiée ainsi que les souvenirs convoqués de proches, et malgré l'insertion des siens propres, en position d'observateur au point, s'agissant de la période qu'il n'a pu connaître directement, de s'en remettre à une sorte de traité mi historique, mi-sociologique. Au fil du récit, naturellement la personnalité et la spécificité de la mère sont plus précisément restituées sans pourtant que cela donne lieu, sauf rares exceptions, à spéculations au plan de la psychologie. Seuls les faits et observations.

Le ton adopté enracine l'indifférence ressentie envers cette femme et cette mère, tant par le fils étranger que la "société" molochéenne. Une vie parmi tant d'autres. Une mère-fonction, comme tant d'autres.
Le gâchis de cette vie de femme apparaît ainsi en négatif sans que le témoin ait à se croiser pour le révéler. Au-delà de ce cas particulier, fût-elle sa mère, c'est du destin de femmes d'origine modeste empêchées de trouver la place dans la société qui conviendrait mieux à leurs aspirations et capacités et de son absurdité que traite l'auteur, sans épanchement ni dénonciation.
Il semble, terriblement, que le suicide joue cette fois son rôle dans l'allumage de la mèche "parlons-en". Comme si le cri silencieux avait été indispensable pour faire prendre conscience, même au fils, de la question posée muettement par la femme-mère.

En pointillé pourtant émergent, pudiquement, subrepticement, rarement, émotions et sentiments, noyés dans la linéarité du compte-rendu. Présentation d'un archétype, donc mais où l'humain ne parvient pas à complètement disparaître.
"Plus tard j'écrirai sur tout cela en étant plus précis" conclut Handke. Je m'interroge sur ce qui mériterait d'être précisé selon lui.

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"Aujourd'hui maman est morte" dit le narrateur de l'Etranger. "Voilà près de 7 semaines " dit Peter Handke et il est temps d'écrire sur elle et sur son suicide.
Naître femme en Autriche en 1921, c'est se plier aux convenances sociales et religieuses, suivre les rituels et abolir toute forme de désirs. Un destin tout tracé pour la petite fille qui pourtant désirait "apprendre quelque chose".
L'auteur en faisant sa biographie se heurte aux difficultés de l'écriture. Il utilise le "on" impersonnel avant le "elle" de la dernière partie pour parler d'elle et se tenir à distance semble-t-il des faits rapportés. Drôle de vie marquée par les restrictions de la guerre et l'indifférence au malheur comme le suggère le titre.
Un récit troublant que j'ai eu plaisir à découvrir.
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Après le suicide de sa mère en novembre 1971, Peter Handke sent la nécessité de raconter sa vie (celle de sa mère). Raconter et non pas écrire, car son projet est bien entendu littéraire. Cette nécessité se confronte alors à l'exigence d'une oeuvre artistique et Peter Handke fait le choix de croiser voix de l'auteur en création et voix narrative, comme le fera quelques années plus tard Nathalie Sarraute dans son roman autobiographique Enfance, pour mettre en valeur les multiples dangers inhérents à l'écriture sur soi ou sur ses proches. le personnage du roman, la mère, se construit donc de différentes manières au fur et à mesure du récit. Personnage type au départ, sa présence se formule par le pronom impersonnel "on", puis sa personnalité se dessine plus nettement en fin de récit avec le pronom "elle".
Enfin, le malheur indifférent témoigne aussi, à travers la vie de cette mère, de l'histoire du XXe siècle en Autriche et en Allemagne, entre montée du nazisme et lourde défaite, société en reconstruction et société de consommation, et émancipation des femmes.
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Citations et extraits (46) Voir plus Ajouter une citation
... même quand les phrases ont l'apparence d'une citation, elles ne doivent à aucun moment faire oublier qu'elles s'appliquent, pour moi du moins, à quelqu'un de particulier - et pour qu'elles me paraissent utilisables, il faut que l'idée centrale, forte et bien pesée, soit ce prétexte personnel, privé si l'on veut.
(p. 54)
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Les avantages n'étaient en général que des désavantages manquants : pas de bruit, pas de responsabilité, pas de travail chez les autres, pas de départ journalier de la maison et de séparation des enfants. Les désavantages réels étaient donc annulés par les désavantages absents.
(p. 76)
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Dans ce contexte catholique et campagnard, toute manifestation d'une vie féminine propre était avant tout déplacée et incontrôlée ; coups d’œils obliques jusqu'à ce que la confusion ne soit plus seulement mimée par des grimaces mais aille tout au fond effaroucher les sentiments les plus élémentaires. "Femmes rougissantes" même dans la joie parce que l'usage commandait d'avoir honte de cette joie ; le visage ne pâlissait pas mais rougissait dans la tristesse, on ne fondait pas en larmes mais en sueur.
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Elle lisait les journaux, préférait encore les livres dont elle pouvait comparer les histoires avec sa propre vie. Elle lisait les mêmes livres que moi, Fallada, Knut Hamsum, Dostoïevski, Maxime Gorki d’abord, puis Thomas Wolfe et William Faulkner. Ce qu’elle en disait ne mérite pas d’être publié, elle racontait simplement ce qui l’avait beaucoup frappée. « Mais je ne suis pas comme ça », disait-elle parfois, comme si l’auteur l’avait toujours décrite elle en personne. elle lisait chaque livre comme une description de sa propre vie et revivait ; pour la première fois elle se livrait grâce à la lecture ; apprenait à parler de soi ; chaque livre l’inspirait un peu plus. J’appris ainsi à la connaître petit à petit.
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Peut-être se serait-on senti mieux si la bienséance avait été exclue de la misère, on aurait acquis un minimum de conscience prolétarienne. Mails il n'y avait pas de prolétaires dans la région, pas même de populace, tout au plus des indigents loqueteux ; personne pour être insolent; ceux qui atteignaient le fond n'éprouvaient que de la gêne, la pauvreté était effectivement un vice.
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Videos de Peter Handke (23) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Peter Handke
Découvrez l'entretien de Peter Handke, prix Nobel de littérature 2019, consacré au volume Quarto, "Les Cabanes du narrateur. Oeuvres choisies".
Depuis cinquante ans, Peter Handke bâtit une « oeuvre influente qui explore les périphéries et la spécificité de l'expérience humaine ». Embrassant toutes les formes de la littérature, elle présente comme constante une fidélité à ce qu'il est, c'est-à-dire un homme de lettres, un promeneur dont la création ne peut prendre forme que grâce à la distance propice, paradoxalement, à une plongée dans l'intériorité des personnages, à la description imagée et vivante de la nature, à l'attention au quotidien. Pierre angulaire du patrimoine littéraire d'Europe centrale, servie par un style tranchant et unique, cette écriture se définit par le besoin de raconter — faux départs, difficiles retours, voyages, etc. — la recherche d'une propre histoire, de la propre biographie de l'auteur qui se fond dans ses livres : « Longtemps, la littérature a été pour moi le moyen, si ce n'est d'y voir clair en moi, d'y voir tout de même plus clair. Elle m'a aidé à reconnaître que j'étais là, que j'étais au monde. » Cette édition Quarto propose au lecteur de suivre le cheminement de l'écrivain à travers un choix qui comprend des récits qui l'ont porté sur le devant de la scène littéraire dans les années 1970-1980 comme d'autres textes, plus contemporains, imprégnés des paysages d'Île-de-France, et reflets de son écriture aujourd'hui. Et, le temps d'une lecture, de trouver refuge dans l'une de ses cabanes.
En savoir plus sur l'ouvrage : http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Quarto/Les-Cabanes-du-narrateur
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>Littérature (Belles-lettres)>Littérature des langues germaniques. Allemand>Romans, contes, nouvelles (879)
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