Michel Foucher est un obsédé des frontières. Il leur consacra son doctorat d'Etat en 1986 et en fit un ouvrage de référence qu'il remet à jour régulièrement . le petit ouvrage qui sort en poche début 2012 dans la collection Tempus est l'actualisation – imparfaite – de «
L'obsession des frontières » publié en 2007 chez Perrin.
Comme dans Fronts et frontières, mais dans un format beaucoup plus ramassé, ce court opus est l'occasion d'un tour du monde géopolitique des frontières. On y retrouve quatre idées phares de la pensée de
Michel Foucher.
Premièrement, il n'existe pas de frontières naturelles. Certes une large partie des 250.000 km de frontières terrestres que compte la planète coïncident avec des fleuves ou des lacs (32 %), avec des lignes de crêtes (24 %), avec des lignes géométriques (23 %). Mais l'existence d'une rupture géographique ne constitue ni une condition nécessaire ni une condition suffisante à l'apparition d'une frontière : « Il y a des faits de Nature, mais leur désignation est fort humaine » (p. 148). Dans sa thèse consacrée aux frontières himalayennes –dirigée par
Michel Foucher –
Emmanuel Gonon a montré que la « frontière naturelle » des Himalayas n'était en rien évidente .
Deuxièmement, à rebours de la vulgate qui voudrait que l'ère de la mondialisation sonne la disparition des frontières, on voit au contraire les frontières se multiplier sous l'effet de l'apparition de nouveaux Etats : l'ONU comptait 51 Etats à sa création en 1945, elle en compte 159 en 1990, 193 aujourd'hui. Conséquence mathématique : plus de 28.000 km de nouvelles frontières internationales ont été instituées depuis 1991. Leur caractéristique commune est de suivre des tracés anciens : les frontières des Etats successeurs de l'URSS, de la Yougoslavie ou de la Tchécoslovaquie suivent, à quelques détails près, le tracé des frontières qui séparaient les Etats fédérés qui composaient ces fédérations. « de nouvelles frontières, oui, mais sans nouveaux tracés sur le terrain » (p. 15).
Troisièmement, à rebours là encore de l'espérance symbolisée par la chute du mur de Berlin, les murs, loin de disparaître, se dressent de plus en plus nombreux aux frontières . Ni les « peace lines » d'Irlande du Nord, ni la Ligne verte à Chypre, ni les murs bâtis par le Maroc au Sahara occidental n'ont été démantelés. D'autres ont été construits sur le même modèle : en Cisjordanie, sur le Rio Grande, autour des enclaves de Ceuta et Melila. Leur coût est prohibitif : c'est un marché extraordinairement lucratif pour les fournisseurs d'équipements de surveillance. Leur efficacité est douteuse : l'ingéniosité des passeurs de frontières inventera mille tours pour s'en jouer. Leur érection est en fait le plus souvent un message politique à usage interne : l'Etat se met en scène en doublant son message sécuritaire d'une action symbolique.
Quatrièmement, la distinction entre les frontières et les fronts, entre la border qui délimite linéairement deux espaces de souveraineté sans solution de continuité et la frontier qui forme une marche, une zone où les interactions rendent ambigües le jeu des souverainetés. Dans le chapitre consacré aux frontières de
l'Europe, vieux serpent de mer du débat politique européen, M. Foucher défend une thèse stimulante : la « politique de voisinage » mise en oeuvre par la Commission marque le passage d'une conception française classique de la frontière-border à une conception américaine du front-boundary. La démarche est habile ; mais elle ne permettra pas de faire l'économie du débat sur les limites de la construction européenne.