La Vie heureuse

Elle ne supportait plus ce qu'elle considérait comme une routine. Pourtant, chacun avait déposé dans ce mot une connotation différente. Quand elle voyait les mêmes vacances, les mêmes restaurants, les mêmes positions sexuelles, il voyait les rendez-vous heureux de la vie à deux. Ainsi, il n'avait pas anticipé le désastre.

Certaines vies semblent ainsi être écrites contre l'avis de leur auteur.

Happy Life était l’un de ces centres qui organisent de faux enterrements. C’était un véritable phénomène ici. En approfondissant plus tard le sujet, Éric comprendrait le pourquoi de cet engouement. La Corée du Sud avait, cette année-là, le quatrième taux de suicide le plus élevé au monde. Outre la pression ininterrompue que subissait une partie de la population, on constatait une recrudescence particulière des drames chez les jeunes de dix-huit ans à trente-quatre ans. La peur de l’avenir se faisait de plus en plus oppressante, renforcée par une dangereuse soumission à la réussite, et une humiliation en cas d’échec. Cette société largement fondée sur l’apparence (tant de jeunes femmes se faisaient faire le même visage, dans le souci de ne pas déroger à des canons de beauté standardisés) laissait de côté ceux qui ne parvenaient à atteindre ce qui était considéré comme le succès. C’était sur ce terreau fertile que prospérait Happy Life, tentative presque mystique de fournir un antidote au désespoir. Le concept reposait sur une constatation simple : être confronté à la mort pouvait vous permettre de retrouver le goût de la vie.

Il pouvait imaginer le bienfait d’être confronté à la finitude. Plusieurs fois, à la fin d’un enterrement, il avait entendu des gens évoquer une envie de vivre exacerbée par la conscience de la mort. On se répète alors, comme une simple poésie apprise à l’école, qu’il faut profiter de chaque minute de sa vie. On prend de la hauteur, et nos agacements quotidiens nous apparaissent enfin pour ce qu’ils sont : dérisoires. Mais ces prises de conscience ne durent pas, et on se remet vite à râler pour des broutilles, comme animé par une volonté inconsciente de retrouver au plus vite cette énergie imperméable à l’éphémère. Et l’insouciance réapparaît, jusqu’au prochain mort.

Les hommes sont incapables de partir, pensa Amélie. Incapables de partir s'ils n'ont pas quelqu'un d'autre en vue.

- Qu'as-tu fait, pendant ces années ?
- J'ai expérimenté tous les recoins de la désillusion, répondit Amélie.
- C'est joyeux....
- Ne te moque pas... Et toi ? Qu'as-tu fait ?
- Je me suis remis à vivre.

Éric avait été marqué par la phrase inaugurale de " La mort à Venise" : "Celui qui contemple la beauté est déjà prédestiné à la mort."

Ces vacances qui auraient pu être celles des retrouvailles devenaient chaque jour davantage celles de la séparation.
Tout paraissait pourtant si calme, sans la moindre acidité émotionnelle. Il arrive qu'on se quitte tout comme on meurt paisiblement en plein sommeil.

Dominique était devenue professeure d’histoire-géographie ; elle se plaignait régulièrement d’une jeunesse préférant avoir que savoir.

L'homme heureux est celui qui aime ce qu'il a