Raphaël, la vingtaine, dont la mère est décédée depuis de nombreuses années et qui n'a pas vu son père depuis cinq mois, panique lorsque ce dernier lui annonce qu'il vient le voir prochainement à Bruxelles. Car si Raphaël a invoqué la pandémie du Covid-19 pour retarder ces retrouvailles, c'est une fausse excuse. Raphaël, depuis toujours, s'est senti grandir dans le mauvais corps et a entamé sa transition dans cette ville où il peut enfin assumer son identité.
Alors Raphaël, qui a toujours repoussé et craint cet instant, écrit à son père. Pour tout lui expliquer. Lui dire enfin qui il est vraiment.
Cette longue lettre adressée au père est une confession, celle de Nora, née Raphaël. Une confession émouvante, difficile, sincère. Celle d'un enfant qui depuis tout petit ne se sent pas dans le bon corps et qui subit les brimades, les moqueries, avant le harcèlement à l'adolescence. Un petit garçon d'apparence donc, trop sensible, trop timide, trop « pas assez dans le moule ». Un ado qui tente d'oublier son mal-être dans l'alcool, qui tente de disparaître. Et puis, heureusement, il y a la découverte du chant, libératoire. Et l'heure enfin venue de pouvoir quitter la maison, une ville trop petite pour assumer ce qu'il est. La grande ville, Bruxelles, va enfin laisser entrer dans la lumière Nora.
«
Strange » est un roman sensible et délicat. le récit d'une souffrance, de ses effets et d'une transformation – d'une transition – qui met en avant les rencontres heureuses et malheureuses, toujours déterminantes. C'est surtout l'expression d'une urgence, d'un besoin vital – au sens fort du terme- de pouvoir enfin être qui je suis. A l'heure où de vieux politiciens totalement déconnectés du sujet qu'ils abordent veulent interdire les transitions de genre chez les mineurs – qui selon eux s'apparentent à des choses influençables et dénuées de jugement -, des jeunes gens meurent, oui, meurent, de ne pouvoir devenir physiquement ce qu'ils sont depuis toujours à l'intérieur. Et le personnage de Nora, dans sa volonté d'adapter son corps à son identité, l'exprime très bien. Les autres personnes trans que Nora rencontrent sont tout autant d'exemples de récits divers de transidentité qui révèlent combien la solitude et le rejet sont malheureusement chose commune pour beaucoup d'entre elles.
Le roman de
Geneviève Damas met également en avant combien une transition bouleverse non seulement la vie de la personne qui l'entreprend mais également celle de ses proches. Que ce soit dans la vie de couple ou au sein de la famille, tout le monde est impacté. Ainsi la relation entre Nora et son père est extrêmement touchante. Faite de respect, de pudeur, d'amour énormément, on sent une crainte de part et d'autre de décevoir. Car la plus grande peur de Nora est bien celle-ci : celle de tout dire à son père et la peur de blesser un homme déjà éprouvé par le passé. La mère de Nora, décédée depuis très longtemps, est aussi ce lien invisible qui les unit à jamais. Une mère que Nora vénère, une mère qui aurait aimé avoir une fille et qui chantait, comme Nora.
Le chant, justement, est cet autre aspect important du roman, avec de très beaux passages sur l'exploration de la voix et les émotions provoquées par la musique, celle que l'on entend et celle que l'on souhaite faire entendre.
De Raphaël à Nora, voici le récit simple et sensible d'un voyage difficile mais vital que de nombreuses personnes entreprennent pour tout simplement vivre leur vie. Un livre plus que nécessaire par les temps qui courent...
Merci à
Bruno pour la découverte :)